par Jean-Sylvestre Bergé, EDIEC
La révision du Règlement n° CE/44/2001 dit de « Bruxelles 1 » a été adoptée (voir sur ce blog, la présentation du nouveau règlement « Bruxelles 1 bis » par C. Nourissat). Parallèlement, nous savons qu’une proposition de droit commun européen la vente est actuellement discutée (voir sur ce blog, les billets consacrés au projet).
La reconsidération à la baisse du projet initial de refonte du texte de droit international privé pourrait utilement inspirer le législateur européen dans le processus législatif en cours s’agissant du droit européen de la vente.
La Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à un droit commun européen de la vente (Com (2011) 635 final) a été introduit dans le processus législatif européen. C’est un processus long et aléatoire qui implique l’approbation conjointe du Conseil des ministres de l’Union européenne et du Parlement européen (procédure dite de « co-décision »).
La doctrine n’a pas attendu l’issue de ce processus pour livrer de multiples analyses et commentaires. Ces derniers prennent fréquemment la forme d’articles ou de notules. Mais ils donnent lieu également à la publication de monographies. Deux d’entre elles méritent d’être signalées : O. Deshayes (dir.), Le droit commun européen de la vente – Examen de la proposition de Règlement du 11 octobre 2011, SLC, coll. TEE, 2012, 449 p. ; R. Schulze (ed.), Common European Sales Law (CESL) – Commentary, Beck – Hart – Nomos, 2012, 780 p.
Le premier ouvrage, dirigé par notre collègue Olivier Deshayes, se subdivise en deux parties à peu près égales. La première réunit dix contributions qui passent en revue différents thèmes-clés : la place de cet instrument eu égard à la technique plus générale des instruments optionnels, son caractère autonome, son interprétation et son application, son champ d’application, la manière dont il appréhende la formation du contrat, son contenu et les moyens d’action en cas d’inexécution. La seconde partie contient une table de concordance qui établit ainsi une sorte de généalogie entre le texte de la proposition de droit commun européen de la vente et d’autres textes qui l’ont précédé : la Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises, les principes d’Unidroit relatifs aux contrats du commerce international, les principes du droit européen des contrats, le projet de cadre commun de référence et la Directive 2011/83/UE relative aux droits des consommateurs.
Le second ouvrage est un commentaire systématique, article par article, de la proposition de règlement (le règlement proprement dit puis ses annexes dont, naturellement, l’annexe I qui forme le cœur du dispositif). Il a été dirigé par l’un des grands inspirateurs d’un droit civil de dimension européenne : le professeur Reiner Schulze. Quinze contributeurs venus de toute l’Europe (on signalera dans l’équipe la présence de deux spécialistes français de droit des contrats) ont ainsi prêté main forte. Le travail se veut systématique, jusque dans les entrées de chaque article. Quatre paragraphes sont, en effet, le plus souvent proposés : fonction, contexte, explication et critique. Même si le travail se veut synthétique, l’appareil scientifique est généralement très nourri de sorte que le lecteur est très souvent invité à poursuivre sa réflexion au moyen d’autres références documentaires ou critiques.
Ces deux publications, à l’architecture très différente l’une de l’autre, ont pour point commun de proposer pour l’essentiel (exception faite des contributions liminaires aux deux ouvrages), une analyse que l’on pourrait qualifier de « réflexive » du droit européen des contrats. La proposition de règlement est envisagée comme un « nouvel entrant » dans la famille des grandes sources du droit des contrats. Ses apports et ses limites sont jaugés à l’aune des constructions juridiques du même type et préexistantes.
Cette manière de procéder est absolument légitime et pour tout dire indispensable. Des travaux de ce genre sont extrêmement précieux pour tous les juristes qui auront à connaître de la mise en œuvre théorique (pour l’heure) ou pratique (si la proposition est adoptée) de l’instrument. On peut prédire un bel avenir à ces deux ouvrages.
Mais cette approche n’est pas suffisante. Il faut poursuivre l’effort.
