2015 a été marquée par une crise migratoire sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale et l’année 2016 qui débute laisse présager une amplification de la situation sans solution réelle et réalisable à court terme. Selon l’Organisation internationale pour les migrations, 67 193 migrants sont arrivés en Grèce (62 193) et en Italie (5 000) au cours du mois de janvier (chiffres disponibles sur le site de l’OIM le 2 février 2016). La situation est en passe d’échapper au contrôle de l’UE. Le manque de volonté des États membres, qui affichent pour certains, une position assumée de défiance, fait craindre à Donald TUSK « une implosion de Schengen » (CP, Résultats de la réunion du Conseil européen de décembre 2015, 19 janvier 2016). Une première clôture dans l’espace Schengen a d’ailleurs été dressée par l’Autriche sur sa frontière avec la Slovénie.
Des solutions négociées sous couvert d’une solidarité relative des États membres ont été adoptées au mois de septembre 2015 pour faire face à l’arrivée massive de migrants sur le sol européen, pour la plupart en quête d’une protection internationale. Mais les résultats en pratique des mécanismes temporaires de relocalisation adoptés sont largement limités, pour ne pas dire décevants. Moins de 500 demandeurs de protection ont pu bénéficier de ces dispositifs depuis les 4 derniers mois (218 depuis la Grèce et 279 depuis l’Italie ; COM (2016) 85 final, 10 février 2016). L’Autriche bénéficie même officiellement depuis peu d’une dérogation temporaire à la mise en œuvre de ces systèmes. La multiplication des plans B nationaux est la preuve de l’échec du plan A européen (D. THYM, « Vers un plan B : refuser l’entrée des réfugiés à la frontière », 28 janvier 2016, eumigrationlawblog.eu). Certains États membres, au nombre desquels notamment le Danemark, la Hongrie et même l’Allemagne, s’engagent désormais dans un processus de repli sécuritaire en fermant leurs frontières et en adoptant des mesures restrictives d’accueil des demandeurs de protection sur leur territoire.
Bert Koenders, Ministre des Affaires étrangères néerlandais, reconnaissait le 2 février dernier à Strasbourg que toutes les démocraties composant l’UE sont différentes et que cette crise représente un véritable « test de résistance pour les valeurs européennes ». Mais il souligne surtout que certaines limites ne doivent pas être dépassées. Pourtant, c’est d’ores et déjà fait. L’UE, terre d’asile, n’est plus, ou quasiment. Les mesures nationales récentes n’entretiennent même plus cette illusion. Les engagements des États membres envers la Convention de Genève de 1951, pierre angulaire de la protection des réfugiés et clé de voûte du RAEC, ont été relégués au second plan. En atteste d’ailleurs la demande du Premier Ministre danois, Lars Lokke RASMUSSEN, visant à modifier la Convention de Genève (J.-B. CHASTAND, « Le Danemark raidit sa position sur l’immigration », 21 janvier 2016, lemonde.fr). Cette demande en dit long sur l’état d’esprit ambiant au sein de l’UE.
Le principe de non refoulement a largement été mis à mal à la fin de l’année 2015, et surtout en ce début d’année. À titre d’illustration, l’Allemagne refoulerait vers l’Autriche plus de 200 personnes par jour, qui elle-même ferme en conséquence sa frontière avec la Slovénie et institue un quota de 37 500 demandeurs d’asile pour l’année 2016, refoulant ainsi un grand nombre de prétendants à une protection internationale. Les refoulements en cascade s’enchainent. L’effet domino de telles pratiques conduit à terme à faire reporter à nouveau la pression sur les premiers pays d’entrée dans l’UE, à savoir ceux situés aux frontières extérieures, à l’instar de la Grèce.
La possible reprise des transferts Dublin vers ce pays, comme recommandé par la Commission C(2016)871 final, ne laisse d’ailleurs rien présager de bon pour la situation des demandeurs de protection dans cet État membre. Mais si cette mise au ban du principe de non refoulement est évidemment condamnable, la critique se porte également sur d’autres mesures nationales qui font fi des prescriptions de la Convention de Genève. Ainsi en est-il du mépris porté à la clause de non pénalisation pour entrée irrégulière, de la conception extensive des clauses d’exclusion du statut de réfugié ou encore de la pratique consistant à confisquer les biens des demandeurs de protection internationale.
