L’arrêt Bob-Dogi de la Cour de justice, deux occasions manquées pour le droit de la coopération judiciaire pénale

Forte et stimulante était l’implication des participants aux Ateliers doctoraux européens du Réseau universitaire sur le Droit de l’Espace de liberté de sécurité et de justice (GDR ELSJ) qui se tenaient à Bayonne – San Sebastian du 1er au 3 juin derniers. Ainsi réunis sur le thème des « Crises de l’Espace de liberté de sécurité et de justice » dans un cadre et un climat propices, les juristes européistes ont pu, notamment, découvrir le contenu de l’arrêt Bob-Dogi (CJUE, Niculaie Aurel Bob-Dogi, 1er juin 2016, C‑241/15). Ce billet est l’occasion d’y revenir.

Le cadre de l’analyse. L’arrêt Bob-Dogi relatif à l’interprétation de la décision-cadre sur le mandat d’arrêt européen (Décision-cadre du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, 2002/584/JAI) était attendu tant au regard de la question technique posée par la juridiction roumaine que des conclusions de l’Avocat Général Yves Bot (Conclusions de l’Avocat général M. Yves Bot, 2 mars 2016) mettant en lumière des défis majeurs pour le droit de la coopération judiciaire pénale européenne. Le terme défis étant, comme l’ont relevé les jeunes chercheurs lors des Ateliers qui s’achèvent, plus approprié que celui de crises dans un Espace pénal européen en construction. L’Union européenne, dans les domaines de l’ELSJ, tel celui de la coopération judiciaire pénale, est en effet dans une dynamique active d’affronter, pour les dépasser, les difficultés. Que ces dernières soient d’ordre politique lorsque les Etats font preuve de protectionnisme des intérêts nationaux et donc de méfiance envers les autres systèmes juridiques ou celui de l’Union, ou qu’elles soient d’ordre purement juridique lorsque les mécanismes européens de coopération fondés sur le principe de la reconnaissance mutuelle doivent s’articuler avec des principes inhérents à la matière pénale. Dans tous les cas, les actions de l’Union européenne, législatives ou jurisprudentielles, s’inscrivent dans la logique du processus de la construction européenne.

En mettant en lumière d’une part, le pressant besoin d’une définition du principe même de la reconnaissance mutuelle des décisions de justice sur lequel sont fondés tous les instruments de coopération judiciaire pénale de l’Union européenne depuis 1999 et, d’autre part, l’importance d’une approche uniforme du principe de proportionnalité dans ce domaine, l’arrêt du 1er juin 2016 sonne le glas, sans y remédier, d’une conceptualisation peu aboutie du droit de la coopération judiciaire pénale de l’Union européenne.

Le point de droit litigieux. Dans cette affaire, un mandat d’arrêt européen est émis par une juridiction hongroise le 23 mars 2015 aux fins d’exercer des poursuites contre M. Bob-Dogi pour des faits de blessures corporelles graves survenues en Hongrie en novembre 2013. A la lecture du formulaire du mandat d’arrêt européen, l’autorité d’exécution roumaine ne voit pas de référence à la décision nationale -un mandat d’arrêt national hongrois- sur laquelle se baserait l’émission du présent mandat d’arrêt européen. Il est fait mention uniquement du mandat d’arrêt européen, étant précisé par l’autorité d’émission hongroise que, conformément à sa loi de transposition nationale de la Décision-cadre de 2002, ce mandat d’arrêt européen « s’étend aussi au territoire de la Hongrie et constitue également un mandat d’arrêt national ». Ce procédé d’émission du mandat d’arrêt européen, qui consiste à utiliser le mandat d’arrêt européen comme un instrument de coopération judiciaire et un mandat d’arrêt national, est qualifié par la Cour de justice de « procédure simplifiée ». Or, les autorités d’exécution roumaines se référant à l’article 8 §1 c) de la Décision-cadre du 13 juin 2002 ne savent pas, concrètement, comment appliquer la législation relative au mandat d’arrêt européen. Cette disposition prévoit en effet qu’un mandat d’arrêt européen doit contenir des informations précises parmi lesquelles « l’indication de l’existence d’un jugement exécutoire, d’un mandat d’arrêt ou de toute autre décision judiciaire exécutoire ayant la même force entrant dans le champ d’application des articles 1er et 2 ». Mais le droit dérivé européen permet-il aux Etats membres d’émettre des mandats d’arrêt européens sans décision nationale distincte et préalable ? Encore, l’absence de décision nationale sur laquelle serait basé le mandat d’arrêt européen est-elle une cause de non-validité du mandat d’arrêt européen pouvant entraîner le refus de son exécution ?

