par Marie Garcia, CDRE
Quelques semaines après la communication de la Commission relative au retour des étrangers, la réponse des ministres JAI vient faire écho au bilan tiré par cette dernière à l’égard de la politique de retour de l’UE et de la mise en œuvre de la directive 2008/115.
Hasard des calendriers, les conclusions du Conseil JAI interviennent dans une période jurisprudentielle abondante concernant l’interprétation des dispositions de la directive retour.
Partant du postulat dressé par la Commission, selon lequel « les raisons du non-retour sont principalement liées au manque de coopération de la part des personnes faisant l’objet d’une mesure de retour ainsi qu’aux problèmes qui se posent pour établir leur identité et obtenir des autorités des pays tiers les documents nécessaires », le Conseil JAI propose de renforcer la coopération entre l’UE et les Etats tiers ainsi que de renforcer la coopération opérationnelle entre les Etats membres.
Son objectif est des plus clair : il s’agit d’augmenter le taux de retour et de réduire l’écart qui persiste entre le nombre de personnes visées par une décision de retour et celles qui ont effectivement été éloignées du territoire de l’UE.
Sans que cela ne constitue une innovation politique majeure, ces solutions sont révélatrices d’une tendance à la simplification des problématiques posées par le retour. Les impératifs de sécurité et de protection des frontières sont la voie royale empruntée par les ministres JAI et masquent les équilibres nécessaires d’une politique de retour aboutie.
De conclusions en arrêts, la Cour de justice de l’UE rétablit ces grands équilibres et veille aux respects des intérêts de chacun. Rappelant à tous les protagonistes du retour les conséquences à tirer du droit applicable en l’espèce, elle encadre la marge de manœuvre dont disposent les Etats membres pour mettre en œuvre le droit du retour de l’UE, tout en contrôlant le respect effectif des droits des migrants.
1- Le discours politique
Le Conseil souligne avec conviction le premier point éminemment stratégique de la procédure de retour : l’acceptation par les Etats tiers des migrants contraints de quitter le territoire de l’UE.
Priorité politique et condition sine qua non de l’aboutissement des procédures de retour, le Conseil invite pour cela l’UE à intensifier ses efforts visant à améliorer les capacités des Etats tiers à répondre en temps utile aux demandes de réadmissions, à identifier les personnes devant faire l’objet d’une mesure de retour ou à faciliter l’émission de documents de voyage.
Sans grande surprise, il préconise de persévérer dans la conclusion d’accords de réadmission, notamment avec les pays de transit, et de poursuivre la coopération selon le principe du « donner plus pour recevoir plus », emprunté à l’approche globale des migrations et de la mobilité.
En effet, l’intégration de la politique de retour dans l’approche globale des migrations et de la mobilité (AGMM) a élargi le dialogue à des considérations économiques, commerciales, de politique de développement, de partenariats de mobilité, et de programme de réintégration intéressants les Etats tiers.
Cependant les principes de l’AGMM, selon lesquels il s’agit de satisfaire les besoins du marché du travail européen, d’octroyer des statuts stables pour les migrants et de soutenir le développement des pays d’origine, semblent aujourd’hui davantage centrés sur l’externalisation de la gestion des flux migratoires irréguliers.
En proposant à nouveau d’encourager les pays tiers à respecter leurs obligations internationales, à améliorer le taux de retour et à réadmettre leurs ressortissants, le Conseil s’obstine à marcher dans les pas d’une coopération extérieure utilitariste, laissant peu de place à l’esprit de partenariat et d’intérêts partagés qui commanderaient son efficacité.
Les points centraux de la dimension extérieure de la politique de retour sont balayés d’un revers de manche. Ainsi, l’aide à la réintégration et l’aide au retour volontaire, pourtant pointées du doigt par la Commission dès les premières lignes de sa communication, sont à peine évoquées.
Enfin, faisant fi des défiances structurelles des Etats tiers à réadmettre et réintégrer leurs migrants, le Conseil ne contrebalance pas non plus l’omniprésent principe de conditionnalité qui a sa préférence au profit d’un peu plus de solidarité.
Dès lors, l’invitation du Conseil à intégrer le plus rapidement possible la politique de retour et plus largement la politique migratoire, dans la politique étrangère de l’UE, suffira-t-elle à surmonter les résultats jusqu’à lors peu fructueux de la coopération entreprise entre l’UE et les Etats tiers ? Les premiers projets pilotes lancés en la matière nous le diront.
L’heure étant à la coopération, le Conseil souhaite également « améliorer encore la coopération opérationnelle entre les Etats membre », dans un cadre semble-t-il, davantage coercitif.
Au centre de toutes les attentions, le retour forcé est selon le Conseil un « élément tout aussi important d’une politique crédible en matière de retour », et il répondrait mieux aux besoins pratiques des Etats membres. Bien qu’il encourage sa mise en œuvre sous le regard bienveillant des systèmes nationaux de contrôle des retours prévus à l’article 8§6 de la directive 2008/115, un récent rapport de l’Agence des droits fondamentaux souligne pourtant qu’un Etat membre sur trois ne dispose pas d’un système de contrôle et affiche une certaine lenteur pour mettre en œuvre les mesures de contrôle du droit de l’UE.