1. Le mépris de la clause de non pénalisation pour entrée irrégulière
Les rédacteurs de la Convention de Genève ont pris soin d’inclure une clause dite de non pénalisation dans le corps de la Convention afin de protéger les demandeurs de protection de toute sanction résultant de leur situation administrative irrégulière. C’est l’objet de l’article 31 relatif aux réfugiés en situation irrégulière dans le pays d’accueil. Son paragraphe souligne que « les États contractants n’appliqueront pas de sanctions pénales, du fait de leur entrée ou de leur séjour irréguliers, aux réfugiés qui […] entrent ou se trouvent sur leur territoire sans autorisation, sous la réserve qu’ils se présentent sans délai aux autorités et leur exposent des raisons reconnues valables de leur entrée ou présence irrégulières ».
Cette précaution se justifie au regard des spécificités liées au statut de demandeur de protection (le terme anglo-saxon est le plus explicite parlant de « refugeehood »). Fuyant les persécutions et ne pouvant se réclamer de la protection de son pays d’origine, il est très fréquemment difficile, voire impossible pour certains, de se procurer les documents de voyage nécessaires. En conséquence, les pratiques de certains États membres de l’UE exigeant par exemple, comme en Finlande, la possession d’un visa pour la montée à bord de ferries, ou l’exigence de documents d’identité aux contrôles frontières entre la Suède et le Danemark sont autant de pratiques entrant en contradiction avec la prise en compte des particularités liées à la qualité de demandeurs de protection internationale.
La grande majorité des demandeurs de protection sont contraints de demeurer dans la clandestinité au cours de leur parcours d’exil. L’irrégularité de l’entrée dans l’État d’accueil est souvent incontournable. Les États de refuge doivent en tenir compte. Les demandeurs de protection ne doivent pas être sanctionnés en raison de leur situation administrative irrégulière car c’est en ce sens que l’article 31§1 de la Convention a été rédigé.
Or, le gouvernement hongrois a fait fi de ce principe. Le code pénal hongrois a en effet été modifié en septembre 2015 pour y intégrer une pénalisation de la traversée irrégulière de la frontière, qui équivaut aujourd’hui à un délit, puni d’une peine de prison allant jusqu’à 3 ans ou un risque d’expulsion directe. Depuis le 14 janvier 2016, 750 personnes ont ainsi été jugées (FTDA, « Les pays d’Europe durcissent les conditions d’accueil des réfugiés », newsletter n°88, janvier 2016). Si la pénalisation de l’entrée irrégulière sur le territoire hongrois est largement critiquable au regard de la clause de non pénalisation de la Convention de Genève, la peine encourue, à savoir le risque d’expulsion directe, est également condamnable. Le principe de non refoulement n’a en effet jamais autant souffert dans l’UE que depuis le début de cette crise migratoire.
2. L’élargissement de la clause d’exclusion de l’article 1F
Si tout individu a le droit de déposer une demande de protection internationale pour obtenir le statut de réfugié, encore faut-il qu’il remplisse les conditions strictes de l’article 1A2 de la Convention de Genève, mais également qu’il ne tombe sous le coup d’aucune des clauses d’exclusion (articles 1D, 1E et 1F de la Convention de Genève ; article 12 Directive 2011/95/UE). Les rédacteurs de la Convention de Genève ont ainsi veillé à ce que le principe cardinal de non refoulement ne devienne pas une sorte d’impunité pour les criminels graves de droit commun (v. notamment G. GILBERT, « Questions d’actualité relatives à l’application des clauses d’exclusion », in E. FELLER, V. TURK et F. NICHOLSON, La protection des réfugiés en droit international, Bruylant, Bruxelles, 2008).
L’article 1F de la Convention de Genève prévoit la possibilité d’exclure du bénéfice du statut de réfugié les demandeurs qui seraient pour ainsi dire indignes à recevoir une telle protection. La Convention de Genève n’est en effet pas applicable « aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser : a) qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité […] ; b) qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiées ; c) qu’elles se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies ».
