par Henri Labayle, CDRE
Si cinquante et un jours avaient été nécessaires à la Cour de justice pour répondre à la question posée par le Conseil constitutionnel dans l’affaire Jeremy F, il n’aura fallu que deux semaines au Conseil constitutionnel pour en faire bon usage.
Le juge du palais Royal donne suite, le 14 juin 2013, à l’arrêt de la Cour par sa CC 2013-314 QPC qui déclare contraire à la Constitution l’absence de tout recours à l’encontre d’une décision d’extension des poursuites dans le cadre d’un mandat d’arrêt européen. La censure du législateur ainsi opérée renvoie le dénouement de l’affaire Jeremy Forrest devant le juge judiciaire, pour une dernière étape.
Il n’échappera à personne que le législateur de l’Union, incapable de s’accorder textuellement sur les modalités d’une protection juridictionnelle effective des citoyens de l’Union que la Charte des droits fondamentaux garantit pourtant, se tire à bon compte de la construction élaborée par la Cour de justice. Une fois encore, les défauts d’une judiciarisation réelle de l’Espace de liberté se révèlent sans que l’on soit convaincu par cette défausse jurisprudentielle en direction du législateur interne et l’impunité d’Etats membres incapables de s’accorder.
C’est pourtant dans ce cadre strict que le juge français, au nom de la primauté du droit de l’Union rappelée par la jurisprudence Melloni et respectée par la décision 2013-314 P QPC, a exercé son contrôle.
Sans surprise, le Conseil constitutionnel statue à partir de l’interprétation donnée par la CJUE, de manière très classique, dans le cadre strict de l’examen de la conformité du Code de procédure pénale au texte constitutionnel. Il donne ainsi droit aux prétentions du requérant qui s’était placé, dès le début, sur ce terrain et dont les conseils n’avaient à aucun instant souhaité un renvoi à titre préjudiciel en direction de Luxembourg.
La réponse sans ambiguïtés du juge de l’Union permet en effet au Conseil constitutionnel d’en tirer toutes les conséquences, sur le seul plan constitutionnel, ce qu’il prend la peine de souligner.
Son renvoi à titre préjudiciel s’expliquait, on s’en souvient, par le fait que l’article 88-2 de la Constitution était susceptible de faire écran à son contrôle de la disposition contestée. Il l’avait expressément souligné dans le considérant 5 de sa décision du 4 avril : « il appartient au Conseil constitutionnel saisi de dispositions législatives relatives au mandat d’arrêt européen de contrôler la conformité à la Constitution de celles de ces dispositions législatives qui procèdent de l’exercice, par le législateur, de la marge d’appréciation que prévoit l’article 34 du Traité sur l’Union européenne ».
La Cour ayant confirmé que tel est le cas en l’espèce, il lui est aisé d’affirmer sa compétence, le 14 juin : « le quatrième alinéa de l’article 695-46 du code de procédure pénale ne découle pas nécessairement des actes pris par les institutions de l’Union européenne relatifs au mandat d’arrêt européen » et relève donc d’un contrôle de sa conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit (cons. 8).
La marge de liberté dont le législateur dispose lors de l’opération de transposition d’un acte de droit dérivé de l’Union lui interdit de prendre à la légère les impératifs d’une protection juridictionnelle effective. On peut même s’étonner qu’au début du 21ème siècle, l’usage de formules telles que celle du « sans recours » employé ici par le Code de procédure pénale puisse être encore possible sans éveiller l’attention de tous ceux qui accompagnent l’élaboration de la loi, de la Chancellerie au Palais Royal.
La jurisprudence du juge constitutionnel est claire sur ce point, substantiellement renforcée depuis quelques années au sens où elle porte à la fois sur le principe du droit au recours mais aussi sur son effectivité.
Dans son cadre, « il ne doit pas être porté d’atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction » (décision 2012-283 QPC du 23 novembre 2012, cons. 11), ce qui ne veut pas dire que le droit au juge ait une portée absolue. Le Conseil constitutionnel s’assure en effet de l’effectivité des recours à disposition et de leur éventuelle équivalence sans aller jusqu’à donner valeur constitutionnelle au double degré de juridiction.
En l’espèce, le refus du législateur d’ouvrir le droit au recours en cassation en matière d’extension des poursuites ne s’appuyait sur aucun justificatif convaincant, la Cour de justice n’en attribuant pas la paternité au droit de l’Union. Cette « restriction injustifiée » (cons.9) appelle donc un constat de contrariété à la Constitution.
Allant au terme de son office, et parce que l’article 62-2 de la Constitution lui en donne compétence, le Conseil constitutionnel fixe la portée de sa décision : « si, en principe, la déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à l’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l’article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l’abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration ». Ici elle prend effet immédiatement et s’applique à tous les pourvois en cassation en cours.