La question du principe du retour volontaire, préférable mais peu praticable, et de l’exception du retour forcé, moins recommandable mais efficace, reste donc en suspens, bien que l’on puisse douter de « l’efficacité accrue des retours forcés » au regard des difficultés d’identification et de réadmission des migrants concernés, et ce malgré l’aide conséquente de Frontex.
Le Conseil s’est refusé à profiter de l’occasion pour encourager le recours au retour volontaire et cela est regrettable. Tout d’abord, et l’on a tendance à l’oublier, parce que le droit de l’UE invite les Etats membres à privilégier le retour volontaire au retour forcé. Ensuite parce que, bien que ce choix soit déconnecté de considérations philanthropiques, il n’en demeure pas moins bénéfique pour réduire les difficultés pratiques auxquelles les Etats membres doivent faire face dans le cadre des retours forcés (organisation du retour auprès des autorités consulaires par exemple, contrôle du bon déroulement de la rétention), que pour diminuer les souffrances humaines des migrants concernés.
Renouant avec une approche largement répressive, le Conseil ne cache pas non plus ses réticences face aux projets de « Manuel sur le retour » de la Commission, ouvert semble-t-il à toutes procédures tendant à améliorer le retour des migrants. Le propos est direct : il faut consolider l’existant, et ce, dans le strict respect des compétences des Etats membres.
A cet effet la Commission est appelée à ne pas transmettre un « message qui pourrait être interprété comme une incitation à l’immigration illégale ou au séjour illégal » et le REM invité à examiner « si les incitants au retour peuvent avoir pour effet d’attirer l’immigration illégale et si les interdictions d’entrée peuvent renforcer l’efficacité des politiques en matière de retour ».
Faut-il alors comprendre que toutes initiatives visant à envisager le retour en dehors d’un cadre coercitif nuiraient à l’efficacité des procédures de retour ?
Au regard du contexte politique dans lequel s’inscrit ce Conseil JAI, la symbolique des mots prime la réalité des actions. Après des élections européennes marquées par la montée des nationalismes, le temps n’est pas encore venu en Europe, de dépassionner le débat autour de la question migratoire.
C’est pourtant oublier que l’Union européenne a progressivement défini une procédure de retour équitable et transparente afin que les personnes concernées soient rapatriées d’une façon humaine et dans le respect intégral de leurs droits fondamentaux, sans perdre de vue l’objectif de lutte contre l’immigration irrégulière.
A la recherche audacieuse d’un équilibre, cette politique a misé sur l’association de prétentions a priori incompatibles : garantir les droits et les intérêts des Etats membres ainsi que les droits individuels des migrants.
C’est pourquoi, l’efficacité, leitmotiv assumé de la politique de retour, doit désormais compter avec le respect du principe de proportionnalité et le respect des valeurs auxquelles l’UE a souscrit. Ainsi, les Etats membres, contraints d’observer ces règles et ces principes sont eux-mêmes soumis à différents contrôles, auxquels le juge de l’Union n’est pas étranger.
2- L’œuvre jurisprudentielle
La lecture des dernières actualités jurisprudentielles nuance les propos, parfois bien tranchés, des instances politiques, lorsqu’il s’agit d’aborder la délicate question du retour des étrangers en situation irrégulière.
Les conclusions rendues par l’Avocat général Y. Bot à propos des affaires jointes C-473/13, C-514/13 et C-474/13 du 30 avril 2014 sont une première occasion de rappeler qu’en matière de rétention, les conditions matérielles de la rétention sont tout aussi importantes que l’objectif qu’elle poursuit, à savoir la préparation de l’éloignement de l’étranger en situation irrégulière.
Les jurisprudences précédentes (El Dridi notamment) ont déjà précisé que la rétention, mesure restrictive de liberté la plus grave, ne se justifie que lorsque les autres moyens mis à disposition des autorités nationales ne permettent pas de réaliser avec certitude le retour de l’étranger. C’est pourquoi cette approche avait notamment permis de dépénaliser le séjour irrégulier puisque la sanction de ce dernier ne permettait pas de poursuivre l’objectif requis : l’éloignement imminent du migrant.
Dans ces trois affaires jointes précitées, l’Avocat général démontre que la rétention ne peut s’effectuer que dans des centres de rétention spécialisés et que les exceptions visant à placer le ressortissant en établissement pénitentiaire sont très strictement encadrées par le droit de l’UE.
Face aux arguments douteux invoqués par la République Fédérale d’Allemagne, selon laquelle « il existerait des circonstances dans lesquelles l’intérêt et le bien être du migrant commanderaient son placement dans un établissement pénitentiaire» (point 152), l’Avocat général clarifie la portée des articles 16§1 et 18 de la directive 2008/115. Il rappelle par la même occasion que la question de la rétention ne peut occulter les problématiques humaines qu’elle pose.
