par Marie Garcia, CDRE
A la suite du discours sur l’état de l’Union, prononcé par Jean-Claude Juncker, devant les députés européens, le 9 septembre 2015, la Commission a dévoilé un ensemble de propositions afin de remédier à la crise des réfugiés dans laquelle l’Europe est plongée depuis quelques mois.
Si l’attention médiatique s’est principalement portée sur les propositions relatives à la relocalisation des milliers de réfugiés, et pour cause, la Commission a corrélativement fait état de ses travaux concernant la politique de retour de l’Union européenne. Un plan d’action en matière de retour et un manuel sur le retour ont ainsi été présentés, répondant notamment, à l’appel lancé par l’Agenda européen en matière de migration, au printemps 2015. La Commission y soulignait en effet, que « l’une des incitations au départ des migrants en situation irrégulière tient au fait qu’il est notoire que le système de retour de l’UE – qui vise à renvoyer les migrants en situation irrégulière ou ceux dont la demande d’asile a été rejetée – ne fonctionne pas parfaitement ».
Pour autant, l’inefficacité d’un tel système, n’aura pas eu à attendre le péril de milliers de réfugiés dans les eaux méditerranéennes, pour être dévoilée. La Commission dans sa communication sur la politique de l’Union européenne en matière de retour et le Conseil dans ses conclusions sur la politique de l’UE en matière de retour, notaient déjà au printemps 2014, un certain nombre de dysfonctionnements et faisaient part de leur volonté de concentrer les efforts de tous les acteurs du retour sur « une mise en œuvre plus efficace et une consolidation en profondeur des règles existantes ».
Ainsi, ces nouvelles propositions semblent-elles moins enclines à résoudre la crise actuelle qu’à solutionner les défaillances récurrentes du système de retour de l’Union Européenne, comme en témoignent les chiffres avancés par la Commission européenne. En 2014, moins de 40% des migrants en situation irrégulière ayant reçu l’ordre de quitter l’UE sont effectivement partis, soit 192 445 ressortissants de pays tiers en situation irrégulière sur les 470 080 à l’encontre desquels les autorités nationales ont adopté une décision de retour. Rien de nouveau pour autant, le taux d’exécution des décisions de retour oscillant entre 40 et 45% pour les années 2009-2013 (voir le rapport du Réseau européen des migrations, EMN Return Experts Group Directory : Connecting Return experts across Europe, October 2014).
Face à ces défaillances les coupables sont enfin désignés, la Commission osant la formule selon laquelle, la mise en œuvre par les Etats membres du droit de l’Union en matière de retour « laisse à désirer ».
Déterminée à faire bouger les lignes, la Commission riposte et propose un plan de bataille aux ambitions néanmoins variables…
Le soutien opérationnel à l’égard des Etats membres
Il n’est pas inutile de rappeler que la directive « retour » et notamment son article 6§1, implique l’obligation pour les Etats membres, d’éloigner tout ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire, à moins que des motifs humanitaires ou charitables autorisent la délivrance d’un titre de séjour. Malgré la simplicité de la formule, les autorités nationales peinent à s’y conformer, leur inaction maintenant dans l’illégalité les individus à l’égard desquels elles prétendent pourtant tout mettre en œuvre pour leur faire regagner leur pays d’origine. L’exemple français relatif à la gestion des déboutés de l’asile et dont ce site s’est fait l’écho il y a peu, suffit à lui seul, à prendre la mesure de l’hypocrisie ambiante.
Brandissant dans un premier temps le spectre de la sanction, en annonçant qu’elle n’hésitera pas à engager des procédures d’infraction à l’égard des plus récalcitrants, la Commission s’attache surtout à clarifier les obligations des Etats membres et les moyens dont ils disposent pour mettre en œuvre leurs engagements.
De ce point de vue, le manuel sur le retour, élaboré en collaboration avec les Etats membres au sein du Groupe de contact relatif à la directive retour (Contact Committee Return Directive), constitue un outil de travail considérable. Véritable guide d’utilisation, à destination des organes nationaux en charge des retours dans les Etats membres, il explicite en grande partie la procédure de retour prévue par les dispositions de la directive 2008/115, et ce, après avoir recueilli auprès des représentants nationaux, lors de réunions informelles, toutes informations susceptibles d’en améliorer la compréhension. En effet, si la politique de retour se définit au niveau européen, son exécution nationale implique que l’on s’adresse aussi à tous les agents publics qui la mettent en œuvre quotidiennement mais dont la familiarité avec les spécificités du droit de l’Union européenne n’est pas toujours aisée. Ainsi, le droit de l’Union européenne peut-il être perfectionné, et sa mise en œuvre optimisée, sans que l’on ne s’engage précisément dans un nouveau processus législatif. Pour autant, l’évaluation de la mise en œuvre de la directive « retour » poursuit son cours, au risque de faire subir au texte quelques modifications, au plus tard en 2017. Effet d’annonce ou sérieux projet, l’avenir nous le dira.
La dimension opérationnelle de la politique de retour exigeait également de repenser l’organisation de la coopération pratique qui caractérise la matière. Les propositions de la Commission répondent donc à l’idée, qui n’est pas nouvelle, de renforcer le rôle et le mandat de l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures de l’UE. Bien que déjà impliquée dans la coordination d’opérations de retour conjointes, l’exécutif européen entend dépasser la fonction d’assistance qui est celle de l’Agence aujourd’hui. Ainsi, pour faire de Frontex un acteur incontournable en matière de retour, la Commission soumet la possibilité d’autoriser l’Agence à lancer des opérations de retour et à coordonner et organiser ces opérations à partir d’un seul Etat membre. En ce sens, la création d’un bureau Frontex chargé des retours et la dotation de ressources supplémentaires (5 millions d’euros pour les activités liées aux retours) marqueraient (symboliquement ?) l’autonomie de l’Agence dans la mise en œuvre des procédures de retour nationales.
