L’activité judiciaire relative à l’instrument répressif le plus emblématique de l’Union, le mandat d’arrêt européen, a été dense ces derniers mois. La coupure estivale n’y aura rien changé. Au contraire, la Cour de justice de l’Union européenne s’est montrée particulièrement pro-active face à des questions préjudicielles nouvelles ou, à tout le moins, impliquant un haut niveau d’interactions entre les juges de la coopération pénale européenne.
Le 25 juillet 2018, la Cour de justice rend trois arrêts (C-216/18 PPU ; C-268/17 ; C-220/18 PPU) auxquels s’ajoute un arrêt du 19 septembre 2018 (C-327/18 PPU). En cette période de crises profondes traversée par l’Union, chacune de ces décisions présente une importance pour l’avenir de la construction de l’espace pénal européen (v. ég. sur ce site : Henri Labayle, Winter is coming : la Hongrie, la Pologne, l’Union européenne et les valeurs de l’État de droit).
Ce n’est pas tant la technique du mécanisme de coopération pénale, fondé sur le principe de reconnaissance mutuelle des décisions de justice, qui semble être en cause mais, davantage, l’immobilisme institutionnel dont fait preuve l’Union européenne face aux dérives actuelles. Du Brexit, à la violation des valeurs de l’État de droit par un des États membres, à la réticence de certains États à appliquer de manière effective le droit dérivé de l’Union, au manque de recours effectif en matière pénale devant la Cour de justice de l’Union…les lacunes structurelles de la construction répressive européenne ont des conséquences alarmantes sur l’activité judiciaire intra-européenne.
Les besoins de précisions et de renforcement de l’espace répressif européen n’ont jamais été aussi pressants. Les quatre décisions de la Cour de justice de l’Union reportées ici illustrent, d’une part, ces difficultés et, d’autre part, témoignent d’une volonté de la juridiction européenne de porter secours à ce pan de l’ELSJ.
Si la nouvelle jurisprudence de la Cour de justice de l’Union venant préciser la notion de « circonstances exceptionnelles », permettant de refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen, s’inscrit dans une démarche volontariste déjà marquée dans ce domaine (I), elle apparaît particulièrement audacieuse, voire sans précédent, lorsqu’il s’agit de renforcer le cadre juridique structurant l’espace pénal de l’Union (II).
1 – Précisions quant aux hypothèses de refus d’exécuter un mandat d’arrêt européen
Au travers des réponses techniques apportées aux interrogations des juges nationaux, le juge européen tente de faciliter, en l’état du droit positif, le fonctionnement du mandat d’arrêt européen. Ainsi, le risque pour la personne de subir un traitement inhumain et dégradant dans l’État d’émission doit, pour empêcher l’exécution d’un mandat d’arrêt européen, faire l’objet d’un examen individuel dont la Cour de justice vient préciser le contenu (a). En revanche, le Brexit, lui, ne peut pas, selon la Cour, être retenu comme un motif de non-exécution d’un mandat d’arrêt européen (b).
a. L’examen individuel du risque de traitements inhumains et dégradants reste nécessaire…
La Cour de justice de l’Union a été saisie par le Tribunal régional supérieur de Brême en mars 2018 d’une question préjudicielle s’inscrivant directement dans la suite de la jurisprudence Aranyosi (CJUE, 5 avril 2016, Aranyosi et Caldararu, C-404/15 et C-659/15 PPU).
Le juge allemand, confronté à un mandat d’arrêt européen émis par les autorités hongroises à l’encontre de l’individu dénommé ML, en vue de l’exécution d’une peine privative de liberté, interroge le juge européen sur le degré du contrôle qu’il doit opérer concernant le risque pour cette personne de subir des traitements inhumains et dégradants dans l’État d’émission.
Dans l’arrêt ML du 25 juillet 2018 (C-220/18 PPU), la première chambre de la Cour de justice va fournir au juge national une réponse exhaustive qui est remarquable, au moins, à deux égards.
En premier lieu, et à titre principal, la Cour rend une décision argumentée pouvant servir de mode d’emploi de la jurisprudence Aranyosi lorsque les autorités nationales auront recours au motif de refus des « circonstances exceptionnelles » pour faire obstacle à l’exécution d’un mandat d’arrêt européen. Pour rappel, les juges nationaux sont en charge de vérifier, quand il existe des éléments objectifs témoignant de défaillances systémiques ou généralisées des conditions de détention dans l’État d’émission, la présence de motifs sérieux et avérés de croire que la personne une fois remise court un risque réel de traitement inhumain ou dégradant. Concernant cette seconde étape du contrôle devant être effectué par le juge d’exécution du mandat d’arrêt européen, la Cour de justice vient préciser l’étendue de l’examen individuel des conditions de détention dans l’État membre d’émission.
