A ce jour, l’unique moyen de prendre la situation d’un enfant en considération dans la procédure du mandat d’arrêt européen consiste à recourir au motif de non-exécution obligatoire de l’article 3.3 de la décision-cadre 2002/584/JAI du 13 juin 2002. En effet, si la directive 2016/800 (UE) assoit depuis peu la nécessité d’une procédure particulière en matière de délinquance juvénile, les instruments de coopération judiciaire dans l’ELSJ ne distinguent toujours pas le mineur du majeur.
L’arrêt Dawid Piotrowski (C-367/16) rendu le 23 janvier 2018 par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) s’attelle, enfin, à l’interprétation de ce motif de non-exécution obligatoire et revêt de ce fait une importance capitale en matière de droit pénal des mineurs.
En vertu de l’article 3.3 de la décision-cadre 2002/584, «si une personne qui fait l’objet du mandat d’arrêt européen ne peut, en raison de son âge, être tenue pénalement responsable des faits à l’origine de ce mandat selon le droit de l’État membre d’exécution», l’autorité judiciaire de l’État membre d’exécution doit refuser l’exécution du mandat d’arrêt européen.
Dans l’affaire au principal, la juridiction nationale de la Pologne avait émis un mandat d’arrêt européen à l’encontre d’un ressortissant mineur polonais se trouvant en Belgique, afin d’exécuter deux jugements le condamnant à deux peines d’emprisonnement.En première instance l’autorité judiciaire d’exécution estimait que le mandat d’arrêt européen concernant le jugement pour un vol de bicyclette ne pouvait pas être exécuté dès lors que l’intéressé avait dix-sept ans lorsqu’il a commis l’infraction et que les conditions prévues en Belgique pour poursuivre une personne mineure qui atteint l’âge de seize ans aux moments des faits n’étaient pas remplies. Le procureur des Konings interjetait appel de cette ordonnance devant le hof van beroep te Brussel (la cour d’appel de Bruxelles), au motif qu’elle portait un refus partiel d’exécution du mandat d’arrêt européen.
Saisie dans ce contexte le hof van beroep te Brussel interroge la CJUE sur le sens de ce motif de non-exécution obligatoire. L’autorité d’exécution doit-elle refuser la remise de toute personne mineure faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen ou uniquement celle des personnes mineures qui, selon ce droit, n’ont pas l’âge requis pour être tenues pénalement responsables des faits à l’origine d’un mandat émis à l’encontre de celles-ci ? Si la décision-cadre doit être interprétée en ce sens, suffit-il à l’autorité d’exécution de vérifier in abstracto que la personne concernée a atteint l’âge minimal que l’État prévoit pour sanctionner pénalement les mineurs ou doit-elle vérifier in concreto que les conditions subordonnant la poursuite ou la condamnation d’un mineur sont remplies eu égard à la personne concernée ?
Ce renvoi préjudiciel interroge, à nouveau, sur les modalités d’articulation entre confiance mutuelle et reconnaissance mutuelle. Il soulève, cette fois, la question de savoir si la confiance mutuelle doit primer, dans un souci de répression accrue, sur la spécificité du droit pénal des mineurs ?
Alors que l’on aurait pu légitimement espérer que cet arrêt s’inscrive dans la lignée de la consécration de la spécificité du droit pénal des mineurs dans l’ELSJ (I), les juges du Luxembourg semblent en décider autrement en confirmant, à nouveau, la primauté de la confiance mutuelle dans l’espace pénal européen (II).
1. L’aspiration à la consécration de la spécificité du droit pénal des mineurs
Cette affaire aurait pu être l’occasion pour la CJUE de consolider la spécificité du droit pénal des mineurs: en dégageant les principes essentiels du concept de la protection de “l’intérêt supérieur de l’enfant” (a), puis en introduisant, à la lueur de ces principes, un critère objectif qui permettrait de constater une correspondance de la responsabilité pénale des mineurs d’un pays membre à un autre (b).
a. Les principes essentiels à la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant
Le considérant 12 du préambule et l’article 1-3 de la décision-cadre indiquent que le mandat d’arrêt européen s’exécute dans le respect de l’article 6 du traité sur l’Union européenne.Aussi, la Commission européenne a affirmé « qu’une autorité judiciaire est toujours fondée à refuser l’exécution d’un mandat d’arrêt si elle constate que la procédure est entachée d’une violation de l’article 6 TUE et des principes constitutionnels communs aux États membres » (COM(2005) 63 final, 23 février 2005 ; COM(2011) 175 final, 11 avril 2011).
