par Emilio de Capitani, Henri Labayle et Steve Peers,
Les commissaires pressentis à la Justice et à l’immigration seront prochainement auditionnés par le Parlement européen, lequel sera amené à confirmer les choix de Jean Claude Juncker. Déjà, les députés ont posé des questions écrites auxquelles les candidats ont répondu, de façon assez générale aussi parce que les questions des commissions parlementaires n’étaient pas particulièrement pointues, sauf en matière de protection des données.
Cependant, les auditions sont l’occasion pour les députés de vérifier les dires des commissaires et d’obtenir des engagements politiques. A cette fin, nous souhaitons suggérer un certain nombre d’interrogations aux députés qui auront la chance de pouvoir poser des questions orales pendant les auditions.
1. Immigration et asile
La Commission estime que la politique d’immigration devrait continuer à être encadrée par les objectifs (non contraignants) définis par l’approche globale des migrations (GAMM) et que les relations avec les pays tiers devraient être traités dans le cadre des “partenariats pour la mobilité“, lesquels sont davantage des déclarations diplomatiques que des actes contraignants. Souhaitez-vous proposer une base juridique contraignante pour les accords avec les pays concernés, qui seraient fondés sur les articles 77, 78 et 79 du TFUE ?
Quelles mesures prendra la Commission pour s’assurer que la législation de l’UE dans ce domaine est correctement mise en œuvre par les États membres ?
La Commission proposera-t-elle un amendement urgent au Code des visas de l’UE, pour confirmer que les États membres sont tenus de donner des visas humanitaires à ceux qui en ont besoin et qui en feront demande aux consulats des États membres dans les pays tiers ?
La Commission compte-t-elle proposer une législation de l’UE garantissant la reconnaissance mutuelle des décisions des États membres concernant la protection internationale, y compris le transfert de la protection ?
La Commission fera-t-elle des propositions pour définir le cadre d’un partage des responsabilités pour les demandeurs d’asile et des personnes qui ont obtenu une protection internationale, à commencer par ceux qui l’ont reçue en dehors du territoire des États membres ?
La Commission proposera-t-elle un Code de l’immigration et quel en serait le contenu ?
La Cour de justice a reconnu que les obligations internationales en matière de recherche et de sauvetage en mer sont applicables dans le domaine de la surveillance des frontières extérieures (affaire C-355/10). Les règles de l’UE en la matière s’appliquent seulement lors du contrôle des frontières coordonnées par FRONTEX. La Commission a-t-elle l’intention de proposer que ces règles s’appliquent aux contrôles des frontières de tous les États membres, de façon générale en modifiant formellement le Code frontières Schengen ?
Quelles mesures immédiates et à long terme la Commission entend prendre pour éviter d’autres décès de migrants qui traversent la Méditerranée ?
La Commission proposera-t-elle de modifier la législation de l’UE sur la facilitation de l’immigration irrégulière confirmant que toute personne qui sauve des migrants de la mort ou des blessures lors d’une traversée de la frontière, ou qui agit pour des motifs humanitaires est exempté de poursuites ?
2. Sécurité intérieure et coopération policière
Les mesures de lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale ont été arrêtées jusqu’à présent principalement dans le cadre de la «coopération opérationnelle». La Commission proposera-t-elle une base juridique claire pour la Stratégie de Sécurité Intérieure et transformera-t-elle le soi-disant « cycle politique » en un cadre transparent et juridiquement contraignant encadrant clairement les interventions européennes et nationales ? La proposition législative modifiant les attributions d’Europol fera-t-elle référence à un « cycle politique » sans l’encadrer ? Quelles initiatives seront-elles prises pour mettre en œuvre le principe de subsidiarité et de proportionnalité, comme prévu par le traité, et faire en sorte que la Charte soit également prise en compte par la coopération policière afin que les parlements européen et nationaux ainsi que la Cour de justice puissent en vérifier le respect ?
Selon le protocole 36 (le protocole transitoire annexé au traité de Lisbonne), les mesures traitant de la coopération policière adoptées avant l’entrée en vigueur du traité relèveront de la compétence de la Commission et de la Cour au 1er Décembre 2014. Certaines sont obsolètes et devraient être abrogées ou considérablement modifiés pour tenir compte du cadre juridique et institutionnel post Lisbonne (rôle de la Charte codécision du Parlement Européen, rôle des Parlements nationaux.
Dans plusieurs cas, ces mesures de l’UE limitent considérablement les droits fondamentaux. Votre déclaration ne fait pas allusion à l’exigence de ce réexamen pas davantage que les exercices précédents de simplification et réduction de la charge législative (REFIT) de la Commission. Est-ce une priorité ou croyez-vous que le traité de Lisbonne n’a pas réellement changé la situation dans votre domaine de compétence ?
Votre programme législatif sera-t-il relié avec les bases légales régissant la coopération judiciaire en matière pénale dans le traité ? Si oui, comment vos relations avec le Commissaire en charge de ces aspects seront encadrées ?
La coopération Schengen a été jusqu’à maintenant le cas le plus réussi de la coopération entre les États membres et elle a récemment été mise à jour par le lancement du SIS II et d’EUROSUR. La notion de gestion intégrée des frontières à l’article 77 TFUE prend progressivement forme, mais aucune amélioration notable ne s’est produite à propos des responsabilités du Parlement européen et des parlements nationaux. Des initiatives semblables comme Prüm et l’initiative suédoise ont été élaborées pour mettre en œuvre le principe de disponibilité. Prévoyez-vous d’autres initiatives similaires ?
