par Henri Labayle, CDRE
Cinquante et un jours après être parvenue à Luxembourg, la question du Conseil constitutionnel dans l’affaire Jeremy F. a reçu sa réponse. La Cour de justice de l’Union a rendu son arrêt le 30 mai (C 168/13 PPU). Ce dernier confirme les analyses menées dans le prochain numéro de la Revue française de droit administratif à paraître prochainement (H. Labayle et R. Mehdi, Le Conseil constitutionnel, le mandat d’arrêt européen et le renvoi préjudiciel à la Cour de justice, RFDA 2013 n° 3).
En substance, on s’en souvient, le Conseil constitutionnel avait, pour la première fois, interrogé la Cour de justice à titre préjudiciel, le 4 avril 2013 (CC 2013- 314 P QPC, voir notre commentaire ici même Never say never again : quand le mandat d’arrêt européen conduit le Conseil constitutionnel à poser sa première question préjudicielle à la Cour de justice). Il l’avait questionnée, en urgence et dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité sur le sens à donner à la décision-cadre 2002/584/JAI relative au mandat d’arrêt européen en ce qui concerne les recours offerts aux individus qui en sont l’objet. Celle-ci s’oppose-t-elle à ce que les Etats membres prévoient un recours suspensif à l’encontre d’une demande d’extension des poursuites pour une infraction autre que celle ayant motivé la remise d’un prévenu, dans un délai de 30 jours ? En d’autres termes, les délais impératifs de remise de la décision-cadre impliquaient-ils l’absence de « tout recours », telle que mentionnée par le Code de procédure pénale …
Au terme d’un raisonnement ciselé, la Cour délivre un arrêt important, aux détours duquel elle répond à toutes sortes d’interrogations explicites autant qu’ implicites.
1. La réponse à une question qui ne se posera plus
En premier lieu, et pour jeter un regard de strict droit interne, le Conseil constitutionnel est qualifié ici à plusieurs reprises par la CJUE de « juridiction de renvoi ». Le juge du Palais Royal se voit ainsi reconnaître définitivement les qualités d’une « juridiction » que d’aucuns jugeaient encore opportun de lui disputer.
Ce n’est pas le moindre des paradoxes de le voir ainsi recevoir cette onction européenne indiscutable, pour qui garde en mémoire sa conversion récente aux vertus de la construction juridique européenne. A la table du Seigneur, les ouvriers de la onzième heure ne sont donc pas les plus mal servis …
2. La réponse à la question qui était posée
Au fond, le juge de l’Union avalise notre opinion selon laquelle les difficultés résultant de l’impossibilité de former un recours suspensif à l’encontre d’une décision d’extension des poursuites, comme Jérémy Forrest en faisait le grief au droit français, relèvent, en l’état du droit positif, de la responsabilité du législateur interne.
Pour la CJUE, à regret, « force est de constater » que la décision-cadre ne réglemente pas la possibilité de former un tel recours, constat sur lequel elle ne s’étend pas outre-mesure, là où on aurait pu s’interroger sur la compatibilité de cette carence avec le droit primaire de l’Union. Elle procède donc à une opération de colmatage de cette brèche ouverte dans la protection des droits fondamentaux en deux temps.
– Immédiatement, elle ajoute qu’une « telle absence de réglementation expresse ne signifie pas que la décision-cadre empêche les États membres de prévoir un tel recours ou leur impose de l’instituer » (points 38 et 51), hypothèse sur laquelle elle va revenir plus loin.
Elle pose ainsi un certain nombre de repères visant à démontrer que la décision-cadre 2002/584 relative au MAE permet cependant d’assurer que les décisions prises bénéficient de toutes les garanties d’une protection juridictionnelle effective, conformément à l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux. En raison de « l’importance particulière » du droit à un recours effectif, il est bon de savoir que la procédure de remise entre Etats membres prévue par la décision-cadre est « exercée sous contrôle judiciaire », en conformité avec les exigences de la CEDH qui lie également les Etats membres.
– Dans un second temps, la Cour tire les conséquences du silence de la décision-cadre, du point de vue des Etats membres cette fois-ci. En effet, la décision-cadre 2002/584, dans son considérant 12, « n’empêche pas un État membre … d’appliquer ses règles constitutionnelles relatives, notamment, au respect du droit à un procès équitable » (point 53), « pour autant qu’il n’est pas fait échec à la décision-cadre » prend soin d’ajouter la Cour en un rappel discret mais ferme de sa jurisprudence Melloni commentée ici aussi. L’exercice de cette faculté étatique n’est cependant pas inconditionné et le juge s’attache à le cadrer.
Si la possibilité d’un recours à l’encontre de la décision « définitive » de remise découle nécessairement de la décision-cadre, nous dit-elle, « rien ne permet de considérer » qu’il doive en aller différemment pour ce qui est de la décision d’extension des poursuites. Celle-ci peut avoir en effet des conséquences autrement plus graves que la décision initiale de livraison et la Cour a manifestement ce risque à l’esprit.
Elle répond donc sans ambiguïté aucune à l’interrogation précise du Conseil constitutionnel : non, évidemment, la décision-cadre ne s’oppose pas à l’institution en droit interne d’un recours à l’encontre de la décision d’extension des poursuites.
