par Laure Clément-Wilz, IRDEIC
Les demandeurs d’asile au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice peuvent-ils retirer unilatéralement leur demande sans que cela n’affecte le système du Règlement 343/03, dit « Dublin II », qui vise précisément à déterminer de manière objective qui est l’Etat responsable de l’examen d’une demande d’asile ?
Telle était la question posée à la Cour de justice dans l’affaire Kastraki, rendue le 3 mai 2012.
Le principe, posé par le Règlement « Dublin II », selon lequel chaque demande d’asile est examinée par un seul Etat membre, vise à la fois à lutter contre l’existence des « réfugiés en orbite » et contre « l’asile shopping » (conclusions Trstenjak, pt 25). Or, dans cette affaire préjudicielle, il ne s’agit pas d’un cas où le demandeur d’asile est refoulé d’un Etat membre à l’autre, ni de celui où le demandeur forme sa demande auprès de plusieurs Etats membres. Au contraire, en l’espèce, les ressortissants d’Etats tiers cherchent à obtenir un droit de séjour dans un Etat membre, en raison des liens privilégiés entre eux et un ressortissant de cet Etat, au besoin en demandant l’asile.
Les demandeurs au principal, ressortissants kosovars, ont en effet vu leur demande de permis de séjour refusée par les autorités suédoises, alors qu’ils cherchaient à s’installer en Suède. Ils sont alors entrés dans l’espace Schengen grâce à un visa court séjour délivré par la France pour se rendre ensuite en Suède, où ils résident actuellement sans permis de séjour. La demande d’asile ayant été formée devant les autorités suédoises, ces dernières, par application du Règlement n°343/03, ont jugé que la France était l’Etat responsable de l’examen de ces demandes et ordonné leur transfert vers la France. Les requérants ont ensuite retiré leur demande d’asile, vraisemblablement afin d’éviter ce transfert. Peu de temps après, les autorités française, qui n’avaient pas connaissance de ce retrait, ont accepté la demande de prise en charge des demandeurs.
La juridiction suédoise compétente a donc interrogé la Cour sur le point de savoir si le Règlement dit « Dublin II » était toujours applicable alors même que le demandeur d’asile avait retiré sa demande et qu’il n’avait pas introduit de demande dans un autre Etat membre.
La difficulté de cette affaire tient à ce que les hypothèses de retrait prévues par le Règlement « Dublin II » ne concernent que le cas où le requérant a formé plusieurs demandes. Par ailleurs, dans la mesure où le retrait était demandé dans un Etat qui n’était pas responsable de l’examen de la demande et que l’Etat responsable avait accepté cette compétence, le respect de cette compétence nationale était en cause. De plus, comme le droit national en la matière est encadré par la directive 2005/85, relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres, la combinaison éventuelle de ces deux normes pouvaient également soulever des difficultés.
Visiblement sensible à l’ensemble de ces considérations, l’avocat général s’est prononcée en faveur de l’applicabilité du Règlement n°343/2003. Elle considère en effet que « seule la clôture définitive d’une procédure d’asile a pour conséquence de décharger un Etat membre de la responsabilité qui lui avait été confiée » (conclusions, pt 34). Ensuite, la procédure doit être considérée comme clause non pas lorsque la demande est retirée mais « uniquement lorsque l’autorité compétente d’un Etat membre a adopté une décision définitive de clôture », dans la mesure où le retrait doit se faire « conformément au droit national » (conclusions, pt 36). Enfin, il résulte de la directive 2005/85 que la « déclaration de retrait présentée par un demandeur d’asile n’a pas par elle-même pour conséquence de mettre fin à la procédure d’asile » (conclusions, pt 39).
C’est une toute autre approche que retient la Cour de justice. Cette dernière, par un arrêt relativement bref, écarte l’applicabilité du règlement au seul motif que le retrait de la demande d’asile a eu lieu avant que l’Etat requis ait accepté la prise en charge du demandeur d’asile. En raison de cette seule circonstance d’ordre chronologique, la Cour évacue le problème du respect de la compétence de la France et de son droit applicable, alors même que la France avait accepté sa compétence. Par ailleurs, dans la ligne de son arrêt N.S.., elle préserve ainsi l’autonomie du règlement n°343/2003 par rapport aux autres instruments de l’Union existant en matière d’asile. La Cour avait en effet jugé que « si toute violation des dispositions isolées des directives 2003/9, 2004/83 et 2005/85 par l’Etat membre compétent devait avoir pour conséquence que l’Etat membre dans lequel a été introduite une demande d’asile serait empêché de transféré le demandeur dans le premier Etat », cela « aurait pour effet d’ajouter un critère supplémentaire aux critères de détermination de l’Etat [responsable] » (arrêt N.S., pt 85).
La Cour de justice refuse de se pencher sur les circonstances de ce retrait. En occurrence, les demandeurs assurent n’avoir jamais entendu introduire de demande d’asile, de sorte que leur demande devrait être considérée non comme une demande d’asile mais comme une demande de titre de séjour. Toutefois, l’arrêt qu’elle prononce semble en partie guidé par cette circonstance. C’est également en raison de la spécificité de cette espèce que cet arrêt ne semble pas ouvrir la voie vers un « asile shopping », ni même entamer le principe d’objectivité qui guide le règlement « Dublin II ».