par Sabrina Bringuier-Fau, IRDEIC
La proposition de règlement relatif à un droit commun européen de la vente (COM (2011) 635 final) établit un droit uniforme contenant des principes propres à faire émerger une théorie générale du droit européen des contrats. Le texte consacre notamment le principe de « bonne foi-loyauté » : ce qui interpelle a priori, c’est le flou encore plus large que celui laissé bien souvent par l’utilisation d’un seul de ces mots qui s’accroît du fait de l’apposition de ces deux termes.
Quel est donc ce monstre à deux têtes qui pourrait veiller sur le droit européen du contrat ? Cet Amphibène européen semble donner deux directions aux contrats transfrontaliers. Rassurons-nous, ce pourrait être qu’une illusion ! D’ailleurs, n’est-ce pas la fonction première d’un tel principe de donner une direction à l’ensemble des règles qu’il inspire ? Ces termes dissimulent plus justement un contenu européen de la notion. Si chacun à une longue histoire dans les droits nationaux, la composition révèle la naissance d’un concept autonome de bonne foi-loyauté qui fait suite à une utilisation éparse et confondue des notions dans les textes de droit européen dérivé. Les notions de bonne foi et de loyauté ont été largement utilisées que ce soit dans les relations entre professionnels et consommateurs ou dans celles liant les professionnels entre eux. Cependant, les divers travaux académiques d’uniformisation d’un droit européen des contrats ont largement contribué à la construction d’un tel principe européen.
La réception de la bonne foi s’est faite progressivement, chacun découvrant de nouvelles déclinaisons particulières au principe. Ainsi, en 2008 les Principes contractuels communs ont fait apparaître un devoir de cohérence, outre les devoirs de loyauté – ou de respect mutuel – et de collaboration déjà visés par les Principes du droit européen des contrats en 1997 et dans le Code de Pavie, et la possibilité expresse d’une sanction contractuelle de la mauvaise foi. Le développement de la bonne foi durant toute la période contractuelle a conduit à l’établissement d’un principe général dirigeant le contrat dans son ensemble.
Le principe réapparaît dans la Terminologie contractuelle commune proposée par l’association Henri Capitant parmi les principes directeurs, dans la partie relative à la loyauté contractuelle. La loyauté contractuelle vise également la bonne foi comme principe directeur de comportement. Les principes Unidroit et les Principes du droit européen du contrat imposent également un devoir général de bonne foi qui fait référence aux notions anglaises de « good faith », traduite comme « la volonté d’agir honnêtement et équitablement » et au « fair dealing », le « fait d’agir avec loyauté ». La fonction première de ce principe est de maintenir un lien de confiance entre les parties en imposant une collaboration entre elles pour la réalisation des objectifs décrits au contrat. Cette bonne foi permet de réaliser un équilibre dans la relation contractuelle entre liberté et sécurité juridique.
La proposition de règlement s’inspire directement des notions anglaises et de ces travaux. Il en résulte une dichotomie de la définition qui comporte un aspect subjectif et un aspect objectif.
Le premier consiste à imposer l’honnêteté et la franchise des cocontractants, il incite à une moralisation des relations contractuelles en vue d’inspirer la confiance des contractants transfrontaliers. Le second renvoie à la prise en considération des intérêts de la partie cocontractante ; on y voit une forme de solidarité à distinguer cependant du solidarisme contractuel en ce qu’elle suppose une simple entraide et non une défense des intérêts communs. La bonne foi-loyauté apparait comme une norme de comportement (art. 2, § 1) au caractère impératif (art. 2, § 3) et pouvant engendrer plusieurs sanctions telles que la privation de l’auteur de l’exercice d’un droit, d’une action ou d’un moyen de défense ou la réparation des préjudices causés au cocontractant (art. 2, § 2).
On remarquera ici l’absence regrettable de référence à des sanctions contractuelles ou à toute sanction positive consistant en l’octroi d’un droit pour celui qui est victime de la mauvaise foi. La méthode d’appréciation choisie révèle en outre une volonté d’encadrement et d’objectivation de la notion. Le texte pose en effet plusieurs critères qui pourront guider le juge et invitent à un comportement raisonnable de la part de chaque partie tenant compte notamment de leur niveau de connaissance respective, de la prise en compte de l’intérêt de l’autre partie et des bonnes pratiques commerciales dans la situation en cause.
La bonne foi trouve des applications tant au niveau de la formation du contrat que de son exécution. En ce qui concerne les premières, elle fonde les obligations d’information (art. 23 et 28), justifie la sanction du dol (art. 49) et influe directement sur le régime de l’offre et de l’acceptation (art. 32 et 36). En ce qui concerne les secondes, la bonne foi-loyauté pourra faire naître des obligations implicites (article 68), justifier une évolution du contrat face à un changement des circonstances (art. 89), ou l’éviction des clauses abusives (art. 86), et enfin diriger le comportement général des parties au contrat dans l’exécution de leurs obligations en incitant à un comportement raisonnable et diligent (art. 74, 77, 97, 109, 148, 149, 152 et 163).
L’appréciation de ce caractère raisonnable reste encore à préciser et pourrait faire l’objet de développements dans les versions ultérieures de ce texte suite aux critiques émises par le Conseil économique et social européen (avis du 23 mars 2012, JOUE C 181, 21 juin 2012, p. 75) et les associations de consommateurs. Enfin, la bonne foi joue un rôle dans l’interprétation du contrat, mais de façon plus accessoire.
Le principe de bonne foi-loyauté véhicule donc des valeurs spécifiques à l’Union européenne de sécurité, solidarité et justice qui constituent un ferment dans la construction de l’ELSJ.