Par ailleurs, l’article 3.5 du TUE énonce que « dans ses relations avec le reste du monde, l’Union […] contribue […] à la protection des droits de l’homme, en particulier ceux de l’enfant »et la Commission, dansson programme de l’Union européenne, assoit la pleine intégration des droits de l’enfant à la politique de l’Union européenne en matière de droits fondamentaux(COM/2011/0060 final). De ce fait, l’irrespect du droit des enfants peut être un motif de refus d’exécution du mandat d’arrêt européen. En l’espèce, le respect de l’article 24 § 2 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, selon lequel « l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale», aurait pu limiter l’application de ce mandat d’arrêt européen. D’autant plus, que le considérant 8 de la directive (UE) 2016/800 énonce que les États membres devraient veiller à ce que l’intérêt supérieur de l’enfant soit toujours une considération primordiale lorsque l’enfant fait l’objet d’une procédure relative au mandat d’arrêt européen.
Toutefois, le Conseil n’entend pas faire des conditions générales de respect des droits fondamentaux un motif explicite de refus d’exécution d’un mandat d’arrêt européen. Dans son avis 2/13 la CJUE rappelle que « lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union, les États membres peuvent être tenus, en vertu de ce même droit, de présumer le respect des droits fondamentaux par les autres États membres, de sorte qu’il ne leur est pas possible (…), sauf dans des cas exceptionnels, de vérifier si cet autre État membre a effectivement respecté, dans un cas concret, les droits fondamentaux garantis par l’Union». Mais dans quel « cas concret » un État peut-il refuser de remettre un enfant pour l’irrespect de l’article 24 § 2, alors que « l’intérêt supérieur de l’enfant » est une notion floue et ambivalente propre à l’arbitraire ?
Face à la délimitation de ce concept flou, l’avocat général Yves Bot, apportait un début de réponse à cette question dans ses conclusions. Il s’appuie sur le droit comparé des États membres de l’Union européenne, pour faire découler de « l’intérêt supérieur de l’enfant » deux principes fondamentaux: la spécialité du droit pénal des mineurs et le principe de la primauté de l’éducatif sur le répressif(conclusions de l’avocat général, point 47). Il est utile ici de souligner qu’en 2013 le Comité européen pour les problèmes criminels avait déjà examiné les pratiques en Europe concernant la justice pénale des mineurs. Une compilation des différents instruments juridiques relatifs à la justice des mineurs et à la délinquance juvénile, établie par le Conseil de l’Europe, l’Union européenne et les Nations Unies, avait été réalisée. L’ensemble des documents recueillis avait rendu compte de la convergence des principes entre les différentes organisations et la plupart des pays membres de l’Union européenne, dont le principe de l’impératif de spécialisation de la justice des mineurs, le principe de la primauté de l’éducatif sur le répressif et le principe de la subsidiarité de la peine privative de liberté avaient été relevés (CDPC (2013) 7, Strasbourg, 15 mai 2013). En effet, une grande partie des États membres de l’Union européenne ont dégagé ces principes de celui de l’intérêt supérieur de l’enfant, de façon à les consacrer constitutionnellement. La directive 2016/800 confirme l’importance de la limitation de la privation de la liberté des mineurs dans son article 10, qui enjoint aux États membres de veiller à ce que « la privation de la liberté, en particulier la détention, ne soit imposée à l’égard des enfants qu’à titre de mesure de dernier ressort ».
Dans l’optique d’harmoniser le droit pénal des mineurs, la CJUE aurait donc pu emboîter le pas de l’avocat général à propos de la délimitation du concept normatif de l’intérêt supérieur de l’enfant. Rappelons que, si au premier abord, le recours au droit comparé ne paraît constituer pour la CJUE qu’une méthode d’interprétation complémentaire, le droit comparé constitue bien une source de droit européen. C’est en grande partie la jurisprudence de la Cour qui s’est chargée d’assurer et de compléter la protection des droits de l’homme et des principes généraux du droit,en s’inspirant des traditions constitutionnelles communes aux États membres et des conventions internationales de protection des droits de l’homme signés par les États membres.Parmi les exemples importants, on peut mentionner l’élaboration du régime de responsabilité de l’État en droit européen ou la reconnaissance des droits fondamentaux de l’Union européenne en tant que principes généraux sur les traditions constitutionnelles nationales(CJUE, 13 décembre 1979, Lislotte Hauer c/ Land Rheinland-Pfalz, Aff. 44/79; CJUE, 5 mars 1996, Brasserie du Pêcheur SA c/ Bundesrepublik Deustchland et The Queen c/Secretary of State). Par conséquent, la CJUE avait ici le pouvoir de proclamer le principe de spécialité du droit pénal des mineurs, le principe de la primauté de l’éducatif sur le répressif et le principe de la subsidiarité de la peine privative de liberté comme principes généraux des droits fondamentaux de l’Union européenne en tant que principes généraux tirés des traditions constitutionnelles nationales.
