par Géraldine Bachoué Pedrouzo, CDRE
Le champ de la politique étrangère et de sécurité commune coïncide souvent avec celui de l’Espace de liberté, de sécurité et de justice. Le domaine de la lutte contre le terrorisme le prouve. Le traité de Lisbonne organise deux voies pour l’intervention de l’Union en la matière : la première prend appui sur la PESC (article 215 TFUE) et la seconde sur les dispositions relatives à l’ELSJ (article 75 TFUE).
Le débat sur le choix de la base juridique la plus appropriée devait nécessairement se poser devant la Cour de justice et l’avocat général, Yves Bot, vient de conclure à ce sujet, le 31 janvier 2012, dans l’affaire C-130/10.
Le Parlement européen contestait la base juridique retenue par le Conseil pour adopter le règlement (UE) n° 1286/2009 du 22 décembre 2009 instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes ou entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaïda et aux Taliban. Selon lui, pour autoriser des sanctions (gel des avoirs et fonds financiers, interdiction de visas, entraves à la libre circulation) à l’égard des personnes ou entités dont le nom figure sur la liste contenue dans la résolution n° 1373 du Conseil de sécurité des Nations Unies que le règlement litigieux vient transposer, le Conseil aurait dû retenir l’article 75 TFUE relatif à l’ELSJ et non l’article 215 TFUE.
Pour la première fois dans le cadre du traité de Lisbonne, un tel rapport de force entre la PESC et le “corps commun” du traité est établi. Les conclusions de l’Avocat général Yves Bot révèlent la difficulté qu’il y a à dessiner des frontières précises entre la PESC et la dimension externe de l’ELSJ.
L’Avocat général propose dans un premier temps de fonder le règlement sur l’article 215 §2 TFUE (point 67). Ce faisant, il avalise le choix du Conseil de rattacher le règlement à la PESC. Pour lui, la compétence que l’Union exerce au titre de la PESC est générale. Il s’agit d’intervenir sur la scène internationale afin de combattre le terrorisme international pour maintenir la paix et la sécurité au niveau international (point 64). De façon pragmatique, son analyse considère que, en prévoyant “l’adoption de ‘mesures restrictives’ de manière générale, sans limiter celles-ci aux seules mesures concernant les mouvements de capitaux et les paiements” (point 68), l’article 215 §2 TFUE constitue la base juridique la mieux adaptée à la variété des actions qui peuvent être menées par l’Union dans le cadre de la PESC afin de lutter contre le terrorisme international. La PESC apparaît ainsi comme la voie normale pour mettre en œuvre les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies (point 66). Cette position s’inscrit parfaitement dans le prolongement du raisonnement adopté par la Cour de justice dans l’arrêt de principe Kadi.
Dans un second temps, l’Avocat général rejette l’interprétation du Conseil selon laquelle la délimitation entre les champs d’application respectifs des articles 75 et 215 §2 TFUE devrait reposer sur une distinction entre les terroristes dits “internes”, les terroristes dits “externes” et les terroristes dits “internationaux”. Cette catégorisation est pour le moins simpliste, contraire à la nature même du terrorisme et à l’exigence d’une lutte efficace contre cette forme de criminalité (point 75). Les articles 75 et 215 §2 TFUE doivent être analysés, non pas comme s’opposant, mais comme se complétant (point 79). En maintenant la délimitation entre la PESC et l’ELSJ malgré la disparition de la structure en piliers, et en permettant d’inscrire les mesures restrictives dans deux dimensions différentes, pour Yves Bot, le traité de Lisbonne cherche à éviter toute faille dans le système européen de lutte antiterroriste (point 80).
Il ne serait donc pas utile de recourir à une double base juridique. S’appuyer sur l’article 215 §2 TFUE est possible chaque fois qu’il est question de soutenir l’action d’États tiers pour combattre le terrorisme sur leur territoire, de prendre des mesures à l’encontre de personnes expressément désignées par le Conseil de sécurité ou un comité des sanctions créé par lui, et de mettre en œuvre au niveau de l’Union les mesures décidées par le Conseil de sécurité pour lesquelles la désignation est laissée à l’appréciation des États membres (point 81). En revanche, il convient d’utiliser l’article 75 TFUE dès lors que l’on se situe hors de la PESC, qu’il s’agisse de construire l’ELSJ, de développer la coopération policière et judiciaire avec les États tiers ou de compléter de façon autonome les listes établies par le comité des sanctions que l’Union estimerait incomplètes (point 82).
La Cour de justice suivra-t-elle le raisonnement rigoureux et cohérent de son Avocat général ? Sa marge de manœuvre à partir du traité est en effet bien mince, tant le domaine de la PESC reste imparfait.
Par sa décision, la Cour pourrait donc organiser elle-même la mise à l’écart du Parlement européen de la lutte contre le terrorisme, après avoir elle même incité par sa jurisprudence cette lutte à s’inscrire dans le respect des droits fondamentaux (voir en ce sens, Jean-Claude Bonichot, “La Cour de justice des Communautés européennes et la lutte contre le terrorisme : entre le marteau et l’enclume?”, in Terres du droit. Mélanges en l’honneur d’Yves Jégouzo, Dalloz, Paris, 2009, pp. 3-14). En ce cas, l’amélioration du contrôle juridictionnel auquel procède le traité, notamment en matière de lutte contre le terrorisme, aura concouru en définitive à l’amoindrissement du contrôle démocratique. Comment ne pas regretter ce paradoxe ?