Elle juge néanmoins utile d’en préciser les « limites » pour reprendre ses termes. La liberté de choix des moyens à utiliser pour atteindre le résultat fixé par la décision-cadre 2002/584, conformément à l’article 34 TUE de l’époque, ne permet pas aux Etats membres de perdre de vue son objectif : accélérer la coopération judiciaire en remplaçant le système d’extradition multilatéral par une technique plus efficace, celle du MAE.
La CJUE est alors conduite à de longs développements sur l’importance du respect des délais dans l’économie générale du MAE, délais d’au maximum 90 jours pour les cas exceptionnels. Explicitée à propos de la décision initiale de remise, l’obligation de remise dans ces délais est donc « exigée », sauf hypothèse d’une saisine de la Cour à titre préjudiciel.
Elle ne saurait pas davantage être négligée à propos de la décision d’extension qui doit être prise dans les trente jours, et c’est l’enseignement de l’arrêt C 168/13 PPU. Certes, cette décision n’a pas la même signification et la même portée que la décision de remise, puisque la personne en cause a déjà été remise à l’Etat demandeur. D’autre part, la « logique qui sous-tend » le MAE oblige ici aussi à la rapidité dans la réponse.
Pour cette raison autant que par souci de « cohérence », la Cour interprète donc la décision-cadre 2002/584 comme imposant de façon générale le respect des délais fixés dans son article 17, même si le silence gardé à propos de la décision d’extension justifiait que le délai mentionné expressément vise la « seule décision initiale et ne concerne pas le cas où un tel recours a été institué ».
C’est dans ce cadre strict que le juge français, au nom de la primauté du droit de l’Union rappelé en matière de MAE par la jurisprudence Melloni et respecté par la décision 2013-314 P QPC, devra exercer son contrôle en y adaptant les modalités de son examen.
3. La réponse à une question qui se pose aujourd’hui
Au delà et « à titre liminaire », la Cour apporte un éclairage instructif sur l’esprit et les principes qui président à la coopération judiciaire répressive des Etats membres au sein de l’Union. Celle-ci repose incontestablement sur « le degré de confiance élevé qui doit exister entre les Etats membres » (point 35). La jurisprudence Radu et Melloni nous l’a déjà rappelé, dans l’esprit de l’arrêt Gozütök qui avait promu la confiance mutuelle au rang de « principe » de l’ELSJ.
Ici, revenant à une lecture textuelle des règles présidant au fonctionnement de l’espace pénal européen, la Cour reprend les termes des conclusions de Tampere, renvoyant au « principe de reconnaissance mutuelle qui constitue la «pierre angulaire» de la coopération » pour fonder l’autorité de la décision-cadre instituant le mandat d’arrêt européen.
Cette reconnaissance mutuelle s’inscrit dans une double obligation de respect des droits fondamentaux dont la fonction est très utilement soulignée par la Cour en des termes relativement novateurs, de notre point de vue.
La première branche de cette obligation relève du droit de l’Union et de la décision-cadre elle-même, qui se réclame explicitement de ce respect. Agissant dans ce cadre général et spécial, les Etats membres de l’Union sont donc bien tenus par le droit à une protection juridictionnelle effective.
D’autant que, la seconde branche de cette contrainte repose sur les Etats eux-mêmes. Ces derniers sont liés individuellement sur ce point à la fois par leurs règles constitutionnelles et la CEDH, lorsqu’ils agissent dans le cadre de la procédure pénale de poursuite ou d’exécution de la peine ou de la mesure de sûreté privatives de liberté, ou encore dans le cadre de la procédure pénale au fond, dont la Cour prend soigneusement la peine de souligner qu’elles « restent en dehors du champ d’application de la décision-cadre et du droit de l’Union » (point 48).
Ce rappel lui ouvre alors l’occasion d’une précision déterminante au vu des doutes grandissants relatifs à une lecture intégriste de la reconnaissance mutuelle et de la confiance mutuelle qui est son corollaire.
La Cour ajoute avec raison que cette obligation de respect conforte, précisément, le degré de confiance élevé entre les États membres et le principe de reconnaissance mutuelle sur lequel repose le mécanisme du mandat d’arrêt européen. Car le principe de reconnaissance mutuelle sur lequel est fondé le système du mandat d’arrêt européen « repose lui-même sur la confiance réciproque entre les États membres quant au fait que leurs ordres juridiques nationaux respectifs sont en mesure de fournir une protection équivalente et effective des droits fondamentaux, reconnus au niveau de l’Union, en particulier, dans la Charte ».
Aussi précise-t-elle « c’est donc dans l’ordre juridique de l’État membre d’émission que les personnes faisant objet d’un mandat d’arrêt européen pourront exploiter les éventuelles voies de recours permettant de contester la légalité de la procédure pénale de poursuite ou d’exécution de la peine ou de la mesure de sûreté » (point 50).
Que demain cette certitude de l’équivalence de la protection des droits fondamentaux se réduise ou soit contrariée, faut-il en déduire que l’obligation ne tiendrait plus ? A quelles conditions et sous le contrôle de quel juge ?