La Cour d’appel de Cluj en Roumanie va poser à la Cour deux questions préjudicielles : « 1) En vue de l’application de l’article 8, paragraphe 1, sous c), de la décision-cadre, convient-il d’entendre par l’expression “existence d’un mandat d’arrêtˮ, un mandat d’arrêt national délivré conformément aux dispositions procédurales de l’État membre d’émission, c’est-à-dire distinct du mandat d’arrêt européen ? 2) En cas de réponse affirmative à la première question, l’absence de mandat d’arrêt national constitue-t-elle un motif implicite de non-exécution du mandat d’arrêt européen ? ». A première vue, il s’agit d’un problème très technique relatif aux conditions formelles de validité d’un mandat d’arrêt européen. Mais derrière cette question procédurale se pose celle, bien plus générale, de la logique et de la finalité du mécanisme de circulation des décisions répressives fondé sur le principe de reconnaissance mutuelle. Est également soulevée, tel que cela ressort des conclusions de l’Avocat général Yves Bot, la problématique du respect de la proportionnalité au stade de l’émission du mandat d’arrêt européen.

Confrontée à la « pierre angulaire » et la nouvelle pierre d’achoppement de la coopération judiciaire pénale, la Cour de Luxembourg s’en tient à une réponse strictement limitée au point technique soumis à son interprétation.

 Une décision pusillanime de la CJUE. Selon la CJUE, la notion de « mandat     d’arrêt », figurant à l’article 8 §1 c), « doit être comprise comme désignant un mandat d’arrêt national distinct du mandat d’arrêt européen ». Et, « lorsqu’un mandat d’arrêt européen, qui se fonde sur l’existence d’un « mandat d’arrêt », au sens de cette disposition, ne comporte pas d’indication de l’existence d’un mandat d’arrêt national, l’autorité judiciaire d’exécution doit ne pas y donner suite » après avoir vérifié auprès de l’autorité d’émission qu’il n’existe pas effectivement de mandat d’arrêt national distinct du mandat d’arrêt européen. La décision ainsi rendue est un peu décevante tant dans son dispositif que dans le raisonnement suivi.  En effet, l’arrêt « Bob-Dogi » du 1er juin 2016 manque deux importantes occasions : d’abord, celle de remédier à l’absence de définition de la reconnaissance mutuelle des décisions de justice sachant que si, depuis 1999, cela avait été fait il n’y aurait certainement pas eu en l’espère de renvoi préjudiciel par la juridiction de l’Etat d’exécution. Ensuite, la CJUE ne saisit pas l’occasion, pourtant bien amenée par son Avocat général, de se positionner sur une approche européenne de la proportionnalité dans les mécanismes européens de coopération judiciaire.

 

1/ L’occasion manquée de définir le principe de reconnaissance mutuelle des décisions répressives

Une simple référence au « principe de reconnaissance mutuelle » dans le raisonnement de la CJUE. Le raisonnement suivi ici par la CJUE pour justifier de l’exigence d’une décision nationale distincte et préalable du mandat d’arrêt européen n’est pas très convaincant. En effet, la question de savoir si le mandat d’arrêt européen est un instrument de coopération judiciaire pénale permettant la reconnaissance et l’exécution des décisions de justice rendues dans les autres Etats membres -puisque c’est précisément de cela dont il s’agit- aurait méritée bien plus en guise de réponse qu’une interprétation littérale de l’article 8 §1 c) de la Décision-cadre du 13 juin 2002 et de la notion de « mandat d’arrêt ».

