par Joanna Pétin, CDRE
Le 6 juin 2013, le règlement Dublin occupait encore une fois le prétoire des cours européennes. Tant la CJUE que la CourEDH statuaient sur des affaires en lien avec cet instrument central du droit européen de l’asile. L’affaire Mohammed contre Autriche dont ont eu à connaitre les juges de Strasbourg, concerne le transfert d’un demandeur de protection internationale de l’Autriche vers la Hongrie en application du règlement (CE) n°343/2003. Quant à l’affaire M.A. et autres, C-648-11 débattue devant les magistrats de Luxembourg, il s’agit d’un renvoi préjudiciel formé par les juridictions britanniques afin d’obtenir des éclaircissements sur l’application du règlement Dublin aux cas de mineurs non accompagnés.
Cet heureux hasard de calendrier offre donc l’occasion de dresser un bilan de l’œuvre prétorienne relative au règlement Dublin II et son application.
Le règlement (CE) n°343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers est un des instruments du régime d’asile européen commun. Il focalise le plus grand nombre de critiques, comme en attestent les très nombreux rapports décriant le système Dublin et très récemment le rapport du Jesuit Refugee Service Europe (Protection interrupted – The Dublin regulation’s impact on asylum seekers’ protectionb – Juin 2013). Le système Dublin est controversé. Le bilan de l’application du règlement est dans une large mesure négatif. D’un point de vue humanitaire, le règlement Dublin a été critiqué du fait d’une application trop souvent en marge de la protection des droits fondamentaux. D’un point de vue étatique, cet instrument implique notamment une charge particulièrement lourde pour les Etats membre situés en périphérie de l’Union européenne en raison des critères de détermination de la responsabilité de l’examen d’une protection établis. Le manque de solidarité entre Etats membres dans l’application de ce texte est, de plus, fréquemment mis en lumière.
Face à ces critiques, une proposition de refonte du règlement Dublin a été présentée en 2008. Les négociations autour de cette refonte ont été âpres pour aboutir à un accord politique le 14 novembre 2012. L’Union européenne est consciente des défaillances du système Dublin et travaille en vue de son amélioration, comme le montrent les conclusions du Conseil Justice et Affaires intérieures du 7 juin dernier.
Cette prise de conscience des faiblesses du règlement Dublin a été aussi largement, si ce n’est surtout, initiée par le célèbre arrêt M.S.S.. contre Belgique et Grèce rendu par la CourEDH le 21 janvier 2011 (n°30696/09). En effet, cette affaire avait conduit les juges de Strasbourg à sanctionner sévèrement le système Dublin, à l’occasion d’un litige impliquant le transfert d’un demandeur de protection internationale de la Belgique vers la Grèce. Face à la sanction sonnante et trébuchante du système Dublin, la CJUE a repris à son compte cette jurisprudence dans l’affaire N.S.. du 21 décembre 2011 (C-410/10 et C-493/10).
L’année 2011 sonnait ainsi le début de la « psychose » autour du règlement Dublin II. La possible sanction par la CJUE ou la CEDH d’une mauvaise application du règlement par les Etats membres pèse telle une épée de Damoclès. En ce sens, on ne peut que constater qu’en matière de protection internationale, les saisines de la CJUE concernent principalement des renvois préjudiciels relatifs au règlement Dublin II.
En 2013, quel est le bilan ? Quels constats peut-on tirer de l’influence des jurisprudences européennes sur l’application du règlement Dublin ? La coïncidence, ce 6 juin dernier, permet de mener quelques réflexions au sujet de cet instrument controversé du régime d’asile européen commun.
Au regard des arrêts rendus par les cours de Strasbourg et Luxembourg, deux constats s’imposent. Le premier est celui de la primauté des droits fondamentaux qui s’affirmera par le jeu des clauses dérogatoires du règlement Dublin (I) et le second, découlant de l’arrêt Mohammed contre Autriche, est celui d’un retour à la prudence des juges de Strasbourg après l’arrêt M.S.S. (II).
1. La primauté des droits fondamentaux : le jeu des clauses dérogatoires
La protection des droits fondamentaux est une considération primordiale. Les Etats membres ne peuvent faire l’économie de cette protection sous couvert d’appliquer le droit de l’UE. L’arrêt M.S.S. contre Belgique et Grèce vient ainsi rappeler ce principe dans le cadre de l’application du règlement Dublin II. Les Etats membres doivent faire primer la protection des droits fondamentaux sur l’application des critères de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale.
