par Marie Garcia, CDRE
Une récente étude publiée en février 2014, relative à la mise en œuvre de la directive retour en Italie, à Chypre et en Espagne rappelle combien la question de l’éloignement des étrangers en situation irrégulière demeure sensible. Le rapport « At the Limen », co-signé par diverses associations de défense des droits des étrangers (Andalucia Acoge, SOS Racismo, KISA, Borderline-Sicilia et Borederline-Europe) dresse un bilan mitigé de l’application des dispositions de la directive 2008/115/CE, au regard notamment de la rétention des migrants.
Les premières pages rappellent brièvement le contexte de la transposition de la directive dans chacun des Etats. En Espagne c’est la loi organique 2/2009 qui fait office de loi de transposition. Si l’étude n’entre pas dans le détail de ses dispositions, elle souligne cependant la relativité du principe du retour volontaire dont les nombreuses exceptions en dénaturent la portée, et regrette l’allongement de la durée de la rétention de 40 à 60 jours.
En Italie c’est la loi 129/2011, qui, intervenant après le délai de transposition imparti (24 décembre 2010) et l’arrêt de la CJUE El Dridi, met un terme à l’emprisonnement systématique des migrants en situation irrégulière et consacre le principe du retour volontaire. Le rapport souligne pourtant une volonté politique encline à privilégier le retour forcé, note un allongement de la durée de la rétention de 6 à 18 mois et dénonce l’absence d’un contrôle juridictionnel de la poursuite de la rétention à intervalles réguliers.
Enfin à Chypre, c’est la loi n.153(I)/2011 qui transpose également avec un retard certain les dispositions de la directive 2008/115/CE, instaurant pour la première fois une procédure de retour dans la législation nationale. Si les auteurs de l’étude restent néanmoins très sceptiques à l’égard de la transposition et de la mise en œuvre de ce nouveau droit, ils se réjouissent de la limitation de la durée de la rétention à 18 mois, dans un Etat qui jusqu’à présent n’en disposait pas.
Après une présentation générale, l’étude livre ses témoignages concernant les centres de rétention espagnols, chypriotes et italiens. Selon une méthode d’analyse ethnographique, le rapport décrit la réalité des lieux auxquels l’accès n’est pas toujours aisé et à l’intérieur desquels la liberté d’action des associations est strictement encadrée. Les interviews des migrants et des gestionnaires des centres démontrent à quel point la rétention constitue une des problématiques majeures du système européen de gestion des flux migratoires irréguliers.
En effet, les données factuelles recueillies pointent du doigt des défaillances inacceptables à l’intérieur des centres : une faible possibilité de contestation du placement en rétention et/ou de la prolongation de cette rétention, et des conditions de rétention peu regardantes du point de vue des standards de protection des droits de l’homme.
Les défaillances du contrôle de la rétention
L’étude soumet le lecteur à une réalité consternante : l’automaticité du placement du migrant irrégulier en rétention. Alors que la directive 2008/115/CE incité à privilégier « d’autres mesures suffisantes, mais moins coercitives », et à ne placer le migrant en rétention que lorsqu’il s’agit de « préparer son retour et/ou de procéder à son éloignement », l’étude dénonce le passage obligatoire des migrants en centre de rétention sans que l’état d’avancement de la procédure d’éloignement ne le justifie.
Le problème de la réarrestation est également au centre du rapport, puisque de nombreux migrants à peine sortis du centre sont à nouveau arrêtés. Dans certains cas même, les migrants, alors qu’ils viennent de purger une peine d’emprisonnement, sont placés en suivant en rétention administrative. La durée maximale de la rétention n’est donc pas respectée, particulièrement à Chypre, où finalement, la transposition de la directive n’a pas changé les habitudes prises sous l’empire de l’ancienne législation.
