Un rapport du Conseil de l’Europe remet la question de l’interception des migrants en mer sous les feux des projecteurs, peu de temps après que le HCR ait constaté que l’année 2011 avait été la plus meurtrière en Méditerranée, chiffrant cette année-là les disparus à près de 1500.
Fuyant Tripoli au début du printemps 2011, 72 personnes originaires d’Ethiopie, du Nigéria, d’Erythrée, du Ghana et du Soudan avaient été entassées dans une embarcation de fortune par des passeurs, afin de rejoindre les côtes italiennes.
Dès le premier jour de leur navigation, les autorités italiennes, maltaises et libyennes étaient prévenues de la détresse dans laquelle leur embarcation se trouvait. Des navires non identifiés mais agissant sous mandat de l’OTAN, ainsi que des bateaux de pêcheurs alertés par les centres de commandements italiens croiseront les naufragés… en vain. Aucun ne viendra à leur rescousse. Après dix jours de dérives, neuf survivants seulement atteindront la ville côtière libyenne de Ziltan.
Trois ans après les morts de Lanzarote, rien n’a vraiment changé et ce drame humain est évidemment condamnable moralement. Il pose aussi de redoutables questions pour parvenir à une condamnation comparable sur le plan juridique.
Il implique, de prime abord, de rendre compte des responsabilités de chacun et le rapport précité du Comité des migrations démontre que leur détermination n’est pas simple.
Le droit international maritime impose à tout capitaine de navire de porter secours à une embarcation en détresse (Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982), et organise des opérations de recherche et de sauvetage en mer (Convention internationale de 1974 pour la Sauvegarde de la vie humaine en mer, SOLAS, Convention internationale de 1979 sur la Recherche et le sauvetage maritimes, SAR). Il ne règle pas pour autant explicitement le partage des responsabilités en cas de défaillance.
Si l’on y ajoute, la mauvaise foi avec laquelle les Etats se défaussent de leurs obligations, le respect des droits des migrants, empruntant au péril de leur vie les eaux méditerranéennes, est loin d’être résolu.
Pourtant, il y a peu, la CourEDH, dans l’affaire Hirsi Jamaa, aux contours similaires, mais au dénouement moins dramatique, a apporté une pierre déterminante à l’édifice.
A l’argument italien, expliquant que les gardes côtes italiens avaient seulement souscrit à leur obligation de sauvetage en mer en prenant à bord de leur navire des migrants somaliens et érythréens et en les ramenant de là où ils provenaient, en l’occurrence la Libye, la Cour répond qu’un Etat lié par la CEDH ne peut en écarter l’application, quand bien même le litige surviendrait en haute mer. L’Italie devait donc appliquer la législation internationale maritime (obligation de sauvetage), sans oublier pour autant d’exécuter ses obligations en matière de protection internationale et de droits fondamentaux. La Cour constate le non-respect du principe de non-refoulement (la Libye n’étant pas un pays tiers sûr), et de l’interdiction des expulsions collectives, faute de traitement individuel des requêtes des migrants.
La clarté avec laquelle la Cour invite les Etats parties à la Convention à faire face à leurs responsabilités ne souffre pas de discussions (§§ 177-180) : les eaux internationales ne sont pas un « no man’s land », un lieu où toute vie juridique cesserait d’exister.
Oui mais… une chose est de le dire, une autre de le faire.
La dimension opérationnelle de ces interceptions et plus largement de la lutte contre l’immigration irrégulière, invite à réfléchir au rôle que l’UE doit jouer. Ces évènements, par leur répétition et leur gravité, ne démontrent-ils pas que l’action trop souvent isolée des Etats, aboutit à des résultats inacceptables ? Des drames humains d’abord et avant tout, des objectifs d’efficacité de la lutte contre l’immigration irrégulière non atteints par ailleurs, des manquements à des obligations internationales, enfin, qui imposeront condamnation…
La gestion des frontières extérieures demeure de la responsabilité des Etats membres mais l’on sait que l’Agence Frontex a pour fonction de les assister dans leur mise en oeuvre du droit pertinent de l’UE (article 1§2 du règlement 1168/2011, modifiant le règlement 2004/2007 portant création de l’Agence Frontex).
Ne pas négliger l’action de Frontex serait donc nécessaire pour améliorer les opérations menées en matière de gestion des frontières extérieures, le règlement 1168/2011 renforçant considérablement les capacités opérationnelles de l’Agence.
D’autant que le texte modifié répond en partie aux critiques de l’Agence sur son manque de transparence et son déficit de garanties en matière de droits fondamentaux.
Son article 26 dispose que l’Agence « conçoit, développe et met en œuvre sa stratégie en matière de droits fondamentaux et met en place un mécanisme efficace pour contrôler le respect des droits fondamentaux dans toutes ses activités » et prévoit la désignation d’un officier aux droits fondamentaux qui contrôlera le respect effectif de ces droits ainsi que l’adoption d’un code de conduite qui précèdera chaque intervention de Frontex.
Ce pas en avant ne doit pas être sous-estimé. Le médiateur européen vient, de sa propre initiative, d’ouvrir une enquête, pour s’assurer de l’effectivité de la stratégie de Frontex en matière de droits fondamentaux. C’est donc bien le signe d’un progrès, de ce que l’Agence n’est plus en mesure, quand bien même elle le voudrait, d’agir en toute impunité, comme cela lui a été souvent reproché.
Gageons en tous cas que le sort des malheureux qui disparaissent en Méditerranée a tout à gagner à cette évolution.