Au sein d’une Union européenne, en voie d’adhésion à la CEDH et dont tous les Etats membres sont eux-mêmes parties à cette convention, la question du transfert d’un demandeur de protection internationale vers l’Etat membre désigné comme responsable en vertu du règlement Dublin ne semblait pas, à première vue, enfreindre la protection des droits fondamentaux. Des clauses dérogatoires aux critères Dublin, à savoir l’article 3§2, dite clause de souveraineté, et l’article 15, dite clause humanitaire, avaient toutefois été prévues afin de permettre à un Etat membre d’assumer la responsabilité du traitement d’une demande qui ne lui incombait pas en principe.
C’est sur cette faculté laissée aux Etats membres de déroger aux critères Dublin que la CourEDH avait concentré son argumentation dans l’affaire M.S.S. La situation du système national d’asile grec était telle que le transfert d’un demandeur de protection vers la Grèce devait s’entendre comme un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 CEDH. Dès lors, la Belgique avait l’obligation de mettre en œuvre la clause de souveraineté contenue à l’article 3§2 et d’assumer la responsabilité de l’examen de la demande de protection pour éviter au demandeur d’être confronté à un risque de mauvais traitements. Ainsi, en cas de défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs de protection, la faculté d’assumer la responsabilité d’une demande de protection devient une obligation.
La protection des droits fondamentaux dans le cadre du règlement Dublin se fait donc, notamment, au travers de la clause dérogatoire de l’article 3§2. Les clauses dérogatoires deviennent ainsi la clé du nécessaire respect de la primauté des droits fondamentaux.
Cette solution de la CourEDH, reprise par la CJUE dans l’arrêt N.S. quelques mois plus tard, vient semer le trouble dans l’application du règlement Dublin. La confiance mutuelle entre Etats membres, fondement du règlement Dublin, est remise en cause. Après cette sanction du système Dublin, les Etats membres craignent une mauvaise application de cet instrument et accordent désormais une grande attention aux clauses dérogatoires.
Les juridictions des Etats membres n’hésitent en effet plus à saisir la CJUE de questions préjudicielles afin d’obtenir des éclaircissements sur les modalités d’application des clauses dérogatoires. Dans le cadre du régime d’asile européen commun, les renvois préjudiciels concernent en effet principalement le règlement Dublin.
Dans un arrêt Halaf du 30 mai 2013 (C-528/11), où était en cause le transfert d’un demandeur de protection de la Bulgarie vers la Grèce, la CJUE vient préciser qu’aucune condition particulière n’est nécessaire à la mise en œuvre de l’article 3§2 du règlement Dublin. La juridiction de renvoi bulgare demande en effet à la CJUE si la clause de souveraineté peut être mise en œuvre alors même qu’aucun fait de nature personnelle ne l’exige ou encore que l’Etat membre normalement responsable n’a pas répondu à la demande de reprise en charge. La réponse de Luxembourg est alors limpide : « il ressort […] clairement du libellé même de l’article 3, paragraphe 2, du règlement que l’exercice de cette faculté n’est soumis à aucune condition particulière » (point 36). La Cour rappelle que la mise en œuvre de la clause de souveraineté est laissée à la discrétion des Etats membres. Elle s’appuie d’ailleurs sur la proposition de règlement faite en 2001 qui met en évidence que l’article 3§2 contient une règle dont l’application dépend d’une décision souveraine des Etats membres « en fonction de considérations politiques, humanitaires ou pratiques » (point 37).
Toutefois, au regard des développements précédents, la réponse de la CJUE au cas Halaf n’aurait pu être différente puisqu’il s’agissait d’un transfert vers la Grèce. Ainsi, le contexte de l’affaire appelait inévitablement une telle réponse. D’ailleurs, cette solution étant on ne peut plus prévisible, certains s’interrogeaient sur la recevabilité des questions préjudicielles posées par la Bulgarie. Le gouvernement du Royaume-Uni soulignait en effet « qu’il ressort de l’arrêt N.S. e.a. (…) que le transfert d’un demandeur d’asile vers la Grèce donne lieu à un risque réel de violation de l’article 4 de la Charte et que les autorités compétentes bulgares doivent donc désormais pouvoir déterminer l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile en se fondant sur cet arrêt » (point 27). L’ombre de M.S.S. et N.S. plane donc sur les juridictions des Etats membres.