L’examen individuel doit se limiter à la situation de la personne visée dans le mandat d’arrêt européen une fois qu’elle sera remise à l’État d’émission. Cela implique, selon la Cour, que ne peuvent pas être demandées aux autorités de ce dernier des informations concernant les conditions de détention au sein de l’ensemble des établissements pénitentiaires du pays mais uniquement ceux dans lesquels l’individu sera a priori détenu, y compris à titre temporaire ou transitoire.
De la même manière que le contrôle ne doit pas entrer dans les détails des conditions de détention mais doit servir à s’assurer que la durée, les conditions matérielles de la détention sont conformes au respect de la dignité humaine, à la protection de la santé et du bien-être du prisonnier (pts. 90 à 107).
La Cour considère en effet qu’un examen trop poussé des conditions de détention dans l’État d’émission serait de nature à différer la remise de la personne et, partant, à priver de tout effet utile le fonctionnement du système du mandat d’arrêt européen (pt. 84). Sans doute que, dans cette affaire, le nombre de questions posées par le juge allemand à la Hongrie afin d’obtenir des informations complémentaires sur les conditions de détention de ML (soixante-dix-huit !) aura incité la Cour de justice à apporter toutes ces précisions (v. en ce sens, pt 104).
Avec pertinence, la Cour de justice rythme son raisonnement par les principes structurels de l’espace pénal européen que sont la confiance mutuelle, la coopération loyale et l’effectivité du droit de l’Union, protégeant ainsi la logique de la construction répressive de l’Union.
En second lieu, cette décision de la Cour de justice protège également la légitimité de la construction répressive.
Dans sa réponse à la première partie de la question préjudicielle renvoyée par le juge allemand, la Cour affirme que l’existence dans l’État d’émission, ici la Hongrie, d’une voie de recours permettant de vérifier la légalité des conditions de détention « ne saurait suffire à écarter l’existence d’un risque réel que la personne concernée fasse l’objet d’un traitement inhumain ou dégradant dans l’État membre d’émission au sens de l’article 4 de la Charte » (pts. 73 et 74). Par cette précision importante, la Cour de justice montre qu’elle prend soin de s’assurer que le recours aux « circonstances exceptionnelles » par les juges nationaux dans le cadre de l’exécution d’un mandat d’arrêt européen reste conforme au respect des droits fondamentaux garantis par la Charte de l’Union européenne.
Autrement dit, en adoptant une interprétation exigeante du motif de refus fondé sur des « circonstances exceptionnelles », la Cour de justice contribue, en cette période de crise, à asseoir la légitimité de l’espace pénal européen auprès des autorités judiciaires nationales.
Elle ne semble pas pour autant oublier l’impératif d’effectivité du droit répressif européen comme le montre sa décision rendue à propos du Brexit.
b. Le Brexit n’est pas un motif de non-exécution…
La question posée à la Cour de justice de l’Union européenne par la High Court irlandaise dans l’affaire RO (CJUE, 19 septembre 2018, RO, C-327/18PPU) était de savoir si la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, déclarée conformément à l’article 50 TUE et prévue pour la fin mars 2019, oblige ou non les autres États membres à refuser, avant cette échéance, d’exécuter les mandats d’arrêt européens émis par le pays sortant. En l’absence de cette obligation, l’État d’exécution doit-il alors différer l’exécution du mandat européen dans l’attente de précisions sur le régime juridique qui sera applicable au Royaume-Uni après son retrait effectif de l’Union ?
Après avoir déroulé la formule classique de présentation de la construction répressive européenne au centre de laquelle se trouvent la confiance mutuelle et la reconnaissance mutuelle des décisions pénales, la Cour répond sans détour aux interrogations du juge national. Elle exprime d’abord son refus de se substituer au Conseil européen pour suspendre l’application du mandat d’arrêt européen avec le Royaume-Uni, puis, ensuite, la juridiction européenne procède en deux temps.
