par Henri Labayle, CDRE
Sans surprises, le débat dans l’Union relatif à la lutte contre le terrorisme le demeure. Un mois plus tard, l’émotion provoquée dans l’opinion publique par les attentats parisiens n’est en rien relayée de façon opérationnelle par les Etats membres, davantage désireux de récupération politique et de déploiement de dispositifs sécuritaires que de souci d’analyse et donc d’efficacité.
A la veille du Conseil européen programmé les 12 et 13 février prochains et consacré à la lutte contre la violence terroriste, le contraste des postures respectives des Etats membres et des institutions de l’Union est révélateur des arrières pensées des uns et des autres. Il n’augure rien d’encourageant.
1. Cécité étatique
Nul n’a été surpris du fond des réactions des Etats membres, y compris dans leur réunion de Riga. Esquivant leurs propres responsabilités, ils omettent soigneusement qu’ils avaient conservé par devers eux l’exclusivité des responsabilités en matière de sécurité intérieure. L’article 4 §2 du TUE ne souligne-t-il pas que « en particulier la sécurité nationale reste de la seule responsabilité de chaque Etat membre », exclusivité confirmée par l’article 72 TFUE ?
L’ampleur du procès en sorcellerie européenne et de la volonté d’externaliser le poids des responsabilités à la suite des attentats de Paris n’en surprend pas moins. S’il est classique que le Pouvoir tente de s’exonérer du poids de ses défaillances en accusant l’autre, ici la charge contre l’Union européenne surprend par sa mauvaise foi.
Le poids des circonstances extérieures n’est pas à négliger dans le parcours criminel des auteurs de ces attentats mais est-il sérieux pour autant de nier les manques nationaux de l’action policière et les erreurs de diagnostic comme de traitement d’individus ayant échappé aux radars internes ? Mettre en cause le dispositif Schengen comme il est de mode de le faire à Paris, tous bords confondus, est-il convaincant lorsque l’on sait que l’un des criminels ne s’est jamais rendu en Syrie ou en Irak ?
De fait, la mise en cause des outils et des cadres de travail de l’Union ne masque en rien le sérieux des constats posés par Gilles de Kerchove, coordonnateur de la lutte anti-terroriste dans l’Union. La faillite de ce qui est au coeur de l’action, le renseignement, est patente.
Ainsi, la participation des services des Etats membres à la collecte et au partage des renseignements est totalement défaillante. Au grand déplaisir de certains Etats, le coordonnateur souligne de la sorte à l’adresse de ceux qui pointent les manquements de l’Union que 4 Etats membres seulement fournissent 80 % des données disponibles à Europol Focal Point Travellers et que, si le nombre des prises en charge par Europol a augmenté de 52% depuis 2011, celui des prises en charge par les autorités nationales n’a progressé que de 2% … De même, les outils que sont le Système d’information Schengen et le Système d’information Europol sont-ils notoirement négligés.
Un tel contexte n’incite guère à l’optimisme, au vu de l’ampleur des efforts d’harmonisation à réaliser dans un champ autrement plus complexe que le champ technique, celui de la perception commune d’une violence terroriste nouvelle mettant en question les choix et le ciment des sociétés nationales.
Il n’est guère étonnant dans ce contexte que les conclusions à venir des chefs d’Etat et de gouvernement suscitent, avant même leur publication, le doute et le scepticisme. Précédées de réunions de leurs ministres de l’Intérieur et des affaires étrangères, elles témoignent de leurs difficultés à se départir d’un discours vélléitaire.
2. Attentisme institutionnel
Le discours étatique a eu pour effet imprévu d’inciter ses deux partenaires, le Parlement et la Commission, à la prudence sinon à l’immobilisme.
Les deux institutions partagent la conscience de la fragilité des sociétés contemporaines, ouvertes et donc vulnérables. Leur calendrier n’est donc pas celui des Etats.
Pour ce qui est de la Commission, à peine entrée en fonction, le baptême est rude, après celui de la crise migratoire en Méditerranée de l’automne. Réunie en collège le 21 janvier, elle s’est engagée à soutenir les efforts des Etats membres dont elle ne manque pas de souligner la « responsabilité première » en la matière, notamment et y compris dans l’exercice de ses prérogatives législatives.
Elle semble ainsi prête à une modification nécessaire de la législation anti-terroriste européenne conduisant à permettre l’incrimination du terrorisme des « combattants étrangers », en ligne avec la résolution 2178 du Conseil de sécurité des Nations Unies. L’envoi d’experts en matière de terrorisme dans les délégations sensibles de l’Union tout comme la coopération avec les Etats tiers sensibles, dans le monde arabe notamment, reçoivent son appui.
De même, elle paraîtrait porter une oreille attentive aux autres suggestions de Gilles de Kerchove, telles que l’évolution d’ECRIS (European Criminal Records Information System) et des échanges qu’il permet en matière de casiers judiciaires, ou que l’élargissement du rôle d’Eurojust en ce qui concerne la coopération judiciaire avec les pays tiers.
Pour le reste, les points durs demeurent et le choix de la Commission de présenter une approche globale en matière de sécurité intérieure au mois de mai 2015, à travers une « Stratégie de sécurité intérieure », ne l’incite pas à bousculer les agendas.
C’est d’abord le cas à propos de Schengen, dont les ministres de l’Intérieur souhaitent une modification du Code « frontières » afin de systématiser les contrôles aux frontières extérieures sur les ressortissants de l’Union. Prudemment, la Commission rappelle d’une part que cette modification doit s’inscrire dans un cadre légal, c’est-à-dire ne peut aller à l’encontre du principe constitutionnel de libre circulation, et, d’autre part, que cette « modification ciblée » est déjà satisfaite par la possibilité de contrôles aléatoires. Avec une belle hypocrisie, personne n’y ajoute d’ailleurs la question du sort fait à la Roumanie et à la Bulgarie en ces domaines …
C’est ensuite et surtout le cas à propos du dossier PNR , lui aussi mis en avant par les Etats membres emboitant le pas à leur coordonnateur anti-terroriste. Si le dossier est compliqué, on en comprend la philosophie : éviter la multiplication et la rivalité de systèmes nationaux et accepter ensemble ce que l’on s’accorde à faire avec les Etats Unis.
Ici, la Commission a vocation à faire le tampon entre les deux autorités législatives, en conflit frontal sur la question de la protection des données à caractère personnel dont le dossier PNR est un volet.
Le blocage des textes généraux en suspens sur la protection des données dans l’Union n’est pas un facteur d’amélioration. Certains Etats s’interrogent en effet sur l’opportunité d’élargir la proposition de directive sur le traitement des données en matière d’entraide répressive aux questions de sécurité publique quand celle-ci ne traite que de la prévention et de la répression du crime.
Légitimement inquiet de cette poussée sécuritaire mal canalisée, le Parlement européen réclame une approche globale et de long terme, sans être tout à fait certain que ses membres résisteront aux pressions de leur Etat d’origine, quitte à sacrifier la proportionnalité à la nécessité. Le secours des structures dédiées à la protection des données à caractère personnel risque donc de ne pas y suffire.
Dans ce contexte donc, l’essentiel, c’est-à-dire l’équilibre entre la recherche d’efficacité dans la poursuite du crime et la protection des droits fondamentaux, n’est pas l’idée dominante de l’approche des chefs d’Etats et de gouvernement. Faut-il s’en surprendre ?