par Marie Garcia, CDRE
L’Agence européenne en charge de la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des Etats membres de l’UE (Frontex) demeure au centre de toutes les attentions.
Alors que le Royaume-Uni vient officiellement d’annoncer sa non-participation à l’opération de sauvetage en mer Triton, la médiatrice européenne, Emily O’Reilly, a ouvert le 20 octobre 2014, une nouvelle enquête à l’égard de Frontex.
Sa lettre envoyée au directeur exécutif de l’Agence tient à s’assurer du respect effectif des droits fondamentaux des migrants, visés par ces opérations.
Contexte
N’en déplaise aux accusations de David Cameron, cette attention démontre à elle seule la crédibilité de l’Agence dans la gestion des problématiques migratoires. Si, ce dernier accuse publiquement les opérations de Frontex de constituer un facteur d’attraction involontaire encourageant les migrants à tenter la traversée des eaux méditerranéennes, la préoccupation du médiateur témoigne de la volonté de l’Union d’inscrire son action dans le cadre d’une communauté de droit.
Le médiateur européen n’en est pas à son premier coup d’essai. Dès 2012 un échange épistolaire suivi d’une consultation publique de grande ampleur concernant la stratégie globale de Frontex en matière de droits fondamentaux, avaient permis de proposer des éléments de modernisation de l’action de l’Agence.
Malgré de notables avancées (une stratégie définie en matière de droits fondamentaux, un code de conduite concernant les opérations de retour conjointes, la création d’un « officier des droits fondamentaux », la formation européenne des personnels du retour…), l’instauration d’un mécanisme de plainte interne à l’Agence avait cependant été refusé.
Le procédé à nouveau utilisé est donc le bienvenu, et donne, comme a pu le préciser la médiatrice, une continuité au dialogue précédemment amorcé. Il est également l’occasion de cibler, en toute transparence, un point clé de l’action de Frontex : la coordination des opérations de retour conjointes entre les Etats membres.
Frontex, souvent malmenée parce que mal connue, a ainsi une nouvelle possibilité de convaincre, qui, doit-on l’avouer, tombe à point nommé.
La médiatrice européenne l’a bien compris lorsqu’elle avance dans son communiqué de presse que « l’intérêt grandissant des citoyens de l’UE pour les questions migratoires » et « le rôle de Frontex [qui] est d’autant plus sous le feu des projecteurs » justifient que l’on se pose la question de savoir comment Frontex fait face à d’éventuelles violations ou comment elle parvient à réduire le risque de telles violations dans des procédures aussi sensibles que les retours forcés.
Partant, la médiatrice pose en substance trois grandes interrogations auxquelles Frontex se devra de répondre avant le 31 janvier 2015.
Le temps des questions
L’extrême sensibilité des situations humaines concernées par les opérations de retour conjointes explique sans aucun doute la nécessité d’un éclairage public, par principe comme par nécessité de légitimer de telles opérations.
Du reste, le droit exige lui aussi que « les Etats membres prévoient un système efficace de contrôle du retour forcé » (article 8.6 de la directive 2008/115) et que, lorsque ces opérations sont coordonnées par Frontex, il soit fait application du code de conduite pour les opérations de retour conjointes, adopté en 2013.
Il est donc juridiquement attendu que ces opérations de retour se déroulent « d’une façon humaine et dans le plein respect des droits fondamentaux, en particulier les principes de dignité humaine, d’interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, le droit à la liberté et à la sûreté et les droits à la protection des données à caractère personnel et à la non- discrimination ».
C’est pourquoi la première série de questions adressée à l’Agence porte sur le traitement réservé aux migrants pendant la mise en œuvre des opérations de retour conjointes, en particulier lorsque ces derniers présentent certains signes de vulnérabilité (personnes malades, femmes enceintes).
A cet effet, est posée la question de la personne en charge de la santé des passagers, celle de la possibilité de porter plainte pour mauvais traitements ou celle de l’application de la disposition selon laquelle « frontex financial support to Member States for the JRO is conditionnal upon full respect of the EU Charter of Fundamental Rights ».
Il s’agit donc pour la médiatrice de s’assurer, dans un premier temps, de l’effectivité de la mise en œuvre des dispositions du code de conduite traitant de ces questions. L’interrogation est tout à fait légitime et renforce considérablement la portée du code élaboré par l’Agence.
Les deux questions suivantes ne contredisent pas cette affirmation.
Dans le viseur du médiateur, deux aspects essentiels des opérations de retour conjointes sont passés au crible : le contrôle efficace et indépendant du retour forcé ainsi que la publicité de toutes les informations concernant le déroulement de ces opérations.
La question du contrôle n’est pas nouvelle. En mars 2014, la Commission européenne, dans sa communication sur la politique de l’UE en matière de retour, regrettait déjà que la moitié des opérations de retour conjointes aient lieu sans la vigilance d’un observateur indépendant. Se félicitant au demeurant de l’augmentation des retours dans le cadre de ces opérations, elle explique ces lacunes au regard de l’entrée en vigueur récente de la directive 2008/115/CE en décembre 2010 et encourage Frontex à inscrire formellement dans son code de conduite qu’ « un observateur indépendant devrait être présent lors de chaque opération de retour conjointe ».
