La protection et la circulation des personnes, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’espace juridique européen, entre cet espace et les pays tiers, font partie de ces thématiques en perpétuel questionnement. L’impression qui peut être éventuellement aujourd’hui la nôtre d’une accélération de l’histoire avec ce que l’on appelle volontiers « la crise des migrants » est évidemment trompeuse.
Mais sur un terrain strictement juridique, les choses sont sans doute un peu différentes. De profondes transformations sont à l’œuvre et quatre publications récentes(*) permettent de dresser un aperçu sans doute assez complet du type de réflexions qui se nourrissent de ces évolutions.
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La protection et la circulation des personnes, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’espace juridique européen, entre cet espace et les pays tiers, font partie de ces thématiques en perpétuel questionnement. L’impression qui peut être éventuellement aujourd’hui la nôtre d’une accélération de l’histoire avec ce que l’on appelle volontiers « la crise des migrants » est évidemment trompeuse. Mais sur un terrain strictement juridique, les choses sont sans doute un peu différentes. Les solutions internationales échafaudées au XIXe siècle et surtout dans la première moitié du XXe siècle sont aujourd’hui confrontées à de nouvelles constructions internationales de droit public comme de droit privé et à l’émergence d’un espace juridique européen très fortement construit. De profondes transformations sont à l’œuvre et quatre publications récentes (CUBIE (D.). – The International Legal Protection of Persons in Humanitarian Crises. Exploring the Acquis Humanitaire. – Oxford : Hart Publishing, 2017 ; O’SULLIVAN (Maria), STEVENS (Dallal). – States, the Law and Access to Refugee Protection. Fortresses and Fairness – Oxford : Hart Publishing, 2017 ; BERNERI (Chiara). – Family Reunification in the EU. The Movement and Residence Rights of Third Country National Family Members of EU Citizens. – Oxford : Bloomsbury, 2017 ; PFEIFF (S.). – La portabilité du statut personnel dans l’espace européen. – Bruxelles : Bruylant, 2017) permettent de dresser un aperçu sans doute assez complet du type de réflexions qui se nourrissent de ces évolutions.
Le premier travail de D. Cubie est une somme. Il marque l’engagement de son auteur à vouloir démontrer que, dans le foisonnement des règles et pratiques juridiques construites au niveau national, international et régional autour de la protection de la personne, un « acquis humanitaire » émerge comme une réalité, certes perfectible, mais indépassable. L’approche proposée se veut théorique (identification du contexte, définition de l’acquis, protection des personnes lors des crises humanitaires, renforcement du « réseau » (web) de protection légale internationale) et analytique (étude des grands corps de règles existants : droits fondamentaux, droit des conflits armés, droit international pénal, droit international des catastrophes, droit des réfugiés et des personnes déplacées). Elle s’achève par une proposition récapitulative sur ce que l’auteur appelle joliment « la cristallisation » d’un droit général à assistance humanitaire et le développement futur de l’acquis humanitaire. Les ressources du droit européen (CEDH plus que UE) sont largement exploitées même si l’orientation du travail privilégie des constructions de droit international public.
Le deuxième ouvrage collectif, dirigé par M. O’Sullivant et D. Stevens, porte de manière plus classique sur la protection des réfugiés. Deux difficultés principales sont envisagées dans l’ouvrage : le franchissement des obstacles à l’accès physique au territoire et les barrières à l’accès à une procédure d’asile de qualité. Trois disciplines sont mobilisées pour les traiter : le droit, la sociologie et la science politique. Les contributions alternent les analyses théoriques (autour de l’asile et de sa justice) et empiriques (de très nombreuses situations sont étudiées, sur terre comme sur mer, en Europe et dans le monde). Les sources de droit européen (UE) sont abondamment exploitées.
Le troisième ouvrage est le fruit d’une thèse préparée à l’Université d’Eidembourg par C. Berneri. Il porte sur une situation bien identifiée en droit de l’UE : le sort – séjour et circulation – des familles comprenant des citoyens européens et des ressortissants d’Etats tiers. L’approche est parfaitement documentée (on trouvera une table complète jusqu’en 2016 de la longue série jurisprudentielle nourrie par la Cour de justice sur ce sujet et une place importante est consacrée à la soft law, sans que les sources de droit primaire et dérivé classiques soient négligées pour autant). L’analyse n’est pas franchement originale mais elle est bien faite (notamment pour la séquence jurisprudentielle pré-Zambrano à post-Dereci). Le principal intérêt de ce travail demeure sa dimension historique. L’auteur fait un très gros effort pour dresser l’historiographie de son sujet, des premiers accords bilatéraux entre Etats membres européens aux derniers soubresauts de la jurisprudence de la Cour de justice.
Le dernier ouvrage, signé S. Pfeiff, est également le résultat d’un travail de doctorat, préparé à l’Université de Liège et l’Université Libre de Bruxelles. C’est une véritable thèse en ce que l’auteur propose de revisiter les constructions du droit de la famille, du droit international privé, du droit européen et des droits fondamentaux pour porter théoriquement et pratiquement (l’auteur pousse très loin son analyse en termes de mise en œuvre) l’hypothèse, qu’en exerçant leurs droits de circuler dans l’espace européen, les personnes physiques sont amenées à porter un statut juridique qui fait partie de leur identité et dont le véhicule pourrait être une méthode européenne de la reconnaissance au domaine d’application clairement défini. On ne peut qu’être frappé par la très grande qualité et maturité de ce travail (les positions sont documentées, claires, argumentées et mesurées). On se permettra néanmoins une remarque critique (en lien « égoïste » avec une recherche en cours) : la portabilité du statut a, selon l’auteur (et une opinion largement partagée), pour point juridique d’ancrage une liberté de circuler, elle-même portée par un double arsenal (UE et CEDH) de droits fondamentaux ; cette assertion mérite d’être véritablement discutée ; la méthode de la reconnaissance (et ici la portabilité du statut) entretient des rapports passablement confus avec les phénomènes souvent complexes et protéiformes de circulation : elle provoque sa propre circulation en même temps qu’elle s’y réfère pour justifier de son existence ; pour casser ce raisonnement circulaire, il faut discuter ce point d’ancrage par une approche à la fois phénoménologique et épistémologique des mouvements, flux et autres déplacements auxquels les constructions du droit sont susceptibles de s’intéresser (c’est l’objet du projet IFITIS).
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(*) CUBIE (D.). – The International Legal Protection of Persons in Humanitarian Crises. Exploring the Acquis Humanitaire. – Oxford : Hart Publishing, 2017. – 400 p. – ISBN : 9781849468008 ; O’SULLIVAN (Maria), STEVENS (Dallal). – States, the Law and Access to Refugee Protection. Fortresses and Fairness – Oxford : Hart Publishing, 2017. – 336 p. – ISBN : 9781509901289 ; BERNERI (Chiara). – Family Reunification in the EU. The Movement and Residence Rights of Third Country National Family Members of EU Citizens. – Oxford : Bloomsbury, 2017. – 160 p. – ISBN : 9781509904785 ; PFEIFF (S.). – La portabilité du statut personnel dans l’espace européen. – Bruxelles : Bruylant, 2017. – 718 p. – ISBN : 9782802757429