En premier lieu, la Cour rappelle sa jurisprudence constante en vertu de laquelle il n’est pas possible de retenir de motif de non-exécution d’un mandat d’arrêt européen en dehors des cas listés aux articles 3, 4 et 4bis de la décision-cadre du 13 juin 2002, sauf à établir l’existence de « circonstances exceptionnelles » (CJUE, 5 avril 2016, Aranyosi et Caldararu, C-404/15 et C-659/15 PPU).
Or, selon la Cour, « la seule notification par un État membre de son intention de se retirer de l’Union conformément à l’article 50 TUE ne saurait être considérée, en tant que telle, comme constituant une circonstance exceptionnelle, au sens de la jurisprudence rappelée aux points 39 à 40 du présent arrêt, susceptible de justifier un refus d’exécuter un mandat d’arrêt européen émis par cet État membre » (pt. 48). Autrement dit, le Brexit n’est pas admis au titre des motifs permettant de refuser l’exécution d’un mandat d’arrêt européen. Cela même si la mise à exécution dudit mandat se poursuit après que le Royaume-Uni ait quitté l’Union européenne.
L’interprétation stricte des modalités d’application de l’instrument de coopération pénale dans l’ordre juridique de l’Union fournie ici par la Cour de justice n’est pas surprenante. Elle répond, a minima, à l’exigence d’effectivité du droit de l’Union. Néanmoins, on peut se demander si cette interprétation aurait été la même dans le cas, hypothétique, d’une notification de retrait conformément à l’article 50 TUE de la Pologne par exemple ?
Afin de ménager une porte de sortie, la Cour de justice ajoute toutefois que l’autorité judiciaire d’exécution devra examiner de manière « concrète et précise » s’il existe des « motifs sérieux et avérés » de croire que, après le retrait de l’Union de l’État membre d’émission, la personne faisant l’objet de ce mandat d’arrêt risque d’être privée des droits fondamentaux et du bénéfice de la règle de spécialité, tels que garantis par le droit de l’Union (pt. 49). La Cour de justice ne s’arrête d’ailleurs pas à ce stade. Elle va indiquer aux juges nationaux les éléments à prendre en considération afin d’établir l’existence de ces motifs sérieux et avérés. Ce qui nous conduit au second point du raisonnement de la Cour de justice dans cette affaire.
En second lieu, la Cour rappelle les règles institutionnelles de l’Union en vertu desquelles seul le Conseil européen peut décider de suspendre l’application d’un mandat d’arrêt européen au regard d’un État membre (pt. 47). Cela signifie que les États membres de l’Union liés par l’application du mandat d’arrêt européen ne peuvent pas décider, unilatéralement, de mettre un terme à leurs relations judiciaires avec un État sortant sur le fondement de l’article 50 TUE, quel que soit cet État. Un tel rappel aurait sans doute impliqué un recul plus marqué de la Cour de justice dès lors qu’elle n’a pas légalement compétence pour suspendre les relations de coopération judiciaire avec un État membre.
Pourtant, la Cour se positionne sur cette question, lorsqu’elle accepte de vérifier que l’État sortant, ici le Royaume-Uni, présente en droit interne des garanties équivalentes –et donc suffisantes selon la Cour- de respect des droits accordés par le droit de l’Union dans le cadre d’une procédure de remise. Plus précisément, la Cour de justice considère que l’autorité d’exécution du mandat d’arrêt européen doit pouvoir présumer que, à l’égard de la personne faisant l’objet de la remise, l’État membre d’émission appliquera en substance les droits garantis par le droit de l’Union à la période postérieure à la remise et après le retrait de l’État de l’Union (pt. 61).
La présomption ici posée par la Cour est fondée sur le contenu du droit national de l’État sortant de l’Union européenne. Selon la Cour de Luxembourg, la vérification d’une équivalence de protection repose notamment sur la participation de cet État à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et à la Convention européenne de 1957 en matière d’extradition. On regrettera la légèreté de cet argument d’appartenance à des conventions internationales pour garantir la sécurité juridique du justiciable et la protection de ses droits fondamentaux dans l’État d’émission (sortant) après sa remise…
Malgré tout, l’engagement de la Cour de justice dans cette décision du 19 septembre 2018 est indéniable. D’une part, elle procède elle-même à l’analyse de la situation au Royaume-Uni pour conclure qu’il n’existe pas d’indices tangibles permettant en l’espèce de renverser la présomption qu’elle vient de poser. Aussi, le Brexit ne devrait pas être un obstacle à l’exécution des mandats d’arrêt européens jusqu’en mars 2019.