L’avocat général invitait la CJUE, à interpréter l’article 3.3 de la décision-cadre et plus précisément la notion de responsabilité pénale, à la lueur de ces principes.
b. le critère objectif de la responsabilité pénale des mineurs
Àla première question, la CJUE a répondu que la décision-cadre n’exclut pas l’ensemble des personnes mineures, elle oblige uniquement l’autorité concernée à refuser la remise des personnes mineures faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen qui, selon le droit de l’État membre d’exécution, n’ont pas l’âge requis pour être tenues pénalement responsables des faits à l’origine d’un mandat émis à leur encontre. La volonté du législateur n’était pas d’exclure les personnes mineures en général, ni même les personnes n’ayant pas encore acquis la majorité pénale, mais seulement les mineurs n’ayant pas atteint l’âge de la « responsabilité pénale ».
La difficulté se trouve donc dans la notion de la « responsabilité pénale », cause de la seconde question posée à la CJUE. À cette dernière elle répond que « l’autorité judiciaire de l’État membre d’exécution doit seulement vérifier si la personne concernée a atteint l’âge minimal pour être tenue pénalement responsable, dans l’État membre d’exécution, des faits à l’origine d’un tel mandat » et retient dès lors une approche in abstracto de la responsabilité pénale.
Certains pays adoptent une approche in abstracto de la responsabilité pénale en ne prenant en compte qu’un critère objectif, celui de l’âge minimum de la responsabilité pénale. D’autres adoptent une approche in concreto, en conditionnant la responsabilité pénale d’un mineur au critère objectif de l’âge minimum et à des critères subjectifs tels que la personnalité et le discernement du mineur. C’est le cas de l’Allemagne où toute responsabilité pénale est exclue pour le mineur de moins de 14 ans et au-delà duquel un mineur ne peut être pénalement responsable que s’il apparaît doté de discernement. C’est aussi le cas de la Belgique où l’âge de la minorité pénale est fixé à 16 ans et au-delà duquel il ne peut être pénalement responsable qu’en fonction de sa personnalité. La France et la Hongrie constituent aussi de bons exemples de l’approche in concreto ;ils conditionnent l’engagement de la responsabilité pénale d’un mineur qu’au seul critère subjectif de la reconnaissance préalable du discernement. Tous les mineurs peuvent être pénalement responsables s’ils sont discernants, leurs âges ne sont pris en compte que pour déterminer les conséquences pénales de leurs actes.
Les États membres semblent, malgré tout, avoir interprété l’article 3.3 de la décision-cadre dans le sens d’une approche in abstracto, puisque c’est conformément à cette approche qu’ils l’ont transposée en droit interne. En France, la décision-cadre a été transposée à l’article 695-22 3° du CPP par la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 qui a fixé à 13 ans l’âge minimum de la responsabilité pénale en ce qui concerne le mandat d’arrêt européen. En Belgique le législateur a retranscrit cet article à l’article 4.3 de la loi du 19 décembre 2003, puis la circulaire ministérielle du 8 août 2005 est venue préciser que « la Belgique ne peut refuser la remise d’un mineur de plus de 16 ans car la poursuite et la condamnation d’un tel mineur à l’étranger n’est pas contraire à l’ordre public belge».
En fin de compte, la difficulté ne semble pas tant résider dans l’approche, mais plutôt dans la définition même de la notion de « responsabilité pénale » au sein de l’Union européenne.
