par Valérie Michel, CERIC
Le temps des esprits chagrins regrettant que le juge fasse montre d’une certaine résistance envers l’applicabilité du droit de l’Union relève d’une époque révolue. Mais sur cette question de l’applicabilité et de l’application du droit de l’Union, il semble qu’il y encore une certaine marge de progression possible.
L’ordonnance de la Cour d’appel de Paris, en date du 23 février 2013, ouvre une autre ère, celle d’un enthousiasme débordant pour l’application de la directive retour, une autre ère que l’on espèrera particulièrement éphémère car en l’espèce la directive retour est appliquée pour juger de la prolongation de la rétention d’un ……….ressortissant portugais.
Naturellement, la surprise ne peut que saisir le lecteur. Si le titre de la directive 2008/115 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier peut être quelque peu trompeur, ce n’est que sur le caractère commun des règles instaurées, et en aucun cas sur son champ d’application personnel, en outre définit sans ambigüité à l’article 2.1 : « La présente directive s’applique aux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un Etat membre ». Il n’y a place pour aucun doute, ni aucune erreur tant les termes sont clairs : la directive retour ne concerne pas un citoyen européen.
Et l’on ne peut même pas caresser l’espoir que la Cour d’appel applique la directive retour à ce ressortissant portugais en raison d’une extension par le législateur français – ce qui serait d’ailleurs discutable – de certains droits régis par la directive retour à des personnes ne provenant pas d’Etats tiers. Car la Cour d’appel relève précisément que concernant le droit en question – à savoir l’information d’une personne placée en rétention de se voir « communiquer systématiquement des informations expliquant le règlement des lieux et énonçant leurs droits et leurs devoirs » (art. 16.4 de la directive) – « aucune transposition n’est (…) intervenue relativement à l’information à donner à l’étranger (sic…en l’espèce) ». Par conséquent, et dans le sillage de la Cour de Justice dans l’affaire El Dridi, c’est en raison de l’effet direct de l’article 16 que la CA en fait application.
Si l’on peut noter avec satisfaction cette concordance de jurisprudence quant à l’effet direct de l’article 16, il n’en demeure pas moins que rien ne peut éclairer, justifier et légitimer cette application de la directive retour à un citoyen européen.
Certes, c’est le requérant lui-même qui se prévaut de ce droit, mais l’on ne peut guère lui faire reproche de se méprendre sur le champ d’application du droit de l’Union. Le jugement est naturellement bien différent pour les professionnels du droit.
Rien n’explique cette position sauf peut être, dans un contexte lié aux aléas induits par les différences de vues des juges français quant à l’application de la directive retour, un empressement de la CA de Paris à suivre la position, attendue et saluée de la première chambre civile de la Cour de Cassation. Celle-ci a en effet, par un arrêt du 13 février 2013, pointé les lacunes de la transposition française de la directive retour et des modalités concrètes de sa mise en œuvre : une personne placée en rétention ne doit pas seulement, comme cela est en pratique, être informée de la présence d’associations agrées mais doit être en mesure de contacter effectivement ces associations. En d’autres termes, une simple information abstraite, non accompagnées de données précises permettant à la personne en rétention de choisir l’association adéquate et de la contacter, méconnaît les objectifs de la directive.
En termes de lutte contre les cacophonies juridictionnelles nationales, l’on peut se satisfaire qu’une Cour d’appel se place dans le sillage de la Cour de Cassation. Du point de vue de la rigueur l’on ne peut en revanche que fustiger un empressement conduisant à méconnaître grossièrement le champ d’application de la directive retour.