Dans l’affaire M.A. et autres en date du 6 juin 2013 (C-648/11), la clause de souveraineté était également impliquée. En l’espèce, était en jeu le cas de plusieurs mineurs non accompagnés. La juridiction britannique demande en substance à la Cour de Luxembourg, au regard de l’article 6 second alinéa, quel Etat membre est responsable de la demande de mineurs non accompagnés, n’ayant aucun membre de leur famille présent légalement sur le territoire de l’Union et ayant déposé plusieurs demandes de protection dans plus d’un Etat membre. La juridiction de renvoi demande également si la clause de souveraineté doit trouver à s’appliquer en l’espèce. Au terme d’un raisonnement dans lequel l’intérêt supérieur de l’enfant et sa vulnérabilité particulière sont la clé de voute, la CJUE conclut que « l’article 6, second alinéa [du règlement] doit être interprété en ce sens que, dans des circonstances telles que celles au principal, (…), il désigne comme l’Etat membre responsable, l’Etat membre dans lequel se trouve [le mineur] après y avoir déposé une demande d’asile » (point 66). Les juges évacuent la question relative à l’applicabilité de l’article 3§2. Si la CJUE ne répond pourtant pas à cette dernière question, on remarque une fois de plus le souci des Etats membres à connaitre les contours de cette clause de souveraineté.
Les arrêts M.S.S., N.S., Halaf ou encore M.A. et autres abordent la problématique de la mise en œuvre de la clause de souveraineté. Or, il existe deux clauses dérogatoires dans le règlement. L’article 15 prévoit en effet une clause humanitaire qui permet à un Etat membre d’assumer la responsabilité d’une demande en vue de « rapprocher des membres d’une même famille, ainsi que d’autres parents à charge pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels ». La CJUE a eu à connaitre de cette clause humanitaire dans une affaire K contre Bundesasylamt. du 6 novembre 2012 (C-245/11). En l’espèce, Mme K., après avoir déposé une demande de protection en Pologne, avait déposé une nouvelle demande en Autriche afin de se rapprocher de sa famille vivant sur le territoire autrichien et venir en aide à sa belle fille dont l’état de santé risquait de faire éclater l’unité familiale. Une fois encore la réponse de la CJUE est sans appel : « dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, l’article 15, paragraphe 2, [du règlement Dublin] doit être interprété en ce sens qu’un Etat membre qui n’est pas responsable de l’examen d’une demande d’asile au regard des critères énoncés au chapitre III de ce règlement le devient » (point 54). La CJUE met alors à la charge des Etats membres une nouvelle obligation de mise en œuvre des clauses dérogatoires au nom de la protection des droits fondamentaux.
La protection des droits fondamentaux dans le cadre du règlement Dublin apparait étroitement liée à la mise en œuvre des clauses dérogatoires de l’article 3§2 et de l’article 15, sous l’impact remarquable des jurisprudences M.S.S. et N.S. Les clauses dérogatoires sous l’apparence de faculté deviennent, dans certaines circonstances, obligatoires au nom de la protection des droits fondamentaux.
Forts de ce constat, les Etats membres sont attentifs à ces clauses dérogatoires et soucieux de connaitre les modalités de mise en œuvre et les contours de celles-ci. Les affaires pendantes devant la CJUE le mettent également en évidence. A titre d’exemples, on peut citer la demande de décision préjudicielle présentée à la CJUE par l’Autriche le 27 août 2012 dans l’affaire Abdullahi (C-394/12) où il est fait référence à l’affaire M.S.S. contre Belgique et Grèce, ou encore le renvoi préjudiciel présenté le 28 mars 2013 dans l’affaire Rabajy (C-158/13) qui demande des éclaircissements sur la clause humanitaire, à savoir plus particulièrement sur la notion de dépendance au sens de l’article 15§2.
