par Romuald di Noto (CEDIN)
On ne présente plus le règlement « Bruxelles I », dont la version refondue dite « Bruxelles I bis » a été publiée au Journal Officiel de l’Union européenne le 20 décembre 2012 (Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (refonte), JOUE L 351, 20 déc. 2012, p. 1). L’entrée en vigueur du texte a été fixée au 10 janvier 2015.
Très en-deçà la proposition publiée par la Commission européenne au début du processus de refonte (COM (2010) 748 final), cette nouvelle mouture de la pierre angulaire de la coopération judiciaire en matière civile dans l’espace européen contient néanmoins quelques innovations intéressantes (pour un aperçu général, v. sur ce blog le billet de C. Nourissat, « Premières analyses du règlement de « refonte » de Bruxelles I », mis en ligne le 11 janv. 2013). Certaines d’entre elles concernent le règlement des conflits de procédures, à travers des modifications apportées aux mécanismes habituels de litispendance et de connexité. En voici une brève présentation.
I. Introduction d’une règle matérielle sur le moment de la saisine d’une juridiction (art. 32)
1. En vue de résoudre les conflits de juridictions, le règlement retient dans la plupart des cas la règle « Prior tempore », consistant à donner la priorité à la première juridiction saisie. Il importe donc de déterminer avec précision le moment où chacune des juridictions est réputée avoir été saisie.
2. La version actuelle de l’article 30 du règlement « Bruxelles I » dispose qu’ « une juridiction est réputée saisie 1. à la date à laquelle l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent est déposé auprès de la juridiction, à condition que le demandeur n’ait pas négligé par la suite de prendre les mesures qu’il était tenu de prendre pour que l’acte soit notifié ou signifié au défendeur ou 2. si l’acte doit être notifié ou signifié avant d’être déposé auprès de la juridiction, à la date à laquelle il est reçu par l’autorité chargée de la notification ou de la signification, à condition que le demandeur n’ait pas négligé par la suite de prendre les mesures qu’il était tenu de prendre pour que l’acte soit déposé auprès de la juridiction ».
3. La refonte du règlement apporte deux précisions utiles visant à remédier aux incertitudes dues aux divergences dans les législations des États membres, certaines juridictions nationales s’estimant saisies avant même que le défendeur n’ait reçu notification de l’acte introductif d’instance.
4. D’une part, dans les cas où l’acte introductif d’instance doit être notifié ou signifié avant d’être déposé auprès de la juridiction, le nouvel article 32 précise que « l’autorité chargée de la notification ou de la signification visée au point b) est la première autorité ayant reçu les actes à notifier ou à signifier ». Cette précision présente un intérêt particulier dans les cas où la notification doit être réalisée dans un État membre autre que l’État du for. Il faut alors mettre en œuvre le mécanisme de transmission prévu par le règlement 1393/2007 relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale. L’acte sera réputé notifié ou signifié dès sa réception par l’entité d’origine (c’est-à-dire par l’autorité de l’État d’émission).
5. D’autre part, afin de déterminer de façon plus certaine la date à laquelle une affaire est devenue pendante devant une juridiction, l’article 32 § 2 prévoit que « la juridiction ou l’autorité chargée de la notification ou de la signification visée au paragraphe 1, consigne respectivement la date du dépôt de l’acte introductif d’instance ou de l’acte équivalent ou la date de la réception des actes à notifier ou à signifier ».
II. Modification des conditions procédurales de dessaisissement d’une juridiction en cas de connexité entre deux juridictions d’États membres (art. 30 § 2)
6. « Lorsque des demandes connexes sont pendantes devant des juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu peut surseoir à statuer » (art. 30 § 1). Cette règle classique n’a pas été modifiée lors de la refonte du règlement. On observe cependant que les conditions procédurales dans lesquelles les juridictions qui n’ont pas été saisies en premier lieu peuvent se dessaisir ont été sensiblement libéralisées.
