par Jean-Sylvestre Bergé, EDIEC
La Cour de justice a rendu un arrêt attendu par les spécialistes de contentieux international de la propriété intellectuelle (CJUE, 25 oct. 2012, Fisher, C-133/11).
Elle a considéré, en effet, que « L’article 5, point 3, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens qu’une action en constatation négative visant à faire établir l’absence de responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle relève du champ d’application de cette disposition ».
Cette solution appelle trois remarques.
1° Contrairement à ce qu’a pu laisser entendre une jurisprudence passée (CJCE, 9 déc. 2003, Gasser, aff. 116/02, CJCE, 27 avril 2004, Turner, aff. C-159/02, CJCE, 1er mars 2005, Owusu, aff. C-281/02, CJCE, 13 juillet 2006, Reisch Montagne, aff. C-103/05, les affaires Turner et Owusu ayant été rendues à l’occasion de la mise en œuvre par le juge national de mécanismes de type « injonctions anti suit » et « forum non conveniens »), la Cour de justice n’est pas fermée à des particularismes procéduraux nationaux. C’est le cas ici de l’action en non-constatation de contrefaçon qui n’est pas reconnue dans tous les Etats membres (partiellement en France : art. L615-9 CPI) et que le juge européen accueille largement par une application extensive de l’une des dispositions phares du Règlement 44/2001 (article 5.3).
2° Cette solution contredit les conclusions de l’Avocat général qui, au terme d’une démonstration étayée, avait préféré opter pour l’application de la seule compétence générale reconnue au juge du domicile du défendeur (article 2). En prenant une position différente, la Cour de justice fait le choix d’ouvrir en grand les potentialités offertes par les compétences spéciales (en matière délictuelle ici), multipliant ainsi les chefs de compétence offerts aux justiciables.
3° Cette multiplication des chefs de compétence ne va pas manquer d’alimenter les stratégies des plaideurs bien connues, en droit de la propriété intellectuelle, sous les doux noms de « torpilles » et « contre-torpilles » (voir sur ces stratégies, les deux ouvrages collectifs : A. Nuyts (ed.), International litigation in intellectual property and information technology, Wolters Kluwer, 2008 ; C. Nourissat et E. Treppoz (dir.), Droit international privé et propriété intellectuelle, Lamy 2010). La Cour de justice ne peut être insensible au risque d’éclatement des procédures, largement aggravé dans une matière dominée, à tort ou à raison, par le spectre de la territorialité. Mais sans doute a-t-elle considéré que la question se jouait sur un autre front : celui des procédures complexes, impliquant notamment une pluralité de défendeurs et d’éventuels recours parallèles (voir, marquant un tournant (encore limité) de la jurisprudence antérieure peu favorable aux concentrations des procédures : CJUE, 12 juillet 2012, Solvay, C-616/10).
En matière de propriété intellectuelle, comme dans d’autres domaines, le droit européen de la justice civile transfrontière emprunte ainsi la méthode des petits pas. Cette méthode ne doit pas surprendre l’internationaliste privatiste, habitué qu’il est à manier un droit en construction : le droit que fabriquaient hier nos juges nationaux (et plus singulièrement, en France, notre Cour de cassation), le droit qui se fabrique, aujourd’hui, à un niveau européen.