La durée excessive de la rétention des migrants s’explique notamment par le caractère lacunaire du contrôle juridictionnel. A Chypre, la contestation de la décision de placement en rétention ou de la prolongation de la rétention s’opère devant la Cour suprême sans effets suspensifs. Au regard des délais de traitement des affaires, la protection des migrants retenus s’en trouve affaiblie. Enfin, quand bien même les législations prévoient un contrôle de la rétention à intervalles réguliers, l’inexistence de procédures particulières contribue à bafouer le droit à un recours effectif. C’est le cas en Espagne où les modalités du contrôle juridictionnel ne sont pas précisées. Enfin en Italie, la prolongation de la rétention est ordonnée par le « Giudice di pace », l’équivalent du juge de proximité, à l’intérieur même des locaux de rétention.
Ces brèves considérations pointent du doigt une transposition inachevée ou approximative des dispositions de la directive « retour » relatives à la rétention, dans le droit national de ces Etats. Cependant, plus que le constat de l’échec de la directive « retour » comme le souligne le rapport, il s’agit surtout d’un problème politique de la gestion des flux migratoires par ces Etats. En d’autres termes, bien que le droit fixe des normes, pose des interdits ou autorise des comportements, il implique, et tout particulièrement dans le domaine des migrations, une volonté politique assez forte pour le mettre effectivement en œuvre. Il relève donc de la responsabilité des Etats membres de transposer, au regard du principe de coopération loyale, les directives européennes selon les moyens qu’ils jugent les plus adéquats pour atteindre les objectifs fixés par celles-ci. Au besoin la jurisprudence de la CJUE les guide dans la réalisation de cette tâche.
Concernant la directive « retour », la Cour a largement précisé ses objectifs rappelant qu’il s’agit d’éloigner effectivement les migrants irréguliers dans le respect d’une procédure de retour encadrée. Dès lors, la durée de la rétention, pour être conforme, doit être calculée selon certaines modalités (jurisprudence Kadzoev) et le recours à la rétention et sa prolongation doivent remplir certaines conditions (Jurisprudences El Dridi et Achughbabian).
Aussi, le droit de l’Union européenne ne peut se substituer à des comportements politiques nationaux peu scrupuleux.
Le récit de la vie des migrants retenus en Italie, en Espagne et à Chypre, en est la triste illustration.
Le non respect des conditions de rétention
Le paragraphe 1 de l’article 16 de la directive 2008/115/CE préconise de placer les ressortissants de pays tiers faisant l’objet d’une procédure de retour « dans des centres de rétention spécialisés ». Ce n’est que de manière exceptionnelle que la directive autorise le placement dans un établissement pénitentiaire, en imposant la séparation des migrants irréguliers des prisonniers de droit commun.
Le rapport reproche pourtant aux trois Etats parties à l’étude d’avoir trop souvent recours à l’emprisonnement. Plusieurs facteurs l’expliquent.
Tout d’abord la pénalisation du statut du migrant irrégulier qui a largement contribué à sanctionner le séjour irrégulier par une peine d’emprisonnement. La jurisprudence El Dridi met fin à cette pratique mais il n’en demeure pas moins que le respect en demi-teinte des indications de la CJUE ou certains subterfuges législatifs maintiennent ce phénomène.
Un argument géographique rappelle également la position délicate de l’Espagne, de l’Italie et de Chypre. Aux portes de l’Europe, ces trois Etats sont particulièrement touchés par les flux migratoires. Qu’ils soient exceptionnels (printemps arabe) ou presque quotidiens (Lampedusa, Ceuta…) le nombre exponentiel de candidats à l’immigration pose la question des capacités d’accueil des Etats concernés. Non pas qu’il s’agisse de légitimer l’emprisonnement des migrants irréguliers, cet aspect ouvre néanmoins la réflexion sur la question d’une gestion plus solidaire du phénomène migratoire entre tous les Etats membres de l’Union.
Enfin, dans le cas particulier de Chypre, l’année 2013 marquera la construction du premier centre de rétention, « Mennogia Detention Centre », d’une capacité de 256 places, expliquant alors que les migrants soient le plus souvent placés dans des centres pénitentiaires ou des cellules de garde-à-vue dans les postes de police.