7. A l’heure actuelle, un tel dessaisissement est possible à la demande de l’une des parties à la condition que toutes les demandes soient pendantes au premier degré. Au contraire, l’article 30 § 2 de la version refondue dispose que « lorsque la demande devant la première juridiction saisie est pendante au premier degré, toute autre juridiction peut également se dessaisir, à la demande de l’une des parties, à condition que la juridiction première saisie soit compétente pour connaître des demandes en question et que sa loi permette leur jonction ». Si la suppression d’un degré de juridiction est ainsi toujours évitée, il résulte implicitement de cette disposition qu’une même affaire pourra être examinée à deux reprises par des juridictions du premier degré
III. Introduction de règles de conflits de procédures extra-européennes (art. 33 et 34)
8. L’article 29 du règlement Bruxelles I bis reprend in extenso la règle de principe de la litispendance : « lorsque des demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties devant les juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence la juridiction première saisie soit établie ». En matière de connexité, comme dans le cadre de la version actuelle du règlement, la règle est celle de la faculté du juge second saisi de surseoir à statuer, voire de se dessaisir (cf. ci-dessus).
9. En droit interne comme en matière internationale, les mécanismes de litispendance et de connexité ont pour fonction de prévenir la survenance de décisions contradictoires. En droit international privé européen, les mesures préventives tendant à satisfaire cet objectif étaient jusqu’ici cantonnées aux saisines de juridictions d’États membres de l’Union (cf. les récents règlements en matière d’obligations alimentaires et de successions). Cela n’a empêché, dès l’origine, ni Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, ni le règlement « Bruxelles I », ni les textes spéciaux adoptés en matière de droit de la famille de prévoir que l’inconciabilité entre un décision rendue par une juridiction d’un État membre (dit « d’origine ») bénéficiant du régime de reconnaissance prévu par ces textes et une décision rendue antérieurement dans un État tiers dans un litige identique et satisfaisant aux conditions nécessaires à sa reconnaissance dans l’État membre requis constitue un motif de non-reconnaissance de la décision provenant de l’État membre d’origine (art. 27 § 5 Conv. Bruxelles ; art. 34 § 4 du Règl. « Bruxelles I » puis art. 45 § 1 lit. d) de la version refondue ; article 40 lit. d) du règlement « successions ; art. 22 lit. d) et 23 lit. f) du règlement « Bruxelles II bis »).
10. On peut donc voir une certaine logique à ce que soit institué un mécanisme – nécessairement imparfait car de facture unilatérale – de règlement des conflits de procédures avec les juridictions d’États tiers, qui constituera une mesure préventive placée en aval d’un éventuel refus de reconnaissance. Il va de soi que ce mécanisme ne peut être identique à celui destiné à régler les conflits de procédures entre juridictions d’États membres : en effet, la confiance accordée aux juridictions d’États tiers ne peut être assimilée à celle supposée exister entre les États membres et irriguant les instruments européens de droit international privé. Par conséquent, une juridiction d’un État membre ne saurait être contrainte de se dessaisir en faveur d’un tribunal d’un État tiers avec la même facilité que dans l’hypothèse d’une litispendance intra-européenne.
11. L’apport de processus de refonte en la matière, que l’on peut considérer comme l’un des vestiges du projet avorté d’internationalisation du règlement (au même titre que les articles 18 § 1 en matière de contrat de consommation et 21 § 2 en matière de contrat de travail), consiste donc en l’introduction de règles de litispendance (art. 33) et de connexité (art. 34) ayant vocation à s’appliquer dans les relations avec les États tiers, c’est-à-dire dans les hypothèses où sont simultanément saisies une juridiction d’un État membre de l’Union européenne et une juridiction d’un État tiers. Ainsi, dans le cadre du champ d’application matériel du règlement, les règles internes des États membres, qui auront jusqu’en 2015 vocation à se prononcer sur les questions de litispendance et de connexité extra-européennes, se trouveront supplantées par les mécanismes prévus aux articles 33 et 34 de la version refondue adoptée par le Conseil de l’Union européenne lors de sa réunion des 6 et 7 décembre 2012.
12. Selon le considérant n°23 du règlement, il s’agit de « prévoir un mécanisme souple permettant aux juridictions des États membres de tenir compte des procédures pendantes devant les juridictions d’États tiers, en prenant notamment en considération le fait qu’une décision d’un État tiers puisse ou non être reconnue et exécutée dans l’État membre concerné au titre du droit de cet État membre et de la bonne administration de la justice ».
13. L’article 33 de la version refondue concrétise cet objectif en matière de litispendance : « lorsque la compétence est fondée sur l’article 4 ou sur les articles 7, 8 ou 9 et qu’une procédure est pendante devant une juridiction d’un État tiers au moment où une juridiction d’un État membre est saisie d’une demande entre les mêmes parties ayant le même objet et la même cause que la demande portée devant les juridictions de l’État tiers, la juridiction de l’État membre peut surseoir à statuer ».