D’autre part, par cette décision la Cour de justice règle une question structurelle que les institutions européennes n’avaient pas su anticiper.
La Cour de justice de l’Union européenne vient également au secours de la construction répressive européenne lorsqu’elle intervient pour renforcer le cadre juridique structurant le droit européen de la coopération pénale.
2 – Renforcement du cadre juridique structurant le droit européen de la coopération pénale
Les deux arrêts en date du 25 juillet 2018 qui retiennent ici notre attention concernent deux points sensibles de l’espace pénal européen : l’avenir du principe structurel de la confiance mutuelle dans l’Union et l’effectivité des instruments de coopération judiciaire pénale via la pertinence de la saisine de la CJUE.
Dans les deux cas, la Cour de justice va démontrer l’importance de son rôle pour la construction répressive européenne. Elle tente de renforcer la place de la confiance mutuelle dans un contexte hostile (a) et d’élargir la voie préjudicielle devant elle dans le cadre de l’exécution des mandats d’arrêt européens (b).
a. La place de la confiance mutuelle dans un contexte de défiance à l’égard de l’indépendance de la justice d’un État membre
La question préjudicielle soulevée par la High Court de la République d’Irlande en mars 2018 à propos de mandats d’arrêt européens émis par la Pologne aux fins de poursuites contre LM est représentative de la crise actuelle dans l’Union européenne. Aussi, l’arrêt rendu par la Grande chambre de la Cour de justice le 25 juillet 2018 (C-216/18PPU) reste le plus marquant de ces derniers mois concernant les développements du mandat d’arrêt européen et de la construction répressive de l’Union.
Indéniablement, cette décision de justice est rendue à la faveur d’une confiance mutuelle sérieusement mise à mal par la conjoncture actuelle. Deux aspects de l’arrêt feront l’objet d’observations dans les lignes qui suivent.
Sur le premier aspect, celui du fonctionnement du mécanisme de la reconnaissance mutuelle, la question est de savoir si le non respect du droit fondamental à un procès équitable devant un tribunal indépendant dans l’État membre d’émission du mandat d’arrêt européen peut être un obstacle à l’exécution de ce dernier.
Considérant la proposition de déclenchement de la procédure de l’article 7 TUE par la Commission le 20 décembre 2017 à l’encontre de la Pologne pour violation des valeurs de l’État de droit, la République d’Irlande s’interroge, en substance, sur la pertinence d’un obstacle automatique à l’exécution de tout mandat d’arrêt européen qui serait émis par l’État membre dont le système judiciaire ne fonctionne plus selon le principe de l’État de droit. Une interrogation qui se comprend parfaitement tant il est difficile de concevoir le maintien d’une activité judiciaire transnationale avec un État membre qui ne respecterait pas les valeurs de l’État de droit, étant visés ici l’indépendance de la justice et le droit à un procès équitable.
La Cour de justice va répondre de manière très précise au juge national. Pour ce faire, elle s’inscrit directement dans les suites de sa jurisprudence Aranyosi et créé, au titre des « circonstances exceptionnelles », un nouveau motif de refus d’exécution des mandats d’arrêt européens.
Selon la Cour, « l’autorité judiciaire d’exécution ne peut s’abstenir, sur le fondement de l’article 1er §3 de la décision-cadre 2002/584, de donner suite à un mandat d’arrêt européen émis par un État membre qui fait l’objet d’une proposition motivée au sens de l’article 7 §1 TUE, que dans des circonstances exceptionnelles où ladite autorité constate, à l’issue d’une appréciation concrète et précise du cas d’espèce qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que la personne faisant l’objet de ce mandat d’arrêt européen courra, à la suite de sa remise à l’autorité judiciaire d’émission, un risque réel de violation de son droit fondamental à un tribunal indépendant et, partant du contenu essentiel de son droit fondamental à un procès équitable » (pt. 73).