Mêlant des considérations à la fois juridiques et philosophiques, l’ingéniosité de ces conclusions aboutit à consolider le principe du placement de l’étranger en situation irrégulière dans un centre de rétention, tout en maniant habilement une profonde réflexion sur les valeurs fondatrices de la politique de retour.
Du point de vue du texte tout d’abord, l’article 16§1 et 18 de la directive 2008/115 permettent tout à fait exceptionnellement le placement du migrant dans un établissement pénitentiaire dans le cas où il « existe des motifs exceptionnels et légitimes, tels que ceux tirés de l’état de nécessité », et parce que confrontés à une situation d’une telle urgence, les Etats membres ne peuvent faire autrement. Devant en informer immédiatement la Commission, celle-ci se charge de contrôler le recours à cette pratique de dernier ressort.
Derrière ces exigences juridiques, c’est en réalité la condition humaine du migrant que l’Avocat général défend. Refusant l’assimilation du migrant au délinquant, il rappelle que sa seule faute réside dans son dénuement et que son seul crime consiste à tenter d’y échapper. Sans remettre en question la nécessité d’éloigner ce dernier du territoire de l’UE, il démontre que la lutte contre l’immigration irrégulière n’exempte pas les Etats membres de mettre en place « un régime et des conditions matérielles de rétention qui soient adaptées à leur statut juridique et capables de répondre à leur besoin particuliers, et notamment à ceux des plus vulnérables ».
Parce que « la facilité [doit] céder devant l’exigence des droits fondamentaux », le juge de l’UE mais aussi le juge de la Convention EDH garantissent un système de protection des droits fondamentaux effectif. A ce propos l’Avocat général rappelle que la législation en matière de retour, transpose la jurisprudence de la CEDH, garantissant ainsi un double niveau de protection.
Aussi, en transposant les dispositions de la directive « retour » les Etats membres se sont engagés à mettre en œuvre une procédure de retour européenne, dont les obligations qui en découlent s’appliquent identiquement à toutes les autorités nationales. Quelle que soit la structure constitutionnelle des Etats membres et la répartition des compétences entre les différents échelons décisionnels, le migrant en cours d’éloignement doit bénéficier d’un traitement équitable d’un Etat à l’autre.
Dans des conclusions tout aussi récentes, rendues par l’Avocat général M. Wathelet le 25 juin 2014, à propos de l’affaire C-166/13 et C‑249/13, les droits de la défense sont à l’honneur.
La question posée concernait la possibilité pour l’étranger en situation irrégulière de faire valoir ses observations devant les autorités nationales avant que ces dernières ne prennent en son encontre une décision de retour.
Bien que la directive 2008/115 ne prévoie pas une procédure spécifique pour entendre un ressortissant avant l’adoption d’une décision de retour, ce principe s’applique au regard de ce que prévoit l’article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE. C’est pourquoi l’autonomie procédurale des Etats membres ne prive pas le migrant de la bonne application du droit de l’UE.
Si la question n’a pas encore été tranchée, l’Avocat général résume dans ses conclusions la teneur de la problématique. Cette affaire est en effet l’occasion selon lui de « trouver le juste équilibre entre le droit d’être entendu avant l’adoption d’une décision de retour et la nécessité de ne pas prolonger inutilement, voire abusivement, la procédure de retour au risque de mettre en péril la lutte contre l’immigration clandestine ».
Enfin, le juge lui même a également apporté sa pierre à l’édifice en construction, contrôlant la mise en œuvre de la procédure de retour par les Etats membres en se prononçant notamment sur des aspects procéduraux que l’on pensait réservés à ces derniers.
Tout d’abord dans l’affaire Mahdi (C-146/14 PPU) en date du 5 juin 2014, le juge de l’UE s’est interrogé sur les modalités d’examen de la décision de prolongation de la rétention au-delà de six mois, prise par les autorités nationales en charge de ces questions.
Bien que la directive « retour » autorise dans certaines conditions le prolongement de la durée de la rétention jusqu’à 18 mois, la durée maximale prévue par la directive n’est pas sans conséquence sur la situation personnelle du migrant. C’est pourquoi il était nécessaire que le juge encadre la mise en œuvre de cette prolongation.
Avec pédagogie, le juge de l’UE indique aux autorités nationales désirant prolonger la rétention au-delà de six mois de motiver leur choix dans une décision écrite comportant des motifs de fait et de droit, laquelle sera pleinement contrôlée par la juridiction nationale, compétente pour substituer à la rétention une mesure moins coercitive.
De plus, concernant les motifs de prolongation de la rétention au-delà de six mois, le juge de l’UE rappelle avec insistance la nécessité d’un examen au cas par cas des circonstances factuelles de l’affaire en cause, notamment au regard de l’absence de document d’identité ou du manque de coopération de l’intéressé.
Entre efficacité de la procédure et nécessité de respecter les droits des migrants, il sera intéressant de voir où le juge de l’Union placera son curseur, confirmant le rôle central qu’il occupe déjà dans la politique commune d’asile et d’immigration.