14. Une première divergence avec les conditions fixées en matière de litispendance intra-européenne se manifeste dans l’exigence selon laquelle la compétence de la juridiction de l’État membre saisie postérieurement à celle de l’État tiers doit reposer sur l’article 4 (chef de compétence général fondé sur le domicile du défendeur) ou sur les articles 7, 8 ou 9 du règlement (chefs de compétence spéciale, en particulier en matière contractuelle et délictuelle). Il est donc exclu que la juridiction de l’État membre sursoie à statuer en faveur d’une juridiction d’un État tiers lorsqu’elle s’est elle-même déclarée compétente sur le fondement d’un chef de compétence protecteur d’une partie faible (assuré, consommateur ou salarié), exclusif ou encore en vertu d’une clause d’élection de for.
15. Certaines conditions posées par le règlement ne sont pas sans rappeler celles prévues en matière de litispendance par les droits nationaux. Nous pensons tout particulièrement à celle tenant à un pronostic positif sur la régularité internationale de la décision qui sera rendue dans l’État tiers (v. par ex., en droit français, les conditions posées par l’arrêt Miniera di Fragne, Civ. 1ère, 26 nov. 1974 ; en droit allemand : Reichsgericht, 49, 340 ; Bundesgerichtshof RIW 1986, 218 ; en Autriche : Oberster Gerichtshof Jbl. 2009, 52 ; en Italie: art. 7 Legge di riforma del sistema italiano di diritto internazionale privato). Aussi, la juridiction de l’État membre à laquelle il est demandé de surseoir à statuer doit être « convaincue que le sursis à statuer est nécessaire pour une bonne administration de la justice ». Toute proportion gardée, on pourrait voir dans cette possibilité d’appréciation quasi-discrétionnaire conférée au juge de l’État membre saisi en second lieu une introduction limitée du mécanisme anglo-saxon de forum non conveniens, refoulé par la Cour dans son arrêt Owusu, rendu le 1er mars 2005, aff. C-281/02 (notons cependant que le législateur européen n’y semble pas par principe hostile, v. par exemple l’art. 15 du règlement « Bruxelles II bis »). On peut en effet imaginer que le juge forgera sa conviction sur la question de savoir si « le sursis à statuer est nécessaire pour une bonne administration de la justice » en se demandant si le juge de l’État tiers est ou non en meilleure position que lui pour statuer. À ce titre, il est intéressant de noter que la condition de conformité à la bonne administration de la justice se retrouve en droit international privé commun anglais (House of Lords, Spiliada Maritime Corporation v. Cansulex Ltd, [1986] 3 WLR 972, 3 All ER 843, [1987] A.C. 460).
16. Dans l’hypothèse où elle aurait décidé de surseoir à statuer, la juridiction de l’État membre pourra reprendre l’instance si la procédure devant la juridiction de l’État tiers fait l’objet d’un sursis à statuer, lorsqu’elle estime que la procédure devant la juridiction de l’État tiers ne pourra vraisemblablement pas être conclue dans un délai raisonnable ou encore dans le cas où elle est convaincue que la poursuite de l’instance est indispensable à une bonne administration de la justice.
17. Au contraire, elle devra mettre fin à l’instance si la procédure devant la juridiction de l’État tiers est conclue et a donné lieu à une décision susceptible d’être reconnue, voire exécutée dans l’État membre en question. Un doute pourrait naître sur la question de savoir si cette décision devra avoir été effectivement reconnue pour permettre à la juridiction de l’État membre de mettre fin à la procédure, ou s’il suffira qu’un contrôle prima facie de la décision établisse l’absence d’irrégularité flagrante de celle-ci au regard des règles nationales de reconnaissance de droit commun de cet État membre, au risque de la voir ultérieurement déclarée irrégulière. La lettre du règlement, qui utilise l’adjectif « susceptible », semble pencher pour la seconde solution, ce nous approuvons dans le mesure où il est possible que la régularité de la décision ne soit jamais contestée sur le territoire de l’État membre concerné (nous songeons en particulier aux hypothèses dans lesquelles l’exécution aura lieu sur des biens situés sur le territoire de l’État tiers). Il serait donc déraisonnable d’interdire à cette juridiction de mettre fin à l’instance tant que la décision n’y aura pas été effectivement reconnue ou exécutée. Aussi, il sera loisible à la partie intéressée d’introduire une nouvelle instance devant les juridictions de l’État membre si la décision venait finalement à y être déclarée irrégulière. On relèvera cependant que l’appréciation de la régularité de la décision étrangère se fera à l’aune d’un droit non-harmonisé : il y a donc de grandes chances que la règle de litispendance extra-européenne connaisse une application à géométrie variable.