C’est donc en toute logique que la médiatrice s’interroge sur les capacités de Frontex à renforcer et développer ces contrôles et à inciter les Etats membres à les mettre en place.
Cependant, si l’accroissement des opérations de retour conjointes organisées par Frontex implique un contrôle accru de ces dernières, la répartition des responsabilités entre l’Agence et les Etats membres, doit être précisée.
Bien que Frontex ait bien pour mission de coordonner les opérations conjointes de retour, le rôle des Etats membres n’en demeure pas moins central.
En effet, les chiffres démontrent que la majorité des décisions de retour mises en œuvre le sont encore au niveau national. Dans le rapport trimestriel de l’Agence couvrant la période d’avril à juin 2014, l’on s’aperçoit que sur 18447 retours forcés, 13223 sont exécutés par les Etats membres contre 671 dans le cadre d’opérations conjointes, 4543 retours n’étant pas précisés.
Il serait donc bon de ne pas minimiser la responsabilité des Etats membres et de veiller à ce qu’ils appliquent, conformément à leurs obligations constitutionnelles, les dispositions législatives européennes en la matière… Rappelons qu’un récent rapport de l’Agence des droits fondamentaux souligne qu’un Etat membre sur trois ne dispose pas encore d’un système de contrôle et affiche une certaine lenteur pour mettre en œuvre les mesures de contrôle du droit de l’UE.
La médiatrice pose enfin la question de la publicité et de l’accessibilité des informations relatives au déroulement des opérations de retour conjointes. Elle invite en substance l’Agence à publier sur son site internet le rapport final de chaque opération de retour conjointe, tandis qu’elle s’interroge sur l’accessibilité à d’éventuels rapports constatant une ou plusieurs violations survenues pendant le déroulement d’une opération de retour.
Nul n’ignorant à quel point la transparence constitue le talon d’Achille de l’Agence, l’on ne peut que se féliciter des propositions soumises par Madame O’Reilly. Il reste à déterminer cependant si la nature politique de ces questions permettra la réalisation de ces ambitieux objectifs.
Le temps des observations
Dans l’attente des réponses de l’Agence, deux remarques s’imposent, au regard du procédé de communication employé.
Sur la forme tout d’abord. Volontaire ou non, cette invitation publique au dialogue pourrait éclaircir à nouveau le rôle d’une agence alimentant chez certains les plus grands fantasmes. Lui permettant de redorer son blason auprès d’une opinion souvent très sceptique, cela tendrait également à démontrer l’efficacité de son action.
En effet, les échanges avec la médiatrice, mais plus globalement avec la société civile obligeront Frontex à revoir continuellement à la hausse ses standards en matière de protection des droits fondamentaux et à atteindre tous les objectifs préalablement fixés.
Dès lors, si la tâche principale de Frontex est de favoriser la coopération opérationnelle entre les Etats membres en coordonnant des procédures de retour conjointes, gageons que ces dernières se développent davantage. Les tenants de l’efficacité des procédures de retour et les tenants d’un contrôle accru des procédures de retour y trouveraient chacun un intérêt non négligeable.
Sur le fond ensuite. Ce procédé constitue un avantage considérable pour les acteurs principalement concernés par la question du retour : les Etats membres et les institutions de l’Union européenne.
Tandis que les premiers sont politiquement réfractaires à s’engager plus en avant sur le chemin de l’harmonisation, les secondes y voient là l’occasion d’européaniser davantage la gestion des retours en contournant les voies traditionnelles législatives…
De ce point de vue, l’Agence Frontex est un allié de choix puisqu’elle permet à la fois de renforcer la coopération entre les États membres lors de la mise en œuvre d’opérations de retour conjointes mais surtout d’établir progressivement des normes communes dans des domaines où l’harmonisation a elle-même échoué.
Le thème du contrôle des retours forcés met ce processus en évidence. Alors que la directive « retour » ne précise pas les modalités de l’instauration d’un système de contrôle des retours efficace, Frontex prend le relais et donne la marche à suivre dans son code de conduite.
Par ailleurs invitée à travailler avec le Centre international pour le développement des politiques migratoires, chargé, selon les dires de la Commission européenne « d’harmoniser les différentes approches en matière de contrôle adoptées par les Etats membres, voire même […] à terme fournir une équipe d’observateurs indépendants auxquels il serait également possible de recourir dans le cadre des opérations de contrôle conjointes », Frontex fait figure d’intermédiaire entre tous les acteurs politiques concernés par la question du retour.
Dès lors et malgré l’ampleur des interrogations suscitées par ce volet d’une politique commune de l’immigration, les potentialités des acteurs institutionnels de l’Union ne doivent pas mésestimées, pour concourir à combler les démissions des Etats membres, qui demeurent les véritables décideurs politiques. A la condition que ces acteurs aient une idée de leur fonction et la volonté de la remplir …