De plus, dans des situations d’urgence telle que celle que nous vivons aujourd’hui, Frontex doit également être en mesure de fournir une assistance opérationnelle aux Etats frontaliers soumis à une forte pression migratoire. Suscitant la polémique, la détermination de « hotspots » avalisée par le Conseil cette semaine, dans sa décision 2015/1523 instituant des mesures provisoires en matière de protection internationale au profit de l’Italie et de la Grèce, devrait permettre à Frontex, en collaboration avec d’autres agences européennes, de déployer des agents sur place, chargés de l’identification des migrants, de faciliter l’obtention des documents de voyage en collaboration avec les services consulaires et de coordonner voire cofinancer les vols de retour.
Enfin, dernier point, moins médiatisé mais tout aussi important, le partage d’informations pour mettre en œuvre le retour. Le constat de la Commission est sans appel : « Actuellement, les Etats membres ne partagent pas systématiquement les informations sur les décisions de retour ou les interdictions d’entrée qu’ils délivrent aux migrants. Par conséquent, un migrant en situation irrégulière qui a l’obligation légale de quitter le territoire peut éviter le retour, tout simplement en se rendant dans un autre Etat membres au sein de l’espace Schengen ».
En d’autres termes, les Etats membres devraient selon le considérant 18 de la directive « retour », introduire dans le système d’information Schengen, les décisions de retour assorties d’une interdiction d’entrée, afin, et cela relève d’une logique imparable, que les personnes visées par ce type de décision, ne puissent à nouveau entrer dans l’Union européenne, par le territoire d’un autre Etat membre. Ne constituant pas cependant, une disposition contraignante, les Etats membres n’alimentent que très ponctuellement cette base de données, réduisant à néant un échange d’information, pourtant capital, pour le bon déroulement des procédures de retour.
Le plan d’action et le manuel sur le retour recommandent donc une introduction systématique et obligatoire de ces décisions, ce dont le Conseil s’est réjoui dans ses conclusions sur une utilisation plus efficace du SIS le 14 septembre 2015… Sans pour autant suivre la Commission quant au caractère contraignant de la mesure. Parallèlement, la Commission envisage d’étendre le champ d’application et l’objet du règlement Eurodac afin de permettre d’utiliser les données relatives au retour et de la sorte recueillir des informations sur la situation de la personne concernée par la décision de retour.
En attendant la concrétisation de ces propositions, elle s’attaque à la question fondamentale de la réadmission, condition sine qua non de l’achèvement de la procédure de retour.
Les stratégies en matière de réadmission
Malgré la conclusion de 17 accords de réadmission, l’Union européenne ne peut prétendre mettre en œuvre une politique de réadmission performante. Engluée dans une stratégie qui a vraisemblablement fait son temps, elle peine à convaincre les pays de retour de bien vouloir participer à un jeu où les gagnants sont très souvent les mêmes. Sans qu’il soit besoin de s’appesantir sur les raisons d’un tel résultat, on peut en revanche regretter les réponses apportées par la Commission, dont le manque d’ambition est tout à fait critiquable.
Ainsi, pour encourager les pays tiers avec lesquels les négociations en matière de réadmission n’aboutissent pas, et qui par la même occasion sont les pays desquels une grande partie des ressortissants en situation irrégulière proviennent (Afrique et particulièrement Afrique du Nord), la Commission entonne son refrain habituel. Flattant l’égo brisé d’une Union dont l’autorité internationale est en berne, elle brandit le sacro-saint principe du « donner plus pour recevoir plus », sans lequel aucun accord de réadmission ne peut être conclu. La méthode a pourtant prouvé ses limites, la Commission soulignant dans le même temps, à propos du cas du Maroc, de la Tunisie et de l’Algérie, que l’Union est « empêtrée » dans de très longues négociations. Les « effets de levier » ne suffiraient-ils pas à satisfaire l’ensemble des parties ? La réponse est dans la question, la facilitation de la délivrance des visas, mesures incitatives phares, étant difficilement conciliable avec les intérêts des Etats membres de l’UE, lorsque ces derniers ont à négocier avec des pays tiers, dont le risque migratoire est bien trop élevé…
Concernant en revanche, les pays tiers avec lesquels des accords de réadmission ont été conclus, la Commission se félicite d’une mise en œuvre relativement aboutie de ces derniers, à défaut cependant, de devoir fournir encore de nombreux efforts pour les pays visés par les Accords de Cotonou (notamment le Nigéria, la RDC, la Côte d’Ivoire ou encore l’Ethiopie). Dans ce cas précis, les pays tiers parties à l’accord, s’engagent à accepter le retour et la réadmission de leurs propres ressortissants sans aucune formalité. Reste cependant, à mettre en œuvre effectivement l’engagement susvisé, au moyen, nous dit la Commission, de réunions bilatérales.
Enfin, arme fatale dont l’Union se gargarise depuis quelques mois, les « dialogues politiques à haut niveau en matière de réadmission », à destination de pays dits prioritaires, dont le risque migratoire est largement avéré. Lancés par la Haute représentante de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, ils devraient améliorer la coopération entre l’UE et les pays tiers en matière de réadmission, et ce, malgré un désintérêt à peine masqué, pour la question de l’aide à la réintégration des migrants de retour et l’aide au développement des pays de retour.
Dans l’ensemble donc, les signaux transmis sont relativement prudents, même si la Commission occupe davantage d’espace et fait preuve d’une plus grande témérité. Dans une matière où les Etats membres ne supportent que très mal la critique, l’on ne peut que s’en féliciter.