18. Le mécanisme introduit dans le règlement en cas de connexité entre deux affaires, la première étant portée devant les juridictions d’un État membre, la seconde devant celles d’un État tiers, est similaire à celui retenu en matière de litispendance. Il convient néanmoins de relever deux différences, la première tenant à la condition classique en matière de connexité exigeant « un intérêt à instruire et juger les demandes connexes en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément » (on retrouve cette condition à l’art. 34 § 2 lit. a. s’agissant la reprise de l’instance), la seconde à la simple faculté de la juridiction de l’État membre saisie en second lieu de mettre fin à l’instance si la procédure devant la juridiction de l’État tiers est conclue et a donné lieu à une décision qui est susceptible d’être reconnue voire exécutée dans ledit État membre (art. 34 § 3). Ce dernier point s’inscrit dans la logique retenue par le règlement en matière de connexité, qui s’explique par l’absence d’identité totale des deux demandes.
IV. Litispendance et clause attributive de juridiction (art. 31 § 2, 3 et 4)
19. En matière de clauses de choix de juge, il convient de distinguer les clauses attributives de juridiction (clauses d’élection de for) d’une part et les clauses d’arbitrage (clauses compromissoires) d’autre part.
20. On se souvient que l’arrêt Gasser (CJCE, 9 décembre 2003, C-116/02) avait porté un coup douloureux à l’effectivité des premières en décidant que l’article 21 de la Convention de Bruxelles de 1968 applicable en matière de litispendance devait « être interprété en ce sens que le juge saisi en second lieu et dont la compétence a été revendiquée en vertu d’une clause attributive de juridiction doit (…) surseoir à statuer jusqu’à ce que le juge saisi en premier lieu se soit déclaré incompétent ». Selon les juges de Luxembourg, cette solution devait également s’appliquer « lorsque (…) la durée des procédures devant les juridictions de l’État contractant dans lequel le tribunal saisi en premier lieu a son siège est excessivement longue ». Par une utilisation rigide de la règle « prior tempore », cette jurisprudence encourageait les saisines dilatoires de juridictions d’États membres dont la célérité des tribunaux ne constitue pas la principale vertu (cf. la pratique des actions déclaratoires dites « torpilles »). Il était ainsi fait échec à la clause d’élection de for pendant plusieurs mois, si ce n’est plusieurs années.
21. Il convenait donc de « renforcer l’efficacité des accords exclusifs d’élection de for » (considérant n°22). C’est ce à quoi s’emploie l’article 31 § 2 de la version refondue du règlement en prévoyant que « lorsqu’une juridiction d’un État membre à laquelle [une convention attributive de juridiction] attribue une compétence exclusive est saisie, toute juridiction d’un autre État membre sursoit à statuer jusqu’à ce que la juridiction saisie sur le fondement de la convention déclare qu’elle n’est pas compétente en vertu de la convention ». Ce principe connaît une exception lorsque le défendeur comparait et ne soulève pas l’incompétence de la juridiction saisie (art. 26). Enfin, en vertu de l’article 31 § 3, « lorsque la juridiction désignée dans la convention a établi sa compétence conformément à la convention, toute juridiction d’un autre État membre se dessaisit en faveur de ladite juridiction ». Ainsi, par une inversion du mécanisme classique de la litispendance, le règlement donne priorité à la juridiction désignée par la clause d’élection de for pour se prononcer sur la validité et l’étendue de celle-ci et, par voie de conséquence, sur sa propre compétence, que cette juridiction ait été ou non saisie en premier lieu. Dans tous les cas, il reste nécessaire que la juridiction élue ait été saisie. Selon Mme Kessedjian, « le message aux parties reste clair : la partie qui a avantage à faire appliquer l’accord d’élection de for devra saisir le juge élu. Si elle ne le fait pas, on peut considérer qu’elle y a renoncé [à l’accord]» (C. Kessedjian, « Le règlement « Bruxelles I révisé » : Much ado about…what ? », Europe 2013, n°3, n°12).
