par Sylvaine Poillot-Peruzzetto, IRDEIC
Que par la construction de l’espace judiciaire européen l’Europe promeuve la justice et se promeuve elle-même dans le même mouvement est sans doute une bonne nouvelle pour l’Europe qui étend ainsi ses valeurs. Pour la justice, la dimension européenne permet, par le mouvement de Renaissance induit, de repenser et reconstruire.
Ainsi, le nouvel objectif européen d’espace judiciaire à la fois renforce la construction de l’ensemble par la volonté et l’échange et non par la force puisqu’il donne à l’Europe des valeurs nouvelles autour de la justice et il met en route pour la justice un process qui devrait aller de l’élimination des obstacles à la construction de standards communs tout en valorisant le mouvement commun vers la justice et ses premiers acquis.L’appropriation par les citoyens de cet espace ne se fera cependant que si l’approche de la justice est globale et non pas seulement technique et parcellaire, si elle est exprimée également en valeurs plutôt qu’en programmes ou objectifs techniques limités et si la fonction économique de la justice, première accroche de l’Union sur les bases de son « ADN » marché intérieur, est complétée par l’expression et la mise en œuvre de sa fonction sociétale et politique.
1. La fonction économique de la justice dans l’espace judiciaire européen est sans doute la première à avoir été prise en compte puisqu’elle est fondée sur la construction du marché intérieur. Il s’agit en effet pour la justice d’accompagner l’exercice des 4 libertés en assurant qu’il ne soit pas affecté par des obstacles liés à la justice, soit d’assurer que si l’exercice, par des personnes ou des entreprises, de la libre circulation des personnes, marchandises, services ou capitaux entraîne un litige, le caractère transfrontalier de ce litige ne constituera pas un obstacle à l’exercice de leurs droits et à l’obtention d’une solution juste. Bien évidemment, l’organisation territoriale et nationale de la justice et des différentes procédures judiciaires ou extra-judiciaires de règlement de conflit sont ici en cause.
Cette fonction économique est en partie liée à la citoyenneté au sens où le cœur de la citoyenneté européenne est aujourd’hui définie par la possible libre circulation de tout ressortissant d’un Etat membre. La fonction économique de la justice assure ainsi au citoyen européen l’exercice de son droit de libre circulation et tout obstacle à la mobilité, en particulier l’obstacle du pouvoir régalien des Etats en matière de justice, doit être levé . Mais d’une part la fonction économique de la justice va au delà de la citoyenneté en ce qu’elle accompagne l’exercice des 4 libertés et non pas seulement celui de la libre circulation des personnes, et d’autre part la citoyenneté elle-même va au delà de la seule fonction économique de la justice et se nourrit de sa fonction politique ainsi qu’il sera vu plus loin.
Pour assurer la fonction économique de la justice, l’Union a d’abord investi l’espace judiciaire européen de la mission de dépasser l’obstacle à la libre circulation des jugements, en assurant leur reconnaissance et leur exécution. L’espace de liberté de sécurité et de justice s’est ainsi donc donné comme objectif premier, et l’on peut regretter que l’objectif pragmatique ait été traduit en un principe cardinal de reconnaissance des jugements, par le biais de règles européennes de compétence et de conflit de lois, de lever les obstacles à la libre circulation, et de favoriser les échanges économiques.
2. La fonction sociétale de la justice dans l’espace judiciaire européen est doublement fondée : elle l’est sur l’accès au droit et sur l’invitation faite aux justiciables, par les modes alternatifs de règlement des conflits, de s’approprier leur litige pour le positiver en un échange renouvelé avec leurs partenaires.
L’accès au droit est assuré par l’affirmation même du principe qui doit être entendu largement en une possibilité pour tout justiciable de saisir facilement une juridiction mais aussi d’aller sans obstacles jusqu’au bout du processus pour obtenir une juste réparation par une juste procédure. L’espace judiciaire européen assure l’accès au droit, d’une part en éliminant les obstacles dès lors que le litige est transfrontalier pour assurer un accès quel que soit le caractère du litige et par l’élaboration de standards communs. A cet égard, la citoyenneté n’est pas le seul critère de rattachement puisque toute personne domiciliée dans l’Union doit pouvoir accéder à la justice sans discrimination : l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne consacre en effet le “droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial”.
Par un degré de développement supérieur, la fonction sociétale de l’espace judiciaire européen devrait permettre au justiciable qui le souhaite, d’aller plus loin encore dans la résolution de son propre conflit, et de devenir acteur responsable de la solution. L’Union européenne suscite et encourage en ce sens l’appropriation et l’organisation des solutions alternatives par les justiciables dans le cadre des modes alternatifs de règlement des conflits, par le biais, essentiellement, de la médiation, mais également de la “collaborative law”.
Ce faisant, l’espace judiciaire européen adopte une approche proactive du droit en ce qu’il produit de la valeur ajoutée et participe pour l’avenir à la construction d’une relation durable car faite d’échanges. En effet, l’objectif d’une résolution réussie d’un conflit d’intérêts n’est pas seulement la formulation par un tiers d’une solution dans des délais raisonnables, mais bien la recherche, dans l’échange le plus responsable, d’une solution qui consolidera la relation et que la prise en charge par les parties au litige permet.
3. L’espace judiciaire européen assume finalement une fonction politique. Par la valorisation d’une dimension européenne de la justice et par la valorisation de la dimension de justice en Europe, les ressortissants des Etats de l’Union européenne s’identifient comme citoyens européens et intègrent dans leur patrimoine culturel l’existence et la portée d’une justice européenne (laquelle n’est pas nécessairement une justice unifiée mais se présente comme une justice coordonnée et harmonisée).
L’enracinement dans cet espace judicaire des droits fondamentaux permet une telle adhésion politique que la multiplication des actions d’information et de formation au droit dans l’Union devrait renforcer. Alors que la culture européenne intègre depuis l’Antiquité grecque la réflexion sur la justice, l’Union a mis un certain temps avant d’intégrer la justice dans ses champs de compétence et partant, à considérer le citoyen au-delà de la seule circulation des personnes. Par l’enjeu politique de l’espace judiciaire européen, le citoyen/acteur rencontre dans la citoyenneté une véritable épaisseur politique et l’Union peut dès lors trouver dans le citoyen un fondement et une dynamique de construction.