A la lumière d’une affaire récente concernant le Royaume-Uni où un meurtrier condamné s’est déplacé d’un État membre à un autre, avez-vous l’intention de proposer l’échange des informations reprises aux casiers judiciaires concernant les crimes les plus graves par les ressortissants d’un État membre (assassinat, viol, lésions corporelles graves) si ces ressortissants ne sont plus emprisonnés ?
La Commission proposera-t-elle un Code de police réalisant la refonte de la législation de l’UE dans ce domaine ?
La Commission compte-t-elle présenter une proposition législative mettant en œuvre l’article 75 du TFUE sur le gel des avoirs des terroristes ?
3. Commissaire à la justice
Selon la CJUE (arrêts Melloni, Radu) le principe de la primauté du droit communautaire couvre également le domaine sensible de la coopération judiciaire en matière pénale. Il est alors important que la législation de l’UE adopte les plus hauts standards de protection des droits fondamentaux de sorte que la mise en œuvre de la législation de l’UE ne diminue pas le niveau actuel de protection au niveau national. Êtes-vous d’accord sur le fait que les futures propositions législatives de l’UE en matière pénale devraient faire référence à leur impact possible sur le droit national et toujours autoriser la possibilité de normes nationales plus élevées, selon l’article 53 de la Charte ?
La Commission proposera-t-elle de modifier la décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen et d’autres mesures pré-Lisbonne sur la reconnaissance mutuelle en matière pénale pour assurer un niveau de protection des droits fondamentaux identique à celui prévue par la récente directive sur la décision d’enquête européenne ?
La Commission proposera-telle une mesure pour assurer la protection adéquate des suspects en ce qui concerne la détention provisoire dans les procédures pénales dans les États membres ?
La Commission présentera de nouvelles mesures législatives pour améliorer les garanties procédurales des suspects ?
La protection des droits fondamentaux n’a pas de sens sans moyens d’obtenir une réparation judiciaire au niveau national ou européen. Présenterez-vous une proposition législative améliorant la Recommandation 2013 de la Commission sur les mécanismes de recours collectif afin que les citoyens et les entreprises puissent faire respecter leurs droits dans le cas où ils ont été violés ?
Comment la Commission fera en sorte que les États membres respectent intégralement et correctement la législation européenne sur la protection de droits dans les procédures pénales des victimes et des suspects ?
L’OLAF, Eurojust et le Parquet européen traitent sous des perspectives différentes de la protection des intérêts financiers de l’UE. N’est-il pas temps de simplifier le dispositif institutionnel, par exemple en fusionnant le Parquet européen avec l’OLAF ?
Plusieurs mesures telles, par exemple, que la décision-cadre de l’UE sur le terrorisme restreignent les libertés individuelles. Dans ce cas, la législation de l’UE ne devrait-elle pas contenir des clauses d’extinction, comme le fait la législation des États-Unis (voir le Patriot Act) ?
La Commission proposera-telle au Conseil que tout traité de l’UE sur le partage des données à caractère personnel avec les pays tiers soit suspendu si, de l’avis du Parlement européen à la suite d’un examen indépendant, dans la pratique, il n’existe pas de niveau de protection adéquat dans ce pays tiers ? Dans ce cas, le rôle de la Commission sera d’évaluer l’adéquation de la protection des données dans les pays tiers. Pensez-vous qu’une telle évaluation devrait être faite par un acte délégué, puisque cette évaluation comporte une marge d’appréciation élevée du côté de la Commission ?
4. Agenda numérique (avec le commissaire Oettinger et VP Ansip)
Vous travaillerez sur l’agenda numérique avec le commissaire pressenti Oettinger. Il fait référence à un programme législatif ambitieux qui sera bientôt adopté. Les Traités offrent plusieurs bases juridiques pour atteindre cet objectif même s’il manque toujours à l’UE une stratégie législative globale et cohérente qui mette en œuvre les droits fondamentaux définis par la Charte dans l’environnement d’Internet Pour cette raison, la Cour de justice a récemment annulé la directive sur la conservation des données personnelles par les opérateurs de télécommunication. Cependant, le même sort pourrait arriver à d’autres mesures législatives de l’UE prévues ou en cours de négociation qui ne répondent pas aux normes élevées exigées par la Charte et par la jurisprudence de la Cour. Pour éviter ce risque serez-vous disponible pour concevoir et mettre en œuvre avec vos autres collègues de la future Commission (Oettinger Timmermans, et Ansip) une stratégie législative qui pourrait devenir un « Marco Civil » européen tel que celui adopté récemment par le Brésil ?
La Cour de justice a défini des critères très stricts à suivre lors de la collecte de données personnelles à des fins de sécurité. Même le service juridique du Conseil semble considérer que les accords UE-États-Unis actuels (PNR et TFTP) ne sont pas en accord avec ces critères. Qu’avez-vous l’intention de faire lors du prochain sommet transatlantique ? Allez-vous en aviser les autorités américaines que ces accords devraient être profondément révisés ?
Quelle réponse la Commission entend apporter à l’arrêt de la CJUE sur l’invalidité de la directive sur la conservation des données ? Une nouvelle directive de l’UE conforme à l’arrêt sera-t-elle proposée ? La Commission croit-elle que la directive permet toujours la surveillance de masse ? La Commission poursuivra-t-elle les États membres dont la législation n’est pas en conformité avec les critères jurisprudentiels définis en septembre ?