Le rôle central des clauses dérogatoires dans la protection des droits fondamentaux est par conséquent sans équivoque. Les Etats membres voient leur marge d’appréciation limitée par le jeu des clauses dérogatoires et le respect des droits fondamentaux. La CJUE et la CourEDH veillent à une application du règlement respectueuse de la primauté des droits fondamentaux. Toutefois, après le bouleversement provoqué par les jurisprudences M.S.S. et N.S., l’arrêt Mohammed contre Autriche rendu par la CourEDH le 6 juin 2013 semble amorcer le retour à une certaine prudence.
2. Le retour à la prudence des juges de Strasbourg
De manière caricaturale, on pourrait dire qu’il y a « un avant et un après M.S.S ». L’onde de choc provoqué par la solution du 21 janvier 2011 est telle qu’elle a remis en question le système Dublin et la confiance mutuelle entre Etats membres. La pertinence du règlement Dublin a même pu être remise en cause. Pourtant, jusqu’en 2011, la position de la CourEDH face à l’application du système Dublin était neutre.
Dans l’affaire T.I. contre Royaume-Uni du 7 décembre 2000 (n°43844/98) concernant un ressortissant sri-lankais qui devait être transféré par le Royaume-Uni en Allemagne en vertu de la Convention de Dublin, la CourEDH avait conclu à l’irrecevabilité de la requête. Le ressortissant sri-lankais faisait valoir que son transfert en Allemagne constituerait un refoulement indirect, puisqu’il craignait que l’Etat allemand le renvoie sommairement au Sri-Lanka. Les juges de Strasbourg estimaient alors en 2000 que l’existence d’un risque réel de refoulement vers le Sri-Lanka par l’Allemagne n’était pas établie et validaient le transfert.
Dans l’affaire K.R.S. contre Royaume-Uni du 2 décembre 2008 (n°32733/08), une solution identique avait été retenue pour le transfert d’un ressortissant iranien vers la Grèce en vertu du règlement Dublin II. La Cour y conclut à l’irrecevabilité de la requête soulignant qu’il devait être présumé que la Grèce respecte ses engagements en matière de protection internationale. En reprenant le cours des événements jurisprudentiels liés au système Dublin, cette dernière solution de la CourEDH parait surprenante à l’aune de la position adoptée en janvier 2011.
Jusqu’en 2011, la Cour de Strasbourg n’avait donc pas remis en question le système de détermination de l’Etat membre responsable d’une demande de protection au sein de l’Union, et ce même à l’égard d’un renvoi en Grèce. Pourtant, le 21 janvier 2011, le bouleversement se produit et la sanction tombe, la confiance mutuelle entre Etats membres de l’Union étant mise à mal. La CourEDH souligne en effet qu’il n’existe aucune présomption irréfragable de sûreté entre Etats membres. Les Etats membres, sous couvert de l’application du règlement Dublin, ne peuvent pas faire l’économie d’une évaluation de la situation de l’Etat membre de destination. En cas de défaillances systémiques du système d’asile, la clause de souveraineté doit être mise en œuvre. Les renvois vers la Grèce sont alors stoppés et le système Dublin semble en sursis.
L’Union européenne prend alors conscience, alors que la chose était déjà pointée du doigt par la société civile, que les Etats membres situés aux frontières extérieures de l’Union subissent une charge considérable du fait des critères établis par le règlement Dublin, à savoir principalement le critère du premier Etat membre d’entrée sur le territoire européen. Du fait de ce critère, une grande partie des demandeurs de protection sont renvoyés vers les pays en périphérie de l’Union dont les systèmes nationaux d’asile sont surchargés et défaillants. La Grèce en est l’exemple le plus criant.
Face à cette condamnation dans l’affaire M.S.S. et l’inévitable « révélation » des pressions migratoires subies par les Etats membres situés aux frontières extérieures de l’UE, les négociations autour de la proposition de refonte du règlement Dublin se sont focalisées sur les moyens d’éviter de telles situations. Deux options s’offraient alors à l’Union européenne : mettre en place un mécanisme de suspension des transferts vers les Etats membres dont les systèmes nationaux d’asile sont en crise ou créer un mécanisme d’alerte précoce de ces crises.