En vertu du principe de la primauté de l’éducatif sur le répressif l’avocat général proposait que « l’État membre d’exécution doit pouvoir refuser la remise d’un mineur lorsque ce dernier, compte tenu de son âge au moment de la commission de l’infraction, ne peut se voir appliquer aucune peine en vertu du droit de cet État. En revanche, l’État membre d’exécution aura l’obligation de procéder à la remise du mineur chaque fois que, compte tenu de l’âge au moment de la commission de l’infraction, la peine encourue dans l’État membre d’émission correspond, dans sa nature et dans son ordre de grandeur, à une peine qui aurait également pu être encourue ou prononcée dans l’État membre d’exécution »(Conclusion de l’avocat général, point 62). A contrario l’État membre d’exécution ne devrait donc pas avoir l’obligation de remettre un enfant si, compte tenu de son âge au moment de la commission de l’infraction, la peine encourue dans l’État membre d’émission ne correspond pas dans sa nature et dans son ordre de grandeur à une peine qui aurait pu être encourue ou prononcée dans l’État membre d’exécution. En effet, un mineur qui peut être tenu pour pénalement responsable dans le pays d’exécution et dans le pays d’émission, mais qui n’encourt qu’une sanction éducative en raison de son âge dans le premier tandis qu’il encourt une peine privative de liberté dans le second, ne devrait alors pas être remis au pays d’émission.
En définitive, la référence à la peine encourue ou prononcée permettrait de fixer un critère objectif de correspondance de la responsabilité pénale, afin de déterminer l’acceptation ou le refus de la remise. Ce critère objectif permettrait de conserver une approche in abstracto de la responsabilité pénale des mineurs, qui serait respectueuse, à la fois de l’objectif de célérité du mandat d’arrêt européen et du principe de la primauté de l’éducatif sur le répressif.
Si la CJUE ne rejette pas explicitement ce critère objectif de la responsabilité pénale, malheureusement elle ne reprendra jamais les termes de cette solution dans son arrêt. Elle refuse de consacrer une approche in abstracto à la lumière de l’intérêt supérieur du mineur et de la confiance mutuelle, et consacre cette approche exclusivement à lumière de la confiance mutuelle en vue d’affirmer à nouveau la primauté de cette dernière.
2. L’affirmation de la primauté de la confiance mutuelle
Dans l’intention d’accéder à une parfaite reconnaissance mutuelle, la CJUE préfère borner son interprétation à la seule prise en compte de la confiance mutuelle. Sa seule considération pour cette dernière masque en réalité un refus de dresser les principes énoncés par l’avocat général au rang des droits fondamentaux des mineurs (A) et agit comme un frein à une interprétation dynamique et évolutive (B).
a. Le refus implicite de consacrer les droits fondamentaux des mineurs sous couvert de la confiance mutuelle
Dans l’arrêt Piotrowski, les juges du Luxembourg accomplissent une interprétation systématique de l’article 3.3 de la décision-cadre, sous le prisme de la reconnaissance mutuelle et de la confiance mutuelle.
Le principe de reconnaissance mutuelle a été qualifié par le Conseil européen de « pierre angulaire » de la coopération judiciaire dans l’Union européenne. En matière pénale, la décision-cadre 2002/584 est la décision « la plus symbolique » de ce principe, puisqu’elle constitue sa « première concrétisation »(Considérant 6 de la décision-cadre 2002/584). Ce principe « repose lui-même sur la confiance réciproque entre les États membres quant au fait que leurs ordres juridiques nationaux respectifs sont en mesure de fournir une protection équivalente et effective des droits fondamentaux »(CJUE, 30 mai 2013, aff. C-168/13). À ce propos, l’avis 2/13 de la CJUE rappelle « l’importance fondamentale » du principe de la confiance mutuelle, et en fait même un principe constitutionnel.
Ainsi, c’est au regard de la confiance mutuelle que les juges du Luxembourg rejettent l’exception de remise pour irrespect des droits fondamentaux. Ils estiment qu’un refus de la remise du mineur pour irrespect de l’article 24 § 2 de la charte des droits fondamentaux révélerait un défaut de confiance entre les États et caractériserait une méconnaissance du principe de reconnaissance mutuelle. Cela risquerait d’entraîner une application à géométrie variable de cet instrument qui pourrait compromettre l’équilibre sur lequel repose l’Union européenne.