Le droit des contrats, pas plus que n’importe quelle autre branche du droit, n’est son propre système juridique. Il fait partie d’un ensemble normatif. Cet ensemble peut être de dimension nationale, régionale, internationale et, éventuellement (si l’on admet son existence), transnationale. Ici il est clairement de dimension européenne, plus exactement de dimension de droit de l’Union européenne.
Le travail de réflexion doit donc se poursuivre sur ce que l’on pourrait appeler la contextualisation de ce droit européen des contrats à l’intérieur du système juridique de l’Union européenne. Il ne s’agit pas ici de penser uniquement la question, par exemple, des rapports entre cette source du droit des contrats et les autres sources européennes du même type (directives, règlements, principes, etc.). Il s’agit également de poser la question des relations entre ce droit européen des contrats et d’autres dimensions du système juridique de l’Union européenne.
Ces autres dimensions, nous les connaissons dans l’espace européen : les libertés européennes de circulation ou de libre concurrence, la protection des droits fondamentaux, le processus de rapprochement des législations nationales, le contentieux contractuel dans sa dimension proprement européenne (avec l’intervention de la Cour de justice de l’Union européenne ou du juge national, juge européen de droit commun), l’émergence d’une citoyenneté européenne et d’un espace de liberté sécurité justice. Peut-être que ce travail de contextualisation sera considéré comme prématuré. L’urgence n’est-elle pas d’adopter le règlement et de régler ensuite les questions d’articulation interne, propre au système juridique de l’Union européenne ? Une telle réflexion est cependant essentielle. Si l’on veut qu’une proposition de ce type soit sérieusement débattue dans les enceintes politiques que sont le Conseil de l’Union européenne et le Parlement européen, il faut élever le débat à un niveau qui permette au législateur européen de se prononcer en termes d’enjeux pour la construction européenne.
Parmi ces enjeux, il en est un sur lequel nous avons déjà attiré l’attention (Revue des contrats 2012, 569) : c’est la dimension (faussement) nationale du projet (voir également sur ce thème, l’analyse approfondie proposée par M. Dechamps et M. Fallon, Analyse d’impact de la proposition de règlement relative au droit commun européen de la vente sur le droit applicable au contrat de consommation, European Journal of Consumer Law / Revue européenne de droit de la consommation, 2012, p. 393-428).
La décontextualisation du droit européen des contrats, tel est bien là le problème.
Notre espace juridique européen est devenu un terrain de jeu plus grand pour des acteurs (souvent des acteurs politiques bien sûr mais également parfois des juristes) pétris d’un ou plusieurs contextes nationaux et qui pensent pouvoir dupliquer sans dommage leur manière de voir les choses à l’échelon européen. Ces acteurs ont tort. Ils n’ont pas pris le temps nécessaire pour comprendre les ressorts d’une construction européenne qui a bien souvent mieux à faire qu’à empiéter par duplication (et donc substitution) sur les plates-bandes nationales.
L’expérience a montré par le passé que, fort heureusement, les processus de décision à l’œuvre dans l’Union européenne pouvaient être le moyen de déjouer ces erreurs d’analyse. C’est ainsi que l’on peut saluer le travail du législateur européen (notamment du Parlement européen) qui a corrigé la proposition initiale de refonte du Règlement CE/44/2001 tendant à imposer le modèle du procès national (concentration de l’ensemble des recours dans le pays d’origine de la décision rendue) comme figure de la circulation des décisions de justice civile dans l’espace européen (pour de plus amples explications sur ce thème, voir sur ce blog billet intitulé « Quand la justice européenne se prend pour une justice nationale »). Le texte définitivement adopté, récemment publié, montre que la dimension européenne, c’est-à-dire transnationale, du procès a été préservée (Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (refonte), JOUE L 351, 20 déc. 2012, p. 1).
Gageons que pour le droit européen des contrats, une discussion de ce type parvienne à s’installer dans les instances de décision européennes.