Les types de crimes et condamnations rendant le demandeur « indigne » du statut de réfugié sont conçus de manière limitée et doivent revêtir un certain degré de gravité. D’une part, on parle bien de crimes et non de délits, et encore moins de simples infractions. D’autre part, les condamnations qui s’en suivent doivent être logiquement lourdes. Ainsi, la nouvelle position allemande relative à l’activation des clauses d’exclusion laisse perplexe. L’Allemagne a en effet nouvellement établi que toute personne condamnée à une simple peine de prison avec sursis se verra refuser le bénéfice de l’asile, alors qu’auparavant le rejet était automatique en cas de condamnation à 3 ans de prison ferme (FTDA, op.cit.). Cette nouvelle disposition allemande passe ainsi outre les prescriptions de la Convention de Genève. Elle élargit la possibilité d’activer la clause d’exclusion de l’article 1F.
Mais en toute hypothèse, malgré l’existence de ce nouveau seuil déclencheur de la clause d’exclusion, les autorités allemandes ne doivent pas omettre de considérer l’importance du principe de non refoulement et le caractère absolu de l’article 3 de la CEDH empêchant même l’éloignement d’un individu soupçonné ou convaincu de terrorisme (v. notamment CourEDH, 17 janvier 2012, Othman (Abu Qatada) contre Royaume-Uni, n°8139/09). Alors, si le statut de réfugié ne peut être reconnu à une personne condamnée à une peine de prison avec sursis, il ne doit pas être automatiquement conclu à son éloignement du territoire allemand.
3. Le caractère douteux de la confiscation des biens des demandeurs de protection
L’une des dernières mesures nationales méritant attention est sans doute la plus controversée. Il s’agit de la pratique consistant à confisquer les biens des demandeurs de protection au-delà d’un certain montant. La palme de la mesure au caractère le plus douteux, rappelant des temps peu glorieux de notre histoire, revient au Danemark, connu pour ses politiques d’asile et d’immigration strictes, à la Suisse, ces deux pays n’étant notamment pas liés par les dispositions de la directive 2013/33/UE (dite directive Accueil refondue), mais aussi… à l’Allemagne (L. SOULLIER, « Danemark, Suisse, Allemagne : la confiscation des biens des migrants s’étend en Europe », 26 janvier 2016, lemonde.fr).
Si les confiscations de biens par les autorités danoises et suisses interrogent du fait de leur caractère intrusif et de leur conventionnalité au regard entre autres de la CEDH et du droit de propriété garanti notamment par l’article 1e de son Protocole additionnel n°1, la pratique par les autorités allemandes pose la question de sa conformité au droit de l’UE, et plus particulièrement à la directive Accueil refondue. S. PEERS et K. GROENENDIJK ont d’ailleurs récemment consacré une note riche d’enseignements à ce sujet (« Can Member States seize asylum-seekers’ assets ? », 24 janvier 2016, eulawanalysis.blospot.fr).
Rien dans la directive Accueil refondue ne permet de procéder à la confiscation des biens des demandeurs de protection internationale. Déduire une telle possibilité des dispositions de cet instrument reviendrait à en faire une interprétation erronée. En effet, la directive Accueil refondue permet-elle tout au plus de conditionner l’octroi des conditions matérielles d’accueil à une évaluation des moyens financiers du demandeur. Les articles 17§3 et 20§3 de la directive disposent que le bénéfice des conditions matérielles d’accueil peut être limité en tenant compte des moyens financiers à la disposition des demandeurs. L’article 17§4, quant à lui, souligne qu’il peut être exigé du demandeur ayant des ressources suffisantes de couvrir, ou du moins de contribuer, aux frais engagés pour son accueil. C’est sans doute sur ce fondement, interprété de manière erronée, qu’en Allemagne, la commissaire fédérale à l’intégration a pu affirmer que les länders de Bavière et du Bade-Wurtemberg appliquent le principe selon lequel « un demandeur d’asile doit d’abord utiliser ses propres ressources ».
En conséquence, si les ressources des demandeurs de protection peuvent être prises en compte par les autorités nationales pour conditionner ou limiter l’accès aux conditions matérielles d’accueil ou encore pour exiger une participation aux frais engagés, rien dans le droit de l’UE ne permet de procéder à la confiscation de leurs biens. Comme l’indiquent justement S. PEERS et K. GROENENDIJK, la directive Accueil refondue ne prévoit en somme qu’une simple possibilité de procéder à une évaluation du caractère suffisant des moyens financiers à disposition des demandeurs.