Cet rejet concorde avec la jurisprudence actuelle de la CJUE, selon laquelle l’exécution du mandat d’arrêt européen constitue le principe, tandis que le refus d’exécution d’un tel mandat est conçu comme une exception qui doit faire l’objet d’une interprétation stricte(CJUE, 29 juin 2017, Popławski,aff. C-579/15 ; CJUE, 10 août 2017, Tupikas, aff. C-270/17PPU,). La Commission a précisé que l’obligation de respecter les droits fondamentaux, tels qu’ils sont consacrés par la Charte, ne peut limiter l’application de la décision-cadre que dans des cas exceptionnels(CJUE, 5 avr. 2016, Aranyosi et Căldăraru, préc.aff. C-404/15 et C-659/15).
En outre, c’est aussi au regard de la confiance mutuelle que la CJUE rappelle la finalité du mandat d’arrêt européen, à savoir la suppression de la procédure d’extradition de manière à la remplacer par une procédure simplifiée, rapide et efficace. Il est certain que si les États membres d’exécution ne se font pas confiance et vérifient pour chaque mandat d’arrêt européen concernant un mineur, que ce dernier répond aux critères subjectifs de la responsabilité pénale, la procédure se verrait considérablement ralentie et ne répondrait pas à l’objectif de célérité de la procédure de remise. Dans ce sens, la CJUE soulève, tout comme l’avocat général, qu’un « tel réexamen enfreindrait et priverait de tout effet utile le principe de reconnaissance mutuelle, lequel implique qu’il existe une confiance réciproque quant au fait que chacun des États membres acceptent l’application du droit pénal en vigueur dans les autres États » (point 52 de la décision ; point 56 des conclusions de l’avocat général).
La réponse de la Cour se trouve également dans la lettre de la disposition. « En l’absence de toute référence explicite »(point 44 de la décision), l’autorité judiciaire d’exécution ne peut prendre en compte les conditions subjectives supplémentaires pour juger de la responsabilité pénale d’un mineur. Elle doit seulement vérifier si la personne concernée a atteint l’âge minimal pour être tenue pénalement responsable des faits à l’origine d’un tel mandat dans l’État membre d’exécution.« La décision-cadre ne permet pas de soutenir une interprétation »(point 44 de la décision) qui irait dans l’esprit d’une approche in concreto.
Concernant la peine encourue ou prononcée comme critère objectif d’une approche in abstracto de la responsabilité pénale, la CJUE n’y fait même pas référence dans son arrêt.
En fin de compte, les juges du Luxembourg ne rejettent pas l’approche de l’exception de remise pour irrespect des droits fondamentaux et la référence à la peine encourue ou prononcée comme critère objectif, au motif explicite qu’ils refusent de faire de ces trois principes, des droits fondamentaux de l’enfant reconnu par le droit de l’Union européenne, mais au motif qu’une telle décision irait à l’encontre du principe de la confiance mutuelle.
Pourtant, par cette décision, la CJUE admet qu’un mineur qui ne peut faire l’objet d’une peine de privation de liberté dans le pays membre d’exécution puisse être remis au pays membre d’émission même s’il y est puni d’une peine privative de liberté. Cette contradiction avec l’article 10 de la directive 2016/800 revient à limiter dans l’espace le principe de subsidiarité de la peine privative de liberté, puisque, de fait, celui-ci ne s’applique pas sur l’entièreté de l’espace de l’Union européenne mais seulement sur le territoire d’un État membre donné. A fortiori, cela revient également à limiter dans l’espace le principe de la primauté de l’éducatif sur le répressif. Par conséquent, si l’Union européenne encourage les pays membres à recourir à ces principes, la CJUE ne montre pas l’exemple à suivre en rendant un arrêt en faveur de ces recommandations.
De plus, en affirmant que «s’agissant d’une procédure relative à un mandat d’arrêt européen, la garantie de ces droits relève au premier chef de la responsabilité de l’État membre d’émission, dont il y a lieu de présumer qu’il respecte le droit de l’Union et, en particulier, les droits fondamentaux reconnus par ce dernier »(point 50 de la décision) cela revient à “présumer” que l’État membre d’émission respecte l’intérêt supérieur de l’enfant, même s’il lui applique une peine identique à celle d’un adulte.