Deux enseignements peuvent être tirés de la solution construite par la Cour de justice. D’abord, le déclenchement de l’article 7 TUE à l’encontre de la Pologne pour violation des valeurs de l’État de droit dont le respect du droit fondamental à un procès équitable ne permet pas à l’autorité d’exécution de refuser « automatiquement » d’exécuter le mandat d’arrêt européen émis par ledit État. Ensuite, l’autorité d’exécution du mandat d’arrêt européen devra se livrer à un examen circonstancié et individuel de l’indépendance de la justice et du respect du droit à un procès équitable dans l’État d’émission. Suivant la même logique que celle retenue dans son arrêt ML du même jour rendu à propos du risque de traitement inhumain et dégradant (v. supra), la Cour fournit des critères d’appréciation du risque réel de violation du droit fondamental à un procès équitable tout en renvoyant le juge national d’exécution à sa responsabilité pour décider de l’existence ou non de motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée encourt ce risque en l’espèce.
In fine, quelle que soit la décision d’espèce que l’autorité d’exécution prendra concernant la mise à exécution du mandat d’arrêt européen, une telle solution de la Cour de Luxembourg participe au renforcement de la confiance mutuelle. Précisément, en permettant aux autorités judiciaires nationales de refuser l’exécution d’un mandat d’arrêt européen dans l’hypothèse d’une violation par un autre État membre d’un droit non absolu, tel le droit à un tribunal indépendant et impartial, la Cour renforce la confiance des autorités nationales dans le mécanisme même de la reconnaissance mutuelle des décisions pénales.
Ceci étant dit, il n’est pas certain que ce nouveau motif de refus prétorien contribue à renforcer la confiance mutuelle entre les autorités nationales. Sauf pour la Cour de justice à relever ici un défi plus grand en se positionnant sur l’interprétation du droit à un tribunal indépendant et impartial au sens du droit de l’Union.
Un défi que la juridiction européenne semble relever. C’est le second aspect de la décision LM du 25 juillet 2018 qui retiendra notre attention.
Le second aspect de l’arrêt LM concerne davantage la structure générale de l’espace pénal européen. Il illustre parfaitement le sauvetage judiciaire de la confiance mutuelle amorcé par la Cour de justice à l’été 2018. Certes ce secours n’est peut-être pas à la hauteur de toutes les attentes, mais il a le mérite d’exister.
Avec son arrêt du 25 juillet 2018, la Cour de Luxembourg se montre même audacieuse. Tout en choisissant de ne pas se substituer au Conseil européen qui en vertu de l’article 7 §2 TUE est le seul compétent pour constater la violation grave et persistante par un État membre des valeurs et principes de l’Union, elle se positionne sur la situation de la Pologne au regard de son respect des droits fondamentaux tels que garantis par le droit primaire de l’Union. Rappelant alors que tout le mécanisme de reconnaissance mutuelle est judiciarisé et repose sur la garantie d’un système de justice conforme aux principes de l’État de droit, la Cour intervient à deux niveaux.
D’abord, plus ou moins en creux, elle renvoie les institutions européennes, au premier rang desquelles le Conseil européen, à leurs responsabilités face à une violation des droits fondamentaux dans l’Union. En mettant en avant, tout au long de sa décision, les conséquences graves, en termes de protection des individus dans le cadre d’une procédure de coopération pénale, d’un risque clair de violations des valeurs de l’État de droit par un État membre, la Cour interpelle les institutions européennes en charge de la sanction de cette atteinte aux valeurs de l’Union. En ce sens, cet arrêt LM est une des prémices de la procédure en manquement que vient d’engager, fin septembre 2018, la Commission européenne à l’encontre de la Pologne en raison des violations du principe d’indépendance de la justice dans ce pays. Ensuite, expressément, elle s’engage sur l’interprétation des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux. S’appuyant sur son arrêt Associaçao Sindical dos Juizes Portugueses (CJUE, 27 février 2018, C-64/16), le juge de l’Union énonce, clairement, le contenu de l’article 47 de la Charte qui garantit un droit à un tribunal indépendant et impartial (pt. 62 à 67).
Ce travail d’interprétation représente un apport juridique majeur pour la construction d’un espace commun de justice pénale, non directement soumise à la compétence de la Cour de Strasbourg. Prenant acte des conséquences de son Avis 2/13 à cet égard, la Cour de justice de l’Union européenne semble prendre ses responsabilités juridictionnelles. Ce faisant, elle contribue à renforcer l’uniformité du droit européen et, par là même, la confiance mutuelle entre les États membres.
