par Amélie Da Fonseca, CDRE
Le 11 avril dernier, l’avocat général Kokott a rendu ses conclusions dans l’affaire Sunico e.a (C- 49/12). En l’espèce, l’administration fiscale et douanière du Royaume-Uni avait introduit des recours pour fraude fiscale, successivement devant les juridictions britanniques et danoises. A l’occasion de l’examen du litige, le juge danois a saisi la Cour de justice d’une demande de décision préjudicielle. Il s’agissait pour la juridiction de renvoi de savoir si l’action menée par l’administration britannique relevait de la « matière civile et commerciale » au sens du règlement « Bruxelles I », la réponse à cette question étant déterminante pour les suites à donner à la procédure danoise.
Au delà elle pose la question de la position particulière du Danemark à l’égard du règlement « Bruxelles I » et celle de l’habilitation des juridictions danoises à saisir la Cour de justice d’une question préjudicielle en interprétation dudit règlement.
En effet, alors que le traité d’Amsterdam consacrait le concept d’ « espace de liberté, de sécurité et de justice » (ELSJ), le Danemark s’était soustrait à l’application de ces dispositions via le Protocole n° 5 annexé au traité (devenu Protocole n° 22 avec le traité de Lisbonne). En conséquence, lorsqu’en 2001 a été adopté le règlement dit « Bruxelles I » relatif à la coopération judiciaire en matière civile, domaine couvert par l’ELSJ, le Danemark n’a pas été soumis à cet acte. L’Etat danois bénéficiait ainsi d’une position préférentielle : il était membre de la Communauté sans être lié par les règles communautaires relatives aux visas, à l’asile, à l’immigration et aux autres politiques concernant la libre circulation des personnes, domaines éminemment empreints de souveraineté nationale.
Toutefois, un accord a été conclu le 19 octobre 2005 entre l’Union européenne et le Danemark, afin d’étendre l’application des dispositions du règlement « Bruxelles I » à cet Etat, où il est alors devenu contraignant. Le fait que ledit règlement soit devenu applicable au Danemark par la voie d’un accord parallèle pose par voie de conséquence la question de la compétence des juridictions danoises à s’adresser à la Cour de justice pour lui demander de se prononcer sur l’interprétation de la notion de « matière civile et commerciale » au sens du règlement « Bruxelles I ».
Pour répondre à cette question, il convient, comme le fait l’avocat général Kokott, d’analyser le contenu de l’accord conclu entre l’Union européenne et le Danemark, notamment son article 6, paragraphe 1, qui prévoit que les juridictions danoises sollicitent la Cour de justice par la voie préjudicielle « chaque fois que, dans les mêmes circonstances, une juridiction d’un autre Etat membre de l’Union européenne serait tenue de le faire à l’égard du règlement Bruxelles I ».
Cette disposition ne fait que commander un parallélisme entre l’obligation de saisine de la Cour par les juridictions danoises et celle des juridictions des autres Etats membres. Or le contexte de l’élaboration de l’accord du 19 octobre 2005 est marqué par l’existence de l’article 68 CE, qui régissait à l’époque la compétence préjudicielle de la Cour de justice concernant l’ELSJ. Or, par dérogation à l’article 234 CE relatif au renvoi préjudiciel, l’article 68 CE imposait une restriction à la compétence de la Cour, à savoir que seules les juridictions nationales statuant en dernière instance pouvaient la saisir d’une demande préjudicielle en interprétation. Il apparaît alors naturel que l’accord n’envisage pas le cas des juridictions du fond (points 31 et suivants).
L’intervention du traité de Lisbonne a toutefois, par l’abrogation pure et simple de l’article 68 CE, supprimé les restrictions à la compétence préjudicielle de la Cour de justice. Le nouveau traité européen procède ainsi à l’ouverture de la faculté pour les juridictions du fond d’opérer des renvois préjudiciels portant sur des dispositions relatives à l’ELSJ.
Reste à savoir si le progrès accompli par le traité de Lisbonne doit profiter aux juridictions danoises. À l’observation de l’article 6, paragraphe 6 et du Préambule de l’accord conclu entre l’Union et le Danemark, il est manifeste que la finalité de ce dernier est d’octroyer à la Cour de justice la même compétence à l’égard des juridictions danoises et des autres juridictions nationales. Ainsi, l’élargissement de la compétence préjudicielle de la Cour de justice résultant du traité de Lisbonne devrait également valoir pour les juridictions danoises.
Dès lors la question de savoir si la juridiction de renvoi est un juge du fond ou de dernier ressort, que l’avocat général ne parvient d’ailleurs pas à trancher, se trouve dépourvue d’intérêt (point 29).
Il apparaît dès lors probable que la Cour accueillera la demande de décision préjudicielle en interprétation des dispositions du règlement « Bruxelles I » qui lui a été transmise par le juge danois.