par Pr. Philippe DE BRUYCKER, ULB-MPC FLorence
Contrairement à l’opinion pusillanime exprimée par la DG Affaires Intérieures dans son rapport du 22 mai 2014, Jean-Claude Juncker a été perspicace en proposant de réviser la directive « Carte Bleue » (directive 2009/50) visant à faciliter l’admission des migrants hautement qualifiés dans l’UE. La directive « Carte Bleue » est un bon exemple des résultats obtenus par la méthode intergouvernementale appliquée avant le Traité de Lisbonne. Cette directive est un instrument compliqué élaboré par les Ministres de l’intérieur, harmonisant les politiques des Etats membres avec des normes minimales et cachant leur préférence pour le statu quo derrière l’objectif d’une politique commune d’immigration, en perdant ainsi de vue la finalité politique poursuivie. Deux questions devraient, à mon sens, être abordées au cours des débats qui auront lieu dans les prochains mois.
Premièrement, les Etats membres souhaitent-ils encore bénéficier de la large marge de manœuvre accordée par l’actuelle directive, éventuellement pour continuer à rivaliser les uns avec les autres ? Si leur but est de préserver les modèles nationaux au détriment du modèle européen, toute réforme sérieuse sera alors bloquée. Ou alors, l’UE préfère-t-elle rivaliser avec un nombre croissant d’Etats tiers en parlant d’une seule voix ? Dans ce cas, il devrait être possible de concevoir un modèle européen ambitieux qui pourrait être diffusé dans le monde entier. Par conséquent, réduire la trop large définition d’un migrant hautement qualifié établie dans l’actuelle directive à une personne détenant une licence semble nécessaire. On pourrait même discuter de la possibilité pour les Etats membres de définir les secteurs (haute technologie, médecine, ingénierie, etc.) dans lesquels ils souhaiteraient appliquer la nouvelle directive. Cela assurerait aux Etats membres une certaine flexibilité dans un système qui pourrait être coordonné au niveau européen.
Deuxièmement, souhaitons-nous une réelle « Carte Bleue » ? Cette question peut paraitre étrange, puisque la « Carte Bleue » est censée exister depuis 2009. En vérité, il n’en est rien. Tout d’abord, le détenteur d’une « Carte Bleue » délivrée par un Etat membre, qui souhaite se rendre dans un autre Etat membre, doit formuler une nouvelle demande de… « Carte Bleue » ! De plus, les conditions d’obtention de la seconde « Carte Bleue » – indépendamment du fait qu’il faut avoir passé 18 mois dans le premier Etat membre – sont les mêmes que celles imposées pour être initialement admis dans l’UE. En d’autres termes, le détenteur d’une « Carte Bleue » ne bénéficie pas du droit à la libre circulation. L’UE induit donc en erreur et crée une certaine confusion pour les migrants, mais également pour les fonctionnaires européens. Créer une véritable « Carte Bleue », valide sur l’ensemble du territoire européen, exige de changer notre logique en acceptant la reconnaissance mutuelle entre Etats membres en complément de l’harmonisation. La reconnaissance mutuelle présuppose néanmoins la confiance mutuelle, qui fait malheureusement largement défaut entre les Etats membres…
Espérons que le nouveau Commissaire à l’immigration, Dimitris Avramopoulos, sera en position de diriger les débats dans la direction qu’il avait indiquée lors de son audition devant le Parlement européen. Le lancement par la Commission d’un livre vert sur cette question pourrait être un bon point de départ.