par Lisa Dumoulin, CDRE
Avec l’adoption de la Directive 2011/36/UE concernant la prévention de la traitre des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes, l’Union Européenne avait su montrer tout l’intérêt qu’elle portait à la question de la traite des êtres humains, en alimentant les textes de référence en la matière : « Protocole de Palerme » (Protocole additionnel à la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée), et Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des être humains (2005), entre autres.
Pour autant, l’action de l’Union n’a pas été suspendue au crépuscule des délais de transposition de ladite Directive (2013) ; en effet, parce que certains Etats membres n’ont pas ratifié les instruments internationaux précités, parce que ces instruments sont pluriels et très nombreux et que leur lisibilité peut en être amoindrie autant que leur efficacité corrélative, parce que – malgré son approche globale et intégrée, et mettant l’accent sur les Droits de l’homme – la Directive donne des responsabilités aux Etats sans parfois que ceux-ci aient les moyens de tout-à-fait les assumer concrètement, et parce que les chiffres relatifs à la traite – en véritable explosion – relèvent toujours de l’insupportable (nombre de victimes intolérable et profits réalisés indécents, état des poursuites et des condamnations ridicule), l’Union Européenne poursuit régulièrement son travail de lutte.
C’est dans cette perspective que la Commission vient de publier sa Communication sur « La stratégie de l’UE en vue de l’éradication de la traite des êtres humains pour la période 2012-2016 », qui « définit cinq grandes priorités, sur lesquelles l’UE doit se concentrer pour s’attaquer au problème de la traite et décrit également un certain nombre d’actions que la Commission européenne propose de mettre en œuvre au cours des cinq prochaines années, de concert avec d’autres acteurs tels que les Etats membres, le Service européen pour l’action extérieure, les institutions et agences de l’UE, les organisations internationales, les pays tiers, la société civile et le secteur privé ». Il est notable que la démarche de la Commission s’inscrit dans une logique d’évaluation finale : souhaitant que la stratégie développée soit efficace, en effet, la Commission n’omet pas de requérir – à titre terminal de son rapport – l’établissement de procédures de suivi par les Etats membres.
Il convient bien évidemment de louer ici l’existence d’une telle communication au niveau européen, mais aussi de résumer ses grandes orientations, en faisant diverses observations à l’égard des cinq priorités y désignées, et suivantes :
Priorité 1 : Détecter les victimes de la traite, les protéger et leur porter assistance
La première des actions doit évidemment être menée en direction de la détection des personnes subissant le phénomène de traite : non seulement parce qu’elles sont des victimes – à qui il convient d’apporter soutien, protection et indemnisation -, mais aussi parce que cette détection est le point de départ du processus d’enquête, de poursuites et de sanction des trafiquants. Suivant cette logique, la Commission invite à prendre deux types de mesures.
D’une part, elle invite les Etats membres à créer des mécanismes d’orientation nationaux et transnationaux, qui décriront les procédures pour mieux détecter, orienter, protéger et aider les victimes, en impliquant les autorités publiques concernées ainsi que la société civile. Cette mesure, qui paraît en parfaite adéquation avec l’objectif général de la Commission de mettre en place une « politique multidisciplinaire cohérente », est complétée par une autre visant à établir des lignes directrices pour mieux détecter les victimes selon une liste d’indicateurs relatifs à la traite des être humains, avec des lignes spécifiques pour les services consulaires et les gardes-frontières.
D’autre part, elle invite à renforcer la Protection, en direction des enfants victimes de traite d’abord (des lignes directrices spécifiques devront être dégagées et l’attention doit être portée à la possible multi-victimisation des enfants retournés dans leur pays d’origine) et de façon plus générale ensuite, en prônant une plus grande information des victimes sur leurs droits en tous genres, ainsi qu’une diffusion élargie de cette information par les Etats.
Priorité 2 : Renforcer la prévention de la traite des êtres humains
La prévention de la traite est le deuxième axe préconisé par la Commission. Bien que cet objectif soit affirmé de longue date, la Commission propose trois mesures pour que la prévention gagne en efficacité.
D’une part, il faut cerner la demande et la réduire : l’idée est principalement de financer des programmes de recherche, sur une période de quatre ans, de sorte à mieux cibler quels sont les secteurs et organisations qui reposent sur la traite, pour ensuite criminaliser – de façon plus percutante – le recours aux services de victimes de la traite.
D’autre part, il convient de renforcer la coopération avec le secteur privé : il est ainsi préconisé la création d’une « coalition européenne des entreprises contre la traite des êtres humains », destinée à encourager la participation des entreprises et, de ce fait, à « réduire la demande » de celles qui sont directement concernées, tout en veillant aussi à ce que les chaînes d’approvisionnement de celles-ci ne fassent pas intervenir des personnes exploitées.