Somme toute, la Cour de justice de l’Union fournit des outils juridiques aux juges nationaux pour assurer une meilleure application du droit pénal européen conformément au principe de confiance mutuelle. De surcroît, la Cour par cet arrêt montre qu’il est possible de ne pas confondre le problème structurel et institutionnel profond auquel l’Union européenne doit faire face, et les difficultés de mise en œuvre de certaines dispositions relevant de la reconnaissance mutuelle des décisions pénales. Les défaillances de la structure ne signifient pas que le mécanisme de fonctionnement est techniquement voué à l’échec. En revanche, il n’est pas discutable que cela appelle des modifications et améliorations de la construction répressive européenne.
A son niveau, et même au-delà des attributions qui lui sont conférées par le Traité, la Cour de justice de l’Union s’engage la première dans ces travaux de renforcement. Ouvrir encore aux juges nationaux la voix du recours préjudiciel s’inscrit également dans cette dynamique.
b. L’importance du renvoi préjudiciel pour garantir l’uniformité du droit pénal européen
Dans l’arrêt AY du 25 juillet 2018 (CJUE, 25 juillet 2018, AY, C-268/17), la Cour de justice est saisie d’une demande de décision préjudicielle introduite par la Croatie un an auparavant sur l’interprétation des motifs de non-exécution du mandat d’arrêt européen fondés, plus ou moins directement, sur le principe Ne bis in idem. Une occasion pour la Cour de justice de se pencher sur la question complexe de l’articulation entre la reconnaissance mutuelle et le principe Ne bis in idem.
Certes l’intérêt premier de cet arrêt n’est peut-être pas la réponse de la Cour concernant les motifs de non-exécution des mandats d’arrêt européens fondés sur le respect de ce principe, mais la problématique ne peut être totalement occultée. Droit fondamental dont doit bénéficier tout individu impliqué dans une procédure pénale en vertu de l’article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union, ne bis in idem fait obstacle à toute nouvelle procédure pénale à l’encontre d’une même personne.
La décision-cadre sur le mandat d’arrêt européen garantit le respect de ce principe en prévoyant, au moins, deux motifs de refus d’exécution de l’instrument de coopération pénale dans le cas où cela pourrait contrevenir à l’interdiction d’une double procédure dans l’espace pénal européen.
Le premier motif, obligatoire, prévu à l’article 3 point 2 de la décision-cadre, reprend l’énoncé classique du principe ne bis in idem, en vertu duquel est interdite toute nouvelle procédure pénale à l’encontre de la personne qui a fait l’objet d’un jugement définitif pour les mêmes faits dans un État membre à condition que, en cas de condamnation, celle-ci ait été subie ou soit actuellement en cours d’exécution ou ne puisse plus être exécutée selon les lois de l’État membre de condamnation. Le second motif, facultatif, prévu à l’article 4 point 3 de la décision-cadre, permet le refus d’exécution d’un mandat d’arrêt européen lorsque les autorités de l’État membre d’exécution ont décidé de mettre fin aux poursuites pour l’infraction faisant l’objet du mandat.
La question posée à la Cour était de savoir si les motifs de refus sus-mentionnés sont applicables dans l’hypothèse où ce n’est pas la personne faisant l’objet du mandat d’arrêt européen qui est visée par la procédure pénale engagée -et terminée- dans l’État d’exécution.
En effet, dans cette affaire, les autorités hongroises d’exécution avaient déclenché une enquête contre un « auteur inconnu » sur les faits qui étaient reprochés à l’individu visé par le mandat d’arrêt européen croate. Après avoir entendu cet individu uniquement comme témoin dans le cadre de l’enquête en Hongrie, le Ministère public hongrois a décidé de mettre fin à la procédure.
A cette question nouvelle, la Cour de justice répond « qu’une décision du ministère public, telle que celle du bureau central des enquêtes hongrois en cause au principal, ayant mis fin à une enquête engagée contre un auteur inconnu au cours de laquelle la personne qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt européen n’a été entendu qu’en qualité de témoin, sans que des poursuites pénales aient été menées contre cette personne et que cette décision ait été prise à l’égard de celle-ci, ne saurait être invoquée aux fins de refuser l’exécution de ce mandat d’arrêt européen sur le fondement de l’une ou l’autre de ces dispositions » (pt. 63).
Ce faisant, la Cour de justice se maintient dans une interprétation finaliste du droit dérivé de la coopération pénale qui va dans le sens de l’efficacité des instruments répressifs européens.