Le juge européen, comme à son habitude dans ce domaine, fait une référence à la reconnaissance mutuelle et à la confiance mutuelle pour rappeler que le système du mandat d’arrêt européen est fondé sur ces principes (v. dans cet arrêt §33, §52 et §60). Cependant, l’argument principal de la Cour, repris aux paragraphes 55 et 56 de l’arrêt, ne revient pas sur l’acception de ces principes. La Cour retient l’existence d’une protection à deux niveaux en matière de procédure et de droits fondamentaux, l’un situé au moment de la décision nationale et l’autre à l’émission du mandat d’arrêt européen. La décision nationale distincte et préalable du mandat d’arrêt européen serait un gage de protection plus effective des garanties procédurales et droits fondamentaux de la personne visée par le mandat. Si on comprend bien l’objectif de légitimisation du mandat d’arrêt européen en tant qu’instrument transfrontière de répression, il est plus difficile de voir en quoi cette protection à deux niveaux explique, en soi, l’exigence de la décision nationale. Elle apparaît davantage comme une conséquence procédurale du mécanisme de circulation des décisions de justice dans l’Espace pénal européen reposant sur le principe de reconnaissance mutuelle. Les conclusions de l’Avocat général Yves Bot vont d’ailleurs expressément en ce sens (v. ess. §58 à 63). La définition du principe de reconnaissance mutuelle des décisions de justice aurait pu être le principal fondement du raisonnement de la CJUE et de l’interprétation qu’elle donne de l’article 8 §1 c) de la Décision-cadre de 2002.

La définition du principe de reconnaissance mutuelle comme seul fondement à l’interprétation de l’article 8§1 c). Rappelons que tous les outils de coopération judiciaire pénale créés depuis 1999, dont le mandat d’arrêt européen, mettent en œuvre le principe de reconnaissance mutuelle des décisions de justice. La reconnaissance mutuelle suppose qu’une décision de justice nationale qui répond aux conditions de fond et de forme de validité établies par le droit de l’Etat dans lequel elle est rendue soit reconnue et exécutée dans tous les autres Etats membres sans exigences supplémentaires ou procédure intermédiaire dans l’Etat qui la reçoit. Elle est cette méthode de l’intégration européenne qui fait s’abaisser les frontières en permettant la libre circulation dans l’Union européenne de ce qui a acquis une validité dans l’un des Etats membres. L’objet de la reconnaissance mutuelle en coopération judiciaire est la décision de justice nationale. Celle-ci va circuler entre les Etats membres lorsqu’elle sera incorporée dans un certificat dont le contenu a été établi au niveau européen. En ce sens, le mandat d’arrêt européen va servir de « passeport » à la décision nationale de poursuites ou de condamnation qui en étant reconnue par l’Etat d’exécution va permettre l’exécution du mandat d’arrêt européen. L’exigence d’une décision nationale, et ici d’un mandat d’arrêt hongrois, est donc intrinsèque au mécanisme de la reconnaissance mutuelle. Poser cette définition n’aurait-il pas été plus simple et efficace pour répondre à la question préjudicielle ? En outre, compte tenu du rôle majeur du principe de la reconnaissance mutuelle en coopération judiciaire pénale consacré aux articles 67 et 82 du TFUE, et en l’absence de définition légale, ne revient-il pas à la Cour de justice de fournir, enfin, la définition en termes juridiques du principe de reconnaissance mutuelle des décisions de justice (pour une proposition de définition juridique v. Le principe de reconnaissance mutuelle des décisions répressives dans l’Union européenne, LGDJ, Coll. Fondation Varenne, 2011) ? Aussi regrettable mais moins surprenant est le silence de la CJUE sur la question du respect de la proportionnalité dans la procédure du mandat d’arrêt européen.