Si en termes de protection des droits fondamentaux, la première option paraissait la plus judicieuse, elle n’a pas a été retenue, les Etats membres étant farouchement opposés à tout mécanisme de suspension. L’accord politique trouvé entre le Parlement européen et le Conseil retient donc l’option de l’établissement d’un mécanisme d’alerte rapide. L’objectif de ce mécanisme serait de permettre de prévenir les crises plutôt que de les guérir. Ce mécanisme vise à évaluer le fonctionnement des systèmes nationaux d’asile, aider les Etats membres qui subissent une forte pression migratoire et adopter des mesures de prévention des crises en matière d’asile.
L’objectif sous-jacent de ce système de prévention et de gestion des crises est d’assurer une application du règlement conforme aux droits fondamentaux afin d’éviter toute sanction future équivalente à l’arrêt M.S.S. contre Belgique et Grèce.
Une autre affaire aurait pourtant pu élargir la brèche ouverte en 2011. Il s’agit de l’affaire Mohammed contre Autriche du 6 juin 2013, où était en cause le transfert d’un demandeur de protection internationale de l’Autriche vers la Hongrie, où l’on pouvait imaginer une possible remise en cause du système Dublin. La CourEDH y avait ordonné des mesures provisoires le 11 janvier 2012 tendant à suspendre le transfert en Hongrie et plusieurs rapports faisaient état d’une situation critique du système d’asile hongrois.
Toutefois, la solution de la CourEDH rendue le 6 juin 2013 est empreinte de prudence. Elle ne considère pas qu’un renvoi en Hongrie constituerait un traitement inhumain ou dégradant impliquant la mise en œuvre de la clause de souveraineté. En effet, si la CourEDH conclut à une violation de l’article 13 de la CEDH en cas de transfert sur le territoire hongrois du fait, notamment, de l’absence de recours en Autriche contre le transfert forcé (§85), elle estime qu’il n’y aurait pas violation de l’article 3 de la convention (§111). Pour aboutir à cette solution, les juges de Strasbourg avancent plusieurs arguments. S’ils ne contestent pas le fait que le système d’asile en Hongrie est critiquable (§97 à 102), ils soulignent que des améliorations du système sont actuellement en cours et qu’aucune demande de suspension des transferts vers ce pays n’a été demandé par le HCR (§105). Dès lors, la CourEDH affirme qu’il n’existe pas de risque de violation de l’article 3 de la CEDH en cas de transfert du demandeur de protection vers le territoire hongrois en vertu des critères Dublin (§ 106).
La solution adoptée par les juges de Strasbourg peut paraitre critiquable du point de vue d’une protection toujours plus effective des droits fondamentaux, elle s’avère cependant prudente du point de vue du fonctionnement du régime d’asile européen commun.
Cet arrêt vient en quelque sorte valider le système Dublin et confirme que la solution M.S.S., quoique lourde d’enseignements, se cantonne à la situation des transferts Dublin vers la Grèce. Cette approche retenue par la CourEDH au cas hongrois démontre la prudence des juges de Strasbourg. Sanctionner le système hongrois de la même façon qu’avait été sanctionné le système d’asile grec conduisait à faire éclater le mécanisme Dublin, et plus largement le régime d’asile européen commun dans son ensemble. La prudence semble donc être de mise à Strasbourg. Cette tendance ressort notamment d’une autre affaire en lien avec le règlement Dublin qu’il s’agit de souligner. En effet, dans l’affaire Mohammed Hussein contre Pays-Bas et Italie, alors qu’elle avait ordonné des mesures provisoires suspendant le transfert de la requérante et ses deux enfants en bas âge des Pays-Bas vers Italie, la Cour lève cette suspension et déclare la requête irrecevable le 2 avril 2013, estimant qu’il n’existe pas de défaillance systémique du régime d’asile italien et donc qu’il n’y a pas de risque de violation de l’article 3.
Ce retour à la prudence de la CourEDH dans les affaires Dublin étant dessiné, il n’en reste pas moins que l’action du juge conduit à affirmer la primauté des droits fondamentaux. Le respect de cette considération primordiale passe alors par le jeu des clauses dérogatoires, les juridictions nationales des Etats membres multipliant les renvois préjudiciels devant la CJUE. L’enjeu est de taille, celui de la survie d’un système de répartition de la responsabilité de l’examen des demandes de protection au sein de l’UE auquel les Etats sont attachés.