Une doctrine jurisprudentielle qui explique également que la Cour rappelle dans cet arrêt du 25 juillet 2018 qu’une « autorité judiciaire d’exécution qui garde le silence à la suite de l’émission d’un mandat d’arrêt européen et ne transmet ainsi aucune décision à l’autorité judiciaire d’émission de celui-ci méconnaît les obligations qui lui incombent au titre de la décision-cadre 2002/584 » (pt. 35).
A ce premier pan de l’arrêt AY s’ajoute un second, sans doute le plus remarquable : la recevabilité de la demande de décision préjudicielle introduite par la Croatie, État d’émission du mandat d’arrêt européen.
En l’espèce, le renvoi préjudiciel effectué par le Tribunal de comitat de Zagreb, Croatie, intervient dans le cadre d’une procédure d’exécution de mandat d’arrêt européen, conformément à la décision-cadre 2002/584. Or, la Croatie est dans cette affaire l’Etat d’émission du mandat d’arrêt européen à destination de la Hongrie, Etat d’exécution.
La question posée, indirectement, à la Cour de justice était de savoir si, dans une telle procédure, un État d’émission d’un mandat d’arrêt européen peut saisir la Cour de justice d’une demande de décision préjudicielle. Jusqu’ici tous les renvois préjudiciels en interprétation de la décision-cadre 2002/584 relative au mandat d’arrêt européen avaient pour auteur le juge de l’État d’exécution du mandat d’arrêt européen. Cette dernière autorité se trouvant confrontée à une difficulté dans la mise en œuvre du droit dérivé de l’Union au moment de prendre sa décision sur l’exécution du mandat d’arrêt européen sollicite la Cour de justice pour une interprétation du droit de l’Union. L’objectif de la saisine de la Cour supranationale est de permettre au juge national de rendre une décision juridictionnelle dans le litige dont il est saisi. Habituellement, en matière de mandat d’arrêt européen, ce « litige » est précisément la procédure d’exécution portée devant les juridictions de l’État membre destinataire du mandat d’arrêt.
Dans cet arrêt du 25 juillet 2018 (points 23 à 31), la Cour de justice rappelle que toutes questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national bénéficient d’une présomption de pertinence. Celle-ci peut être renversée s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre (pt 25). Elle considère qu’en l’espèce aucun de ces motifs d’irrecevabilité n’est caractérisé.
D’abord, les autorités de l’État d’émission restent saisies de la procédure relative à l’émission du mandat d’arrêt européen jusqu’à ce que le juge d’exécution ait rendu sa décision sur le fond. En outre, dans le cadre de cette procédure, le juge croate précise qu’il pourrait être emmené, en fonction des réponses aux questions préjudicielles, à retirer le mandat d’arrêt européen à l’encontre de AY.
Ensuite, et surtout, la Cour de justice va relever qu’« en tout état de cause, la recevabilité de la demande de décision préjudicielle n’est pas remise en cause par la circonstance que les questions posées portent sur les obligations de l’autorité judiciaire d’exécution, alors que la juridiction de renvoi est l’autorité judiciaire d’émission du mandat d’arrêt européen. En effet, l’émission d’un mandat d’arrêt européen a pour conséquence l’arrestation possible de la personne recherchée et, partant, porte atteinte à la liberté individuelle de cette dernière. Or, la Cour a jugé que, s’agissant d’une procédure relative à un mandat d’arrêt européen, la garantie des droits fondamentaux relève, au premier chef, de la responsabilité de l’État membre d’émission » (pt. 28). Ce dernier argument de la Cour de justice nous semble décisif.
C’est la logique même du mécanisme de reconnaissance mutuelle, reposant sur la prémisse selon laquelle toute la procédure, en particulier dans l’État d’émission, est sous contrôle judiciaire, qui permet le respect des droits fondamentaux de la personne visée par le mandat d’arrêt européen. Partant que l’interprétation du droit européen par la Cour pourrait conduire l’autorité d’émission à retirer le mandat d’arrêt européen afin de mieux respecter les droits fondamentaux, il convient de permettre à cette autorité de saisir la Cour d’un renvoi préjudiciel.
Nul doute que face aux résistances marquées de certains États membres d’exécuter les mandats d’arrêt européens (pour une autre illustration de ce types de blocages intra-européens, voir l’affaire Carles Puigdemont), l’arrêt de la Cour de justice à la faveur d’une recevabilité de cette question préjudicielle offre un souffle juridictionnel nouveau à la construction répressive européenne.