22. Notons au passage que le rattachement du litige au territoire de l’Union européenne par le domicile de l’une des parties ne constituera plus une condition de validité de la clause d’élection de for (mais ces cas de figure se trouveront à l’avenir soumis à la Convention de la Haye du 30 juin 2005 sur les clauses d’élection de for, non-ratifiée à ce jour par l’Union européenne, qui s’appliquera dès qu’une partie à la clause attributive de juridiction aura son domicile sur le territoire d’un État tiers), et qu’une règle de conflit désignant le droit de l’État du tribunal élu pour apprécier la validité de la clause au fond a été insérée dans le texte. La juridiction compétente et la loi applicable pour apprécier la validité de la clause devraient donc coïncider dans la plupart des cas.
23. Enfin, afin de préserver le droit des parties faibles d’agir devant les juridictions dont la compétence est spécialement prévue par les sections 3, 4 ou 5 du chapitre II du règlement, l’article 31 § 4 prévoit que la règle décrite ci-dessus ne s’applique pas « lorsque le preneur d’assurance, l’assuré, un bénéficiaire du contrat d’assurance, la victime, le consommateur ou le travailleur est le demandeur et que la convention n’est pas valide » en vertu d’une disposition protectrice de la partie faible.
V. Litispendance et clause d’arbitrage (considérant n°12)
24. L’arrêt West Tankers (CJCE, 10 février 2009, aff. C-185/97) est à la convention d’arbitrage ce que l’arrêt Gasser est à la clause d’élection de for. Selon cette jurisprudence, célèbre pour avoir refusé d’admettre la pratique des anti-suit injunctions dans le champ d’application du règlement, « l’exception d’incompétence tirée de l’existence d’une convention d’arbitrage, y compris la question de la validité de cette dernière, relève du champ d’application dudit règlement nº 44/2001 et (…) il appartient alors exclusivement à la juridiction de statuer sur cette exception ainsi que sur sa propre compétence (…) ».
25. Il convenait par conséquent de réfléchir à une solution de nature à renforcer l’effectivité des clauses compromissoires dans l’espace judiciaire européen et à décourager les manœuvres dilatoires consistant à saisir une juridiction d’un État membre dont le droit de l’arbitrage ne connaît pas, contrairement au droit français, le principe de « compétence-compétence ». Si elle excluait en principe l’arbitrage de son champ d’application matériel (art. 1 § 2 lit. d), la proposition initiale de refonte présentée par la Commission européenne contenait une règle de litispendance spécialement conçue pour régler les hypothèses de saisines parallèles d’une juridiction étatique et d’un tribunal arbitral. L’article 29 § 3 de la proposition rendue publique par la Commission en décembre 2010 prévoyait ainsi que « lorsque le siège convenu ou désigné d’un arbitrage se situe dans un État membre, les juridictions d’un autre État membre dont la compétence est contestée en vertu d’une convention d’arbitrage sursoient à statuer dès que les juridictions de l’État membre où se trouve le siège d’arbitrage ou le tribunal arbitral ont été saisis d’un recours ayant pour objet de déterminer, à titre principal ou incident, l’existence, la validité ou les effets de ladite convention d’arbitrage (…) Lorsque l’existence, la validité ou les effets de la convention d’arbitrage sont établis, la juridiction saisie décline sa compétence ».
26. Le texte final se situe très en-deçà de la proposition, puisqu’il ne reprend pas cette proposition, qui aurait constitué une règle parallèle – quoiqu’édulcorée – à celle introduite par l’article 31 § 2 en matière de clause d’élection de for (cf. ci-dessus).
27. Si le règlement continue d’exclure par principe l’arbitrage de son champ d’application (art. 1 § 2 lit. d), son considérant n°12 tient compte des droits nationaux qui, à l’instar du droit français, choisiraient de conférer la priorité au tribunal arbitral pour statuer sur sa propre compétence (principe de « compétence-compétence »). Le texte précise en effet que « rien dans le présent règlement ne devrait empêcher la juridiction d’un État membre, lorsqu’elle est saisie d’une demande faisant l’objet d’une convention d’arbitrage passée entre les parties, de renvoyer les parties à l’arbitrage, de surseoir à statuer, de mettre fin à l’instance ou d’examiner si la convention d’arbitrage est caduque, inopérante ou non susceptible d’être appliquée conformément à son droit national ». Force est cependant de constater que le texte laisse les mains quasi-libres aux juridictions nationales. Nul doute que ce considérant, dont nous peinons à dégager la véritable portée, fera couler beaucoup d’encre chez les spécialistes du droit de l’arbitrage international.