De fait, le mélange avec les prisonniers de droit commun est fréquent et l’absence de protection des personnes vulnérables tels que les mineurs ou les demandeurs d’asile, monnaie courante.
S’ajoute à cela l’épineux problème de la gestion des centres. La directive retour ne donne aucune indication particulière sur les organes ou autorités habilités à gérer les centres de rétention. Si les Etats membres disposent d’une certaine marge de manœuvre, il n’en demeure pas moins que l’article 16 de la directive pose des conditions garantissant à la fois le droit de vivre dignement pour les retenus et l’obligation des Etats d’accepter la visite d’organisations nationales ou internationales à l’intérieur des centres.
Dans le même esprit le considérant 17 rappelle que « les ressortissants placés en rétention devraient être traités humainement et dignement dans le respect de leurs droits fondamentaux (…) ».
Cependant la réalité du terrain diffère largement de ces déclarations d’intentions auxquelles ont pourtant préalablement souscrits les Etats membres.
Le rapport souligne l’omniprésence de la police dans les centres ou structures faisant office de centre de rétention. Rien d’illégal mais de nombreuses conséquences sur la vie des migrants lorsque l’on conjugue ce phénomène à d’autres problèmes connexes.
En effet l’étude démontre que le temps de visite très réduit qui est imparti aux travailleurs sociaux (ONG, médecins, conseillers) fait de la police l’interlocuteur principal du migrant retenu. Difficile dès lors pour le migrant de pouvoir demander l’exercice de ses droits à celui qui par définition a pour mission de mettre en œuvre sa rétention.
L’absence de règles précises, de règlement intérieur (alors qu’il s’agit d’une obligation prévue à l’article 16§6 de la directive) sème également le trouble entre les policiers et les migrants, les uns devant « improviser », les autres s’adapter à des codes implicites.
Enfin l’absence de formation particulière des policiers ne permet pas à ces derniers de maîtriser toujours correctement le phénomène auquel ils sont confrontés et débouche trop souvent sur de la maltraitance envers les migrants.
Le cas italien, particulièrement préoccupant, est révélateur du désengagement de l’Etat en la matière. Bien que la législation prévoie que le préfet soit en charge des centres de rétention, elle autorise également la délégation de cette gestion à des sociétés privées. Répondant à un appel d’offre, les sociétés sont alors en charge de la maintenance, des soins de santé, de l’assistance psychologique et sociale, de l’assistance légale, du service de nettoyage, de la distribution de vêtements… Le procédé aurait pu être efficace si le rapport ne soulignait pas la gestion catastrophique de ces sociétés, qui ne payant pas ses propres employés ont vu certains des centres fermés ou une qualité des services revue à la baisse.
Au regard des questions délicates que la gestion de l’immigration irrégulière soulève (ordre public, utilisation de mesures coercitives, privation de liberté, accès au juge, respect des droits fondamentaux), l’on est en droit de s’interroger sur l’opportunité de la délégation de l’ensemble de la gestion des centres à des entrepreneurs, aussi doués soient-ils.
Enfin, c’est l’état des infrastructures qui est visé par le rapport, au regard des exigences d’hygiène et de salubrité qui sont notamment posées par les 20 principes directeurs du Comité des ministres du Conseil de l’Europe du 4 mai 2005 sur le retour forcé (considérant 3 du préambule de la directive « retour »). La surpopulation, le manque d’espace, de personnels, l’absence de règles, le mélange de statuts (demandeurs d’asile, famille, mineurs…), la vétusté des locaux confrontent les résidents de ces centres à des situations insoutenables. Peu d’ouvertures sur l’extérieur, peu d’intimité, peu de pièces adaptées aux particularités de chacun, participent à la dégradation du statut du migrant irrégulier.
Souhaitons alors que les diverses évaluations de la mise en œuvre du droit de l’Union par les Etats membres permettent à ces trois Etats, et certainement à d’autres, de progresser dans l’établissement d’une législation permettant un retour de l’étranger conforme aux objectifs poursuivis par la directive retour.