 

 2/ L’occasion manquée de se positionner sur le respect de la proportionnalité dans les instruments de coopération judiciaire pénale

L’opportunité de retenir l’argument du respect de la proportionnalité dans cette affaire. Le respect de la proportionnalité dans les instruments de coopération judiciaire pénale s’est révélé, au fil du temps et de la pratique, la nouvelle pierre d’achoppement de ce droit. La Commission le soulignait dans son rapport d’avril 2011 sur l’évaluation du mandat d’arrêt européen face aux « tests de proportionnalité » unilatéralement introduits par les juridictions nationales dans la procédure du mandat d’arrêt européen (Rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur la mise en œuvre,  depuis 2007, de la décision-cadre du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, Bruxelles, le 11.4.2011, COM(2011) 175 final). L’Union européenne qui pour l’instant n’a pas vraiment agit pour permettre de garantir le respect de la proportionnalité dans le mécanisme de la reconnaissance mutuelle des décisions pénales se retrouve aujourd’hui confrontée à ce défi : déterminer l’acception et le champ du principe de proportionnalité en droit pénal européen (v. Le principe de proportionnalité en coopération judiciaire pénale : principe janusien de l’espace pénal européen, site GDR ELSJ, juin 2015). A ce jour, la question du contrôle de la proportionnalité semble se poser essentiellement au stade de la décision de l’autorité nationale d’émettre un mandat d’arrêt européen, ou d’utiliser un autre outil de coopération pénale telle la Décision d’enquête européenne par exemple (Directive 2014/41/UE du 3 avril 2014 concernant la décision d’enquête européenne en matière pénale), et lorsqu’il s’agit de déterminer, au stade de l’exécution, si la mesure répressive que représente le mandat d’arrêt européen n’est pas trop attentatoire aux  droits de la personne visée -tel le droit à la vie privée et familiale.

En l’espèce, l’Avocat général Yves Bot explique clairement que la question posée à la Cour implique de prendre en compte la problématique de proportionnalité dès lors que « l’émission d’un mandat d’arrêt européen valant mandat d’arrêt national est susceptible d’empêcher la mise en œuvre du contrôle de proportionnalité lors de l’émission du mandat d’arrêt européen » (Conclusions de l’Avocat général M. Yves Bot, 2 mars 2016). La position de l’Avocat général dans ses conclusions a le mérite d’inviter la Cour de justice à faire entrer dans son raisonnement la garantie du respect de proportionnalité. Selon nous, cet argument n’est pas, contrairement à la définition du principe central de reconnaissance mutuelle, déterminante de la solution en interprétation dégagée par la Cour dans cette affaire. Cependant, dire en quoi l’absence de mandat d’arrêt national distinct du mandat d’arrêt européen ne serait pas compatible avec le respect de la proportionnalité revient à se positionner sur une approche européenne de ce principe en coopération judiciaire pénale. Autrement dit, dans quelles mesures l’autorité d’émission d’un mandat d’arrêt européen doit-elle contrôler le respect de la proportionnalité telle qu’énoncée pour la matière pénale à l’article 49 de la Charte ? Le silence du juge européen dans sa décision du 1er juin est presque dérangeant…

Le silence presque dérangeant de la Cour de justice sur la proportionnalité. La Cour de justice n’en est pas à sa première sollicitation pour se prononcer sur le principe de proportionnalité dans la procédure du mandat d’arrêt européen. En octobre 2012, l’Avocat général Eleanor Sharpston soulignait dans l’affaire Radù (conclusions de l’Avocat général Mme Eleanor Sharpston, 18 octobre 2012, aff. C‑396/11) que la Cour de justice ne dit rien quant à l’interprétation de l’article 49§3 de la Charte alors que l’on s’interroge intensément sur un éventuel motif de refus d’exécuter un mandat d’arrêt européen basé sur le respect de la proportionnalité. Une réponse que la CJUE ne donnera pas en écartant dans son arrêt toute référence au principe de proportionnalité (CJUE, Ciprian Vasile Radu, 29 janvier 2013,          C‑396/11). L’absence de position du juge de l’Union européenne sur la question du respect de la proportionnalité dans notre affaire n’est donc pas très surprenante, d’autant qu’à la différence du cas « Radù » la juridiction nationale de renvoi n’évoque pas ici directement le principe. Cependant, le silence entretenu par la Cour s’expliquant peut-être par la sensibilité de cette question en matière pénale nuit à une construction cohérente d’un espace répressif européen… En ces temps de tourmente, inertie et manque d’audace sont regrettables.