Le droit pénal de l’Union européenne connaît un tel développement depuis 1999 qu’il serait incorrect de le considérer encore comme une branche émergente du droit européen. Pour autant, nul ne peut nier que la construction de l’espace pénal européen, composante répressive de l’Espace de liberté de sécurité et de justice (ELSJ), est dépendante de la consolidation des principes, des instruments, ainsi que des concepts juridiques de droit pénal de l’Union. Le Traité de Lisbonne, entré en vigueur en décembre 2009, a fait avancer ce processus en donnant les moyens institutionnels et juridiques à l’Union européenne de renforcer la matière pénale, en vue d’une coopération judiciaire et policière efficace mais aussi d’une protection effective des droits fondamentaux. Tel que cela ressort des orientations stratégiques pour l’ELSJ de 2014 (Conclusions du Conseil, 27 juin 2014, EUCO 79/14), l’âge atteint est celui de la maturité, de la responsabilité. Ce qui implique un travail de fond, délicat, consistant à approfondir la théorisation du droit pénal de l’Union européenne.Les textes de droit dérivé – décisions-cadre, puis directives – se sont démultipliés et à travers eux le droit pénal européen a affirmé une identité. Le mécanisme de circulation des décisions pénales reposant sur le principe de reconnaissance mutuelle en est sans doute la caractéristique principale. Or, quinze ans après l’adoption de l’instrument emblématique, le mandat d’arrêt européen, l’étude de la législation et de la jurisprudence de l’Union révèle un décalage entre le développement exponentiel des outils de répression d’un côté et, de l’autre, le manque de conceptualisation du droit pénal de l’Union. Une situation dont les conséquences ne sont pas uniquement théoriques. En effet, le contentieux en interprétation du droit dérivé européen devant la Cour de justice de l’Union européenne témoigne des difficultés rencontrées par les juges nationaux en l’absence de délimitation claire des contours des notions pénales clés. Cette absence nuit à la cohérence, mais peut surtout devenir un véritable obstacle à la mise en œuvre des instruments de coopération pénale dans les Etats membres.
Ainsi en atteste l’acuité de la question de savoir ce qu’est une autorité judiciaire au sens du droit pénal de l’Union européenne ? Placée au cœur du mécanisme de reconnaissance mutuelle des décisions de justice, la notion d’autorité judiciaire n’est pourtant pas définie dans les instruments de coopération pénale dont le mandat d’arrêt européen. Les conceptions constitutionnelles nationales de l’autorité judiciaire ou encore la conception développée par la Cour européenne des droits de l’homme ne semblent pas suffire à répondre à cette interrogation, soulevée dans le contexte particulier du droit pénal européen. La Cour de justice de l’Union, elle, s’est jusque là prononcée uniquement sur la notion de juridiction dans le cadre du renvoi préjudiciel. Or, si toute juridiction nationale peut être envisagée comme une autorité judiciaire, l’inverse n’est pas vrai. Somme toute, un positionnement de la juridiction de l’espace pénal européen sur cette notion juridique centrale de la coopération pénale apparaît délicat mais nécessaire.
Saisie de questions préjudicielles concernant la définition de l’autorité judiciaire dans la décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen, la Cour de justice se prononce, enfin, dans deux arrêts du 10 novembre 2016 : CJUE, Krzysztof Marek Poltorak, C-452/16 PPU ; CJUE, Ruslanas Kovalkovas, C-477/16 PPU. Cette jurisprudence récente est alors l’occasion de mieux souligner l’omniprésence de la notion d’autorité judiciaire en droit pénal européen d’abord (1) et, ensuite, de retenir les premiers éléments de définition de la notion européenne d’autorité judiciaire (2).
1. L’omniprésence de la notion “d’autorité judiciaire” en droit européen de la coopération pénale
Dès 2002, le mandat d’arrêt européen matérialise l’exigence d’une coopération pénale directe entre autorités judiciaires nationales, distinguant ces dernières comme le rouage central du mécanisme de reconnaissance mutuelle des décisions répressives.
