par Marie Collard, IRDEIC
La proposition de Règlement instaurant un droit commun européen de la vente (COM (2011) 635) a suscité nombre de commentaires, axés d’une part sur l’aspect innovant et d’autre part sur les solutions moins protectionnistes du consommateur que peuvent l’être certains droits nationaux (B. Fauvarque-Cosson, «Vers un droit commun européen de la vente », Recueil Dalloz 2012 p. 34 ; G. Paisant, « La proposition d’un droit commun de la vente ou l’esperanto contractuel de la Commission européenne », Semaine juridique édition générale, n° 18, avr. 2012, p. 560 ; C. Aubert de Vincelles, « Premiers regards sur la proposition d’un droit commun européen de la vente », Semaine juridique Entreprise et Affaire, n° 51, déc. 2011, act. 683. ).
Quasi exclusivement relative à la loi applicable, la proposition vise néanmoins les clauses de juridiction, appelant un regard spécifique sur ce point.
Ses articles 84 (d) et 84 (e) (Annexe I) réputent «abusives» toutes clauses ayant pour objet ou effet «d’exclure ou d’entraver le droit du consommateur à ester en justice (…)»; ou «d’imposer, pour tous les litiges naissant du contrat, la compétence exclusive du tribunal du lieu où le professionnel est domicilié à moins que le tribunal choisi soit également celui du lieu où le consommateur est domicilié». L’article 79 (Annexe I) poursuit en précisant «qu’une clause contractuelle proposée par une partie et qui est abusive (…) ne lie pas l’autre partie. Lorsque le contrat peut être maintenu sans la clause abusive, les autres clauses du contrat demeurent contraignantes». Les clauses de juridiction étant à ce jour soumises au Règlement 44/2001, il est possible qu’une situation litigieuse relève du domaine des deux instruments dont l’articulation sera nécessaire.
D’un premier regard, la proposition semble satisfaisante en raison de la simplification qu’elle vise à apporter. En effet la proposition recourt à la qualification d’ «abusive» de la clause de juridiction et des effets qui en découlent. Ces points sont novateurs et méritent être accueillis favorablement.
D’abord, une règle de droit matériel est posée via la qualification expresse de «clause abusive» et les effets qui résultent de cette qualification. En effet bien que la précision des effets des clauses de juridiction conclues par un consommateur revête moins d’importance (puisque la Cour de justice a eu l’occasion de les préciser à plusieurs reprises) la qualification de ces clauses de juridiction, par le Règlement 44/2001 et la jurisprudence de la Cour de justice, restait lacunaire. En ce sens, on ne peut que saluer la qualification de ces clauses de juridiction de «clause contractuelle abusive». Viendra certainement le temps où il conviendra de s’interroger sur la qualification de clause «contractuelle».
Ensuite, la Proposition de Règlement parait permettre l’éviction de la difficile combinaison des dispositions du Règlement 44/2001 en matière de contrat transfrontière de consommation. Sous l’empire de ce dernier, il convient de vérifier l’admissibilité et validité d’une clause de juridiction au regard des articles 23 et 17 du Règlement. Son article 23 prévoit que toute clause de juridiction conclue antérieurement à la naissance du litige ne doit pas porter atteinte aux règles de compétence protectrices visées à l’article 17. Celles-ci prévoient en substance que la clause de juridiction ne pourra produire des effets qu’à la condition d’ offrir une option de compétence supplémentaire au consommateur.
Or la proposition fournit elle aussi un certain nombre d’éléments permettant d’apprécier l’admissibilité d’une clause affectant la compétence des tribunaux. L’article 83(d) (Annexe I) vise les clauses n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle et qui engendreraient un déséquilibre significatif entre les droits et obligations de parties au détriment du consommateur. Concrètement il en résulte que (outre la négociation individuelle dont elle devra être le fruit) la clause de juridiction doit offrir une option de compétence supplémentaire au consommateur pour ne pas être considérée comme abusive. En effet, dans cette hypothèse, elle ne restreint pas les options de saisine du consommateur et ne le désavantage pas. Ainsi du point de vue de la méthode, il est plus aisé de déterminer l’admissibilité d’une clause de juridiction au regard de la proposition de Règlement que du Règlement 44/2001. On voit bien que le mérite de cette proposition réside dans la consécration du caractère potentiellement abusif de la clause de juridiction dans un Règlement, cette consécration s’inscrivant dans la lignée des directives relatives aux droits des consommateurs (Directive 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 oct. 2011, modifiant la directive 93/13/CEE du Conseil et la directive 1999/44/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 85/577