Finalement, d’une manière implicite, les juges refusent de lier intrinsèquement les principes de spécialité et le principe de la primauté de l’éducatif sur le répressif à celui de l’intérêt supérieur de l’enfant et réaffirment indirectement l’appréciation souveraine des pays dans ce qui va ou ne va pas dans l’intérêt de l’enfant lorsqu’il est pénalement responsable
Le principe de la confiance mutuelle devient progressivement un frein à une interprétation dynamique et évolutive de la CJUE.
b. Le frein à une interprétation dynamique et évolutive sous couvert de la confiance mutuelle
Une interprétation systématique consiste à savoir replacer la disposition en cause dans l’ensemble des normes européennes (CJCE, 27 janv. 2000, Dansommer, aff. C-8/98) et de manière cohérente avec le droit interne(CJCE, 15 févr. 2007, Lechouritou, aff. C-292/05)dont le but est de conserver l’économie générale du système normatif considéré dans son ensemble. L’importance de la contextualisation et le rôle de la cohérence avec le droit interne dans l’interprétation de la CJUE s’expliquent par l’usage de concepts souvent indéterminés, ou du moins intentionnellement généraux du droit européen. D’ailleurs, la CJUE rappelle elle-même dans son arrêt qu’il y a lieu, pour l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, de tenir compte « de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie » (point 40 de la décision).
Il est regrettable que la CJUE n’ait pas poursuivi le cheminement d’une telle méthode interprétative et qu’elle ait adopté l’approchein abstractode la responsabilité pénale en ne prenant en compte que l’économie générale du système normatif dans lequel s’inscrit l’article 3.3 du mandat d’arrêt européen. Qui plus est, lorsqu’elle résume l’économie générale de ce système au principe de la reconnaissance mutuelle ; « ce dernier système étant fondé sur le principe de la reconnaissance mutuelle »(point 46 de cette décision).
Pourtant, « si le principe de reconnaissance mutuelle est essentiel pour la sauvegarde de la diversité propre aux législations des États membres, il n’en demeure pas moins que certaines formes de criminalité et le respect des droits fondamentaux et de garanties procédurales minimales appellent une réponse harmonisée sur l’ensemble du territoire européen afin de garantir la confiance réciproque des États membres »(19.02.2003, COM (2003) 75 final), confiance sur laquelle repose le principe de la reconnaissance mutuelle. C’est d’ailleurs dans ce sens que la directive de 2016/800 dispose dans son paragraphe 2 du préambule qu’« en établissant des règles minimales communes relatives à la protection des droits procéduraux des enfants qui sont des suspects ou des personnes poursuivies, la présente directive vise à renforcer la confiance des États membres dans le système de justice pénale des autres États membres et, par conséquent, à faciliter la reconnaissance mutuelle des décisions en matière pénale ». En réalité, les principes d’harmonisation, de reconnaissance mutuelle et de confiance mutuelle se définissent les uns par rapport aux autres et ne peuvent exister isolément.
La CJUE aurait pu aboutir à la même solution qui confirme l’approche in abstracto de la responsabilité pénale, mais en s’appuyant sur tous les éléments qui caractérisent une telle méthode interprétative, afin d’entériner les principes essentiels liés à l’intérêt supérieur de l’enfant. En tirant les principes généraux qui ressortent de l’ensemble des systèmes des droits nationaux, ainsi que par l’interaction de l’article 3.3 de la décision-cadre avec la directive 2016/800 et l’article 24 de la Charte de droits fondamentaux de l’Union européenne, cette question préjudicielle aurait pu être l’occasion pour la CJUE de définir à minima l’intérêt supérieur du mineur et la responsabilité pénale. Cela aurait permis une harmonisation du droit pénal des mineurs entre les États membres, visant à garantir une confiance mutuelle nécessaire à la reconnaissance mutuelle des décisions. L’interprétation aurait été guidée simultanément par l’ambition d’harmonisation, de reconnaissance et de confiance mutuelle qui, ensemble seulement, tendent vers l’économie générale de la construction de l’ELSJ.
Le regret, ici, n’est donc pas dans le choix de la méthode interprétative ou encore dans la décision d’employer une approche in abstracto de la responsabilité pénale. Il est dans le fait que la CJUE n’ait pas su saisir l’opportunité d’harmoniser le droit pénal des mineurs en consolidant sa spécificité au travers du cheminement de la méthode interprétative qu’elle a choisie. Autrement dit, c’est le fait de n’avoir pris en considération que le principe de la confiance mutuelle, dans le but d’asseoir à nouveau sa primauté.
À l’heure où la criminalité transfrontière des enfants devient un réel enjeu politico-médiatique, il devient alors légitime de s’interroger : l’Union européenne va-t-elle s’affirmer un jour dans l’harmonisation du droit pénal des mineurs afin d’assurer une coopération pénale efficace et effective en la matière ?