Enfin, c’est la sensibilisation qui doit être renforcée. La Commission souhaite, à cet égard, une « évaluation » des différentes initiatives et programmes de sensibilisation en vigueur – semblant ainsi émettre des doutes sur leur efficacité absolue – pour les rendre plus cohérents et plus efficaces. Elle souhaite aussi que cette sensibilisation soit plus ciblée – selon les groupes concernés par la traite : femmes, enfants, travailleurs domestiques… etc. – et modernisée, notamment par le biais d’internet et des réseaux sociaux.
Priorité 3 : Poursuivre plus activement les auteurs d’infractions
Malgré l’attention renforcée accordée par les autorités compétentes aux enquêtes et poursuites contre les trafiquants, la Commission déplore que le nombre d’infractions faisant l’objet de poursuites dans l’Union Européenne reste faible – à tout le moins dérisoire – par rapport à l’ampleur du phénomène criminel. C’est ainsi en réaction à ce constat qu’elle propose – à notre sens – les orientations les plus intéressantes.
La Commission propose d’abord la création d’unités de répression nationales multidisciplinaires, qui serviront de « point de contact pour les agences de l’UE, en particulier Europol ». Leur rôle toucherait à la fois à la transmission de données, mais aussi à l’approfondissement de la connaissance du phénomène de traite, notamment celle de ses évolutions (usage d’internet pour le recrutement, ou des réseaux sociaux).
La Commission souligne ensuite les progrès qui doivent être réalisés en matière d’investigation financière. Le point est ici clairement identifié, et la chose est assez novatrice pour qu’on la souligne ici. L’approche « financière » de la traite est, en effet, pleine d’avenir ; or, elle est restée assez sous-exploitée jusqu’à présent, faute qu’on perçoive bien son intérêt, faute aussi que les moyens d’une telle approche soient réunis (connaissance financière, moyens d’enquêtes, unités spécialisées, autonomie ou non de l’infraction de blanchiment de capitaux, manque de coopération au niveau international…etc.). A cet égard, la Commission plaide donc en faveur du développement des enquêtes financières, et du travail en coopération avec Europol, et le CEPOL. C’est peut-être là – enfin – le moyen d’inverser la formule « high profits – low risks » qui caractérise odieusement le phénomène criminel de traite des êtres humains.
Enfin, la Commission insiste sur l’importance de la coopération policière et judiciaire transfrontalière (création d’équipes communes d’enquête), ainsi que celle devant nécessairement s’établir le long des routes de la traite (notamment depuis les pays de l’Est jusqu’en Europe).
Priorité 4 : Améliorer la coordination et la coopération entre les principaux acteurs et la cohérence des politiques
Plusieurs axes sont développés par la Commission dans son rapport. On citera – en y renvoyant seulement – les actions suivantes, qui y sont encouragées : renforcement du réseau européen de rapporteurs nationaux ou de mécanismes équivalents, coordination des activités de politique extérieure de l’UE (avec des pays tiers et des organisations internationales), promotion de la création d’une plate-forme pour la société civile (organisateurs et fournisseurs de services de la société civile travaillant dans le domaine de l’assistance aux victimes et de la protection de ces dernières dans les Etats membres et dans certains pays tiers), évaluation et bilan des différents projets financés par l’UE (pour donner une assise plus solide aux futurs projets et favoriser l’élaboration par l’UE de politiques et d’initiatives de financement cohérentes, stratégiques et présentant un bon rapport coût-efficacité) et coordination des besoins de formation dans un contexte multidisciplinaire (former des acteurs de terrain, cibler la formation en direction du monde judiciaire et des services répressifs transfrontaliers, dans un objectif de rassemblement des ces acteurs et d’une plus grande cohérence des politiques menées).
On soulignera en revanche, l’action numéro 5, consistant à « renforcer les Droits fondamentaux dans les politiques anti-traite et les actions connexes ». La Commission fait en effet « œuvre pédagogique » explicite en rappelant à un stade précoce que les futurs actes législatifs (et autres) doivent toujours respecter pleinement les Droits fondamentaux garantis par la Charte ; l’Agence des Droits fondamentaux de l’Union commencera d’ailleurs en 2014 à mettre au point un outil pour aider les Etats membres à traiter de ces questions, en se concentrant sur les droits des victimes et en intégrant une dimension de genre et l’intérêt supérieur de l’enfant.
Priorité 5 : Mieux cerner les nouvelles préoccupations relatives aux diverses formes de traite des êtres humains et y répondre efficacement
L’adaptation fait aussi partie de la stratégie de la Commission Européenne : elle préconise donc – pour se mettre au diapason méthodologique des trafiquants – de créer un système de collecte de données à l’échelle de l’UE (par âge et par sexe), d’améliorer les connaissances relatives à la dimension de genre de la traite et des groupes vulnérables pour mieux cerner les « groupes à haut risque », de cerner le recrutement sur internet et via les réseaux sociaux et de cibler la traite à des fins d’exploitation du travail, notamment en raison des différences qui existent actuellement dans l’approche de cette forme d’exploitation par les différents Etats membres.