par Guillemine Taupiac-Nouvel, IRDEIC.
La Cour de justice a rendu le 5 septembre 2012 un arrêt de grande chambre (C-42/11) important pour la coopération judiciaire pénale dans le cadre d’une confrontation de la décision-cadre 2002/584 relative au mandat d’arrêt européen (MAE) aux exigences de cohérence de l’Espace de liberté sécurité et justice. La Cour d’appel d’Amiens amenée à exécuter un MAE émis par les autorités portugaises le 14 septembre 2006 contre Monsieur Lopes Da Silva Jorge aux fins de l’exécution d’une peine de cinq ans d’emprisonnement pour des faits de trafic de stupéfiants commis en 2002 s’interroge.
L’autorité française peut-elle refuser de donner suite au MAE sur le fondement de l’article 695-24 du Code de procédure pénale (CPP) qui prévoit que « l’exécution d’un mandat d’arrêt européen peut être refusée si la personne recherchée pour l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté est de nationalité française et que les autorités françaises compétentes s’engagent à faire procéder à cette exécution » ?
Dit autrement, et là se trouve tout l’enjeu de la question, ce ressortissant portugais installé en France depuis plusieurs années peut-il exécuter en France la peine d’emprisonnement à laquelle il a été condamné par les autorités portugaises ? La particularité de la situation est de soulever la problématique du transfèrement des condamnés pour une personne de nationalité portugaise dans le cadre de la procédure d’exécution d’un MAE par les autorités françaises.
Le renvoi préjudiciel devant la CJUE vient certes allonger de vingt mois la procédure d’exécution du MAE mais il donne l’occasion à la Cour de justice de préciser le mode d’emploi du triptyque mandat d’arrêt européen, réinsertion sociale des condamnés dans l’espace européen et nationalité des individus (voir déjà CJUE 6 octobre 2009 Wolzenburg, C-123/08). Les juges européens vont devoir décider si le motif de non exécution facultatif d’un MAE de l’article 4 §6 de la décision-cadre 2002/584 peut, tel que la France le prévoit dans son dispositif de transposition, être limité aux seuls ressortissants du pays d’exécution sans appréciation de la situation de l’individu eu égard à l’impératif de réinsertion sociale. La réponse négative de la Cour de justice était prévisible compte tenu de sa jurisprudence précédente (Wolzenburg, préc.) mais contient de nouvelles indications essentielles qui retiendront l’attention du juriste.
Il est maintenant clairement établi que la nationalité ne peut se maintenir comme condition d’application des instruments de coopération judiciaire pénale dans l’espace européen. La Cour de justice rappelle en effet que « les Etats membres en transposant l’article 4 §6 de la décision-cadre 2002/584 dans leur droit interne, sont tenus au respect de l’article 18 TFUE » qui pose l’interdiction de toute discrimination dans l’espace européen. Pourtant, c’est sur un fondement plus pragmatique qu’elle va, principalement, baser sa décision.
Suivant ainsi les conclusions de l’Avocat général Mengozzi, les juges s’attachent à expliquer comment le principe de reconnaissance mutuelle des décisions de justice, à la base du MAE, doit être encadré par l’obligation d’assurer la réinsertion sociale du condamné. Le principe de reconnaissance mutuelle signifie, rappelons-le, que les décisions étrangères sont reconnues et, notamment, les MAE exécutés. Aussi, lorsque M. Lopes Da Silva Jorge demande sur le fondement de l’article 695-24 CPP, en application de l’article 4 §6 de la décision-cadre 2002/584, que la peine d’emprisonnement prononcée par les autorités portugaises soit exécutée en France, et donc que le MAE soit écarté, la marge d’appréciation des autorités françaises doit porter sur les chances de réinsertion sociale de l’intéressé. Or, le reproche premier fait au législateur français est précisément d’avoir oublié lors de la transposition de la décision-cadre 2002/584 l’objectif de ce motif de non-exécution facultative, « à savoir d’accroître les chances de réinsertion sociale d’une personne condamnée à une peine privative de liberté ».
Prenant acte de cet objectif déjà rappelé dans l’arrêt Wolzenburg, la CJUE considère qu’il n’est pas possible de traiter différemment face à ce motif de non exécution facultative les ressortissants du pays d’exécution et les ressortissants d’autres Etats membres « qui résident ou demeurent dans l’Etat d’exécution ». Les autorités françaises en refusant d’apprécier « la durée, la nature et les conditions de séjours », de Monsieur Lopes Da Silva Jorge en France « ainsi que ses liens familiaux et économiques », n’appliqueraient pas correctement le droit européen.
Il est alors intéressant de se tourner vers la justification avancée par le Gouvernement français selon laquelle le droit positif français ne permet pas de faire exécuter une peine étrangère sur le territoire français. La Convention européenne sur le transfèrement des condamnés de 1983 n’est en effet applicable en France que pour les seuls ressortissants nationaux, et il n’existe pas d’autre règle permettant la reconnaissance de la valeur d’une décision de condamnation étrangère à une peine privative de liberté. L’exclusion des non-nationaux de l’application du motif de refus d’exécution facultatif du MAE s’expliquerait-elle par une absence de cohérence de l’espace pénal européen n’offrant pas d’outil juridique pour un fonctionnement effectif du MAE ?
La CJUE répond en démontrant la complémentarité des instruments de coopération judiciaire européens. Précisément ici, la décision-cadre 2008/909 concerne l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux jugements en matière pénale prononçant des peines ou des mesures privatives de liberté aux fins de leur exécution dans l’Union européenne. La difficulté est que la France n’a toujours pas transposé cette décision-cadre, le délai imparti courant jusqu’au 5 décembre 2011. L’argument du Gouvernement français pourrait alors se comprendre dès lors qu’il a été démontré qu’à l’heure actuelle la sensible exécution d’une décision de justice étrangère n’existe en droit pénal qu’au travers de l’application du principe de reconnaissance mutuelle. Mais de deux choses l’une, soit l’absence de base légale en France pour l’exécution des décisions de condamnation étrangères est générale et ce faisant justifiée, soit, si elle ne concerne que les décisions prononcées contre des non-nationaux alors elle ne repose sur aucun argument juridique. L’article 695-24 CPP serait l’illustration parfaite du réflexe souverainiste d’un Etat membre qui, s’il reste accepté dans les Conventions internationales, n’a plus sa place en droit pénal européen.
A ce titre, et à défaut de pouvoirs plus contraignants au moins jusqu’en 2014, la Cour européenne va rappeler aux Etats membres l’obligation d’interprétation conforme du droit national au droit européen demandant aux juges français d’une part, de pallier, dans l’attente d’une intervention législative, la discrimination contraire au droit de l’Union européenne et, d’autre part, de décider de l’exécution du MAE après avoir apprécié les chances de réinsertion sociale en France de Monsieur Lopes Da Silva Jorge au regard de critères suggérés par le juge européen. Mais le mode d’emploi va-t-il être suivi par la juridiction de renvoi ?