par Philippe de Bruycker, Odysseus
Chacun le sait, le droit de l’asile et de l’immigration a largement été façonné par la jurisprudence, interne certes, mais beaucoup aussi européenne et communautaire. A l’instant où s’amorcent les débats relatifs à la seconde génération du droit de l’Union européenne en la matière mais aussi où certains Etats européens contestent la place tenue par le juge européen, il était instructif de faire le point.
Le Parlement européen a éprouvé ce besoin, nous confiant avec le professeur Henri Labayle une étude approfondie sur la question.
La mesure de l’impact des jurisprudences de la Cour européenne des droits de l’Homme et de la Cour de justice de l’Union européenne permet en effet d’établir des constats significatifs.
La Cour de Strasbourg devrait continuer à occuper une place centrale dans le contentieux de l’asile et de l’immigration. Axée par nature sur la protection des droits fondamentaux, sa jurisprudence foisonnante a façonné l’ensemble du droit européen de l’asile et de l’immigration. Elle s’est construite autour d’une nécessité élémentaire : empêcher que le refus d’accès au territoire opposé à l’étranger ou son éloignement forcé ne portent atteinte à des droits aussi fondamentaux que la protection de la vie, de l’intégrité physique ou morale ou encore le droit à mener une vie familiale normale. Elle a permis l’émergence et l’inscription dans le droit de l’Union de protections aussi déterminante que la protection « subsidiaire ». Elle investit aujourd’hui le terrain des droits de procédure, du droit au juge ou de l’interdiction des expulsions collectives.
Son succès se mesure même approximativement, faute de compteur fiable : une pression considérable des demandes de « mesures provisoires » au point que la Cour s’en est émue publiquement, un nombre d’arrêts qui va croissant, un petit nombre d’Etats alimentant ce contentieux. Ces enseignements obligent à réfléchir un peu différemment au thème bien connu de la « subsidiarité juridictionnelle ».
A l’opposé, la jurisprudence de la Cour de Luxembourg contraste par son faible volume, indépendamment des progrès de la protection juridictionnelle réalisés par le Traité de Lisbonne. La qualité des quelques décisions rendues témoigne néanmoins du potentiel remarquable du juge de Luxembourg à interpréter le droit européen et encadrer l’action des Etats membres. L’adhésion programmée de l’Union à la Convention des droits de l’homme, aussi satisfaisante qu’elle soit pour les juristes épris d’esprit de système, ouvre des perspectives.
Cet ensemble reste cependant déconnecté des réalités. La faiblesse quantitative du contentieux de l’Union est difficilement compréhensible au vu de la réalité quotidienne. Certes, l’observation manque encore du recul nécessaire pour juger et il faut se garder de constats définitifs.
Cependant, les carences du système sont perceptibles. Ainsi, il reste difficilement acceptable que la crise du système de « Dublin » ait dû attendre la fin de l’année 2011 pour être traitée à Luxembourg, et ce encore après que la Cour européenne ait dégagé le terrain. De même, le faible nombre des renvois à titre préjudiciel surprend, au vu de la complexité du droit européen. Tout se passe comme si le juge national n’éprouvait pour ainsi dire pas le besoin de recourir au juge de l’Union, ignorant l’origine des normes qu’il applique. Enfin, la Commission semble réduire son rôle de gardienne des traités au simple respect des délais de transposition indépendamment de la qualité des normes nationales et de leur application effective en pratique.
Aussi, c’est devant la Cour de Strasbourg que la protection des droits de l’homme paraît aujourd’hui la plus efficace. Ce constat est doublement paradoxal, à l’heure où le rôle de cette Cour est remis en question par la crise de la subsidiarité juridictionnelle et où l’Union s’engage dans une démarche affirmée en matière de protection des droits fondamentaux.
Le contentieux européen de l’asile et de l’immigration est particulièrement révélateur de ces contradictions et le législateur comme le juge interne devraient y réfléchir de concert.