La Cour que l’on sait soucieuse de distinguer le régime juridique applicable aux citoyens de l’Union de celui régissant les ressortissants turcs (CJUE, 8 déc. 2011, aff. C-371/08, Ziebell) s’attache toutefois à défendre les droits des travailleurs turcs et notamment le droit au regroupement familial.
La situation soumise à la Cour dans l’arrêt du 29 mars 2012, aff. jtes., C-7/10 et C-9/10, Tayfun Kahveci et Osman Inan est inédite : elle doit préciser l’incidence sur le bénéficiaire du regroupement familial auprès d’un travailleur turc, de l’acquisition, par ce travailleur, de la nationalité de l’Etat d’accueil sans perte de la nationalité turque.
Les circonstances de l’affaire ayant conduit le juge allemand à saisir la Cour à titre préjudicielle sont les suivantes : Monsieur Kahveci est entré aux Pays-Bas au titre du regroupement familial auprès de sa femme, travailleuse turque régulièrement employée aux Pays-Bas et qui a acquis la nationalité néerlandaise en sus de sa nationalité turque. Monsieur Inan bénéficie quant à lui du regroupement familial auprès de son père, travailleur turc régulièrement employé aux Pays-Bas qui a acquis la nationalité néerlandaise en sus de la nationalité turque. Messieurs Kahveci et Inan respectent la condition de résidence auprès du travailleur turc au titre duquel le regroupement familial a été accordé. Ils ont tous deux été condamnés à une peine de prison pour diverses infractions. Le secrétaire d’Etat à la justice néerlandais se fonde sur ces condamnations pour retirer le titre de séjour de Monsieur Kahveci et refuser la prorogation de celui de Monsieur Inan. Tous deux contestent cette décision et se prévalent de la décision 1/80 d’application de l’accord d’association UE/Turquie. Le secrétaire d’Etat à la Justice estime pour sa part que l’accord d’association n’est pas applicable aux motifs que Madame Kahveci et Monsieut Inan père ont acquis la nationalité néerlandaise.
La Cour rejette cette interprétation. Elle considère que l’accord d’association se caractérise par un régime d’acquisition progressive de droits au bénéfice des travailleurs turcs et des membres de leur famille et par l’instauration de « conditions favorables au regroupement familial dans l’Etat membre d’accueil ». Elle considère que cette finalité de l’accord d’association serait « contrecarrée si le fait d’obtenir la nationalité de l’Etat membre d’accueil obligeait un travailleur turc ayant toujours la nationalité turque à renoncer au bénéfice des conditions favorables au regroupement familial dans ledit Etat membre d’accueil ». Les autorités néerlandaises doivent donc tirer les conséquences des comportements de Messieurs Kahveci et Inan selon les dispositions de l’accord d’association, c’est-à-dire fonder leur décision sur un comportement personnel constitutif d’un risque concret de nouvelles perturbations graves de l’ordre public.