Dans un premier temps, cette judiciarisation de la coopération pénale, et plus précisément de la procédure de circulation des décisions de justice dans l’espace européen, se remarque en ce qu’elle rompt avec les instruments de droit pénal international classique. Ainsi, « l’objectif assigné à l’Union de devenir un espace de liberté, de sécurité et de justice conduit à supprimer l’extradition entre États membres et à la remplacer par un système de remise entre autorités judiciaires » (Csdt 5, DC du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen, 2002/584/JAI). Mais placer l’autorité judiciaire nationale au cœur du mécanisme européen de coopération pénale n’est pas seulement un gage d’efficacité.
Dans un second temps – celui de la maturité -, l’autorité judiciaire est en effet identifiée comme la garante du respect des droits et libertés individuels dans la procédure de reconnaissance mutuelle des décisions de justice. Ce qui apparaissait déjà au considérant 8 du préambule de la décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen en vertu duquel « les décisions relatives à l’exécution du mandat d’arrêt européen doivent faire l’objet de contrôles suffisants, ce qui implique qu’une autorité judiciaire de l’État membre où la personne recherchée a été arrêtée devra prendre la décision de remise de cette dernière », a été par la suite systématisé par la Cour de justice. Dans son arrêt Jeremy F du 30 mai 2013 (C‑168/13 PPU), la Cour relève que l’intervention de l’autorité judiciaire nationale à tous les stades de la procédure, d’émission et d’exécution, des mandats d’arrêt européens confère à celle-ci toutes les garanties nécessaires à la protection des droits fondamentaux. En d’autres termes, le facteur principal de validité extraterritoriale de la décision de justice pénale qui circule est d’avoir été émise (et d’être exécutée) par une autorité judiciaire. La Cour de justice de l’Union européenne insiste : elle exige que « toute la procédure de remise entre Etats membres soit exercée sous contrôle judiciaire » (CJUE, Ruslanas Kovalkovas, 10 novembre 2016, C-477/16 PPU, §37 et §43).
Suivant cette même logique, la place de la notion d’autorité judiciaire en droit pénal européen va encore être étendue. D’abord, il semble que la Cour de justice dans l’arrêt Jeremy F (CJUE, 30 mai 2013, C‑168/13 PPU, §47) fasse de la judiciarisation de la procédure de reconnaissance mutuelle le moyen de respecter le droit à un recours effectif prévu à l’article 47§1 de la Charte en vertu duquel « toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal ». Mais à cet égard la conformité du droit pénal dérivé de l’Union à l’article 47§1 de la Charte peut-elle vraiment reposer sur le rôle central des autorités judiciaires nationales en coopération pénale ? Il est raisonnablement permis de douter que cela soit suffisant.
Moins surprenante mais tout aussi remarquable est, ensuite, la place accordée à la notion d’autorité judiciaire dans le nouvel instrument mettant en œuvre le principe de reconnaissance mutuelle au stade de l’enquête. L’article 1er de la directive concernant la décision d’enquête européenne en matière pénale du 3 avril 2014 (2014/41/UE) prévoit en effet que « la décision d’enquête européenne est une décision judiciaire qui a été émise ou validée par une autorité judiciaire d’un État membre (ci-après dénommé «État d’émission») afin de faire exécuter une ou plusieurs mesures d’enquête spécifiques dans un autre État membre (ci-après dénommé «État d’exécution») en vue d’obtenir des preuves conformément à la présente directive ». Pour cet instrument au carrefour entre la coopération policière et judiciaire, la judiciarisation totale de la procédure marque un tournant important.
Cette omniprésence de la notion d’autorité judiciaire dans les instruments européens de coopération pénale ne pouvait faire plus longtemps l’économie d’une définition de l’autorité judiciaire en droit pénal européen. La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union en donne les premiers éléments.
2. Les éléments de définition de l’autorité judiciaire en droit européen de la coopération pénale
Le 10 novembre 2016, la Cour de justice de l’Union a rendu deux décisions concernant directement la notion d’autorité judiciaire telle qu’utilisée dans la décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen. Dans ces arrêts la question préjudicielle posée au juge européen était de savoir si l’autorité d’émission du mandat d’arrêt européen, dans un cas le Ministère de la justice lituanien (CJUE, Kovalkovas, C-477/16) et dans l’autre les services de police suédois (CJUE, Poltorak, C-452/16), relève de la notion d’autorité judiciaire de telle sorte que le mandat d’arrêt européen émis par ces organes nationaux entre bien dans le champ d’application du mécanisme de reconnaissance mutuelle ? Comme cela a été dit plus haut, une définition européenne de la notion d’autorité judiciaire semble bien nécessaire. Cependant, l’approche retenue par la Cour de justice qui consiste notamment à faire de la notion d’autorité judiciaire une notion autonome du droit de l’Union n’était, elle, pas forcément attendue.
Certes ce n’est pas la première fois que la Cour de justice de l’Union européenne utilise l’outil des notions autonomes du droit de l’Union en matière pénale (v. not. CJUE, Pawel Dworzecki, 24 mai 2016, C-108/16 PPU ; CJUE, JZ c. Prokuratura Rejonowa Lodz, 28 juillet 2016, C-294/16 PPU). Mais cela ne doit pas faire oublier pour autant la prégnance en droit pénal de l’Union du principe de l’autonomie procédurale des Etats membres qui, en cas de renvoi exprès par le droit dérivé aux droits nationaux, confère une marge de manœuvre importante au stade de la transposition dans l’ordre juridique interne.
Or, les instruments de reconnaissance mutuelle, dont le mandat d’arrêt européen, opèrent ce renvoi quant à la détermination des autorités judiciaires nationales compétentes pour l’exécution et l’émission des mandats. Aussi, la Cour de justice a du justifier sa démarche de définition de la notion d’autorité judiciaire. Pour cela, elle distingue, de manière un peu artificielle, entre l’acte de désignation de l’autorité compétente, qui relève des systèmes nationaux, et le contenu même de la notion d’autorité judiciaire qui, lui, relèverait des notions autonomes du droit de l’Union (CJUE, Poltorak, C-452/16, §30). Ce faisant, « le sens et la portée de la notion d’ « autorité judiciaire »…ne sauraient être laissés à l’appréciation de chaque Etat membre » (CJUE, Poltorak, C-452/16).
A fortiori, la qualification de notion autonome du droit de l’Union a un impact important sur le travail de définition effectué. Il est essentiellement de deux ordres. Premièrement, cela permet à la Cour de donner librement des critères de définition auxquels le législateur et le juge pénal national vont devoir se référer lorsqu’ils mettent en œuvre le droit pénal de l’Union. On s’étonnera alors du style cursif de la définition de l’autorité judiciaire posée récemment par la Cour de justice. Dans les arrêts précités du 10 novembre 2016, l’autorité judiciaire est définie comme toute « autorité appelée à participer à l’administration de la justice dans l’ordre juridique concerné » (CJUE, Poltorak, §33 ; CJUE, Kovalkovas, §34).
Cette formule générale n’est pas suivie de critères positifs de définition qui auraient pu porter notamment sur les qualités d’une autorité judiciaire selon le droit de l’Union. Seul un critère fonctionnel transparaît dans ces décisions lorsque la Cour de justice exige que l’autorité nationale désignée dans l’ordre interne soit en mesure d’exercer « un contrôle judiciaire » de la procédure de coopération (CJUE, Poltorak, § 44 ; CJUE, Kovalkovas, §43). Malgré tout, suivant ces quelques éléments, le juge européen de Luxemboug décide d’exclure le Ministère de la justice lituanien et les services de police suédois de la catégorie des autorités judiciaires. Plus engageante peut-être pour l’avenir sera sa décision de considérer, dans un autre arrêt du même jour Halil Ibrahim Ozçelik (C-453/16 PPU), que « le Ministère public étant une autorité appelée à participer à l’administration de la justice pénale d’un Etat membre, la décision d’une telle autorité doit être considérée comme étant une décision judiciaire » (§34).
En second et dernier lieu, la conception de la notion autonome d’autorité judiciaire ne peut être que finaliste, voire contextuelle, dès lors que son interprétation par la Cour de justice de l’Union « doit être recherchée en tenant compte à la fois des termes de cette disposition, du contexte dans lequel elle s’insère et de l’objectif poursuivi par la décision-cadre » (not. CJUE, Poltorak, §32). Rassurant quant à la portée de la définition actuelle de la notion européenne d’autorité judiciaire, cela signifie que la jurisprudence étudiée serait limitée à l’instrument du mandat d’arrêt européen sauf à considérer, plus justement, que l’approche de l’autorité judiciaire en coopération pénale est davantage rattachée au principe source, et transversal, de la reconnaissance mutuelle des décisions pénales. La consécration de la notion européenne d’autorité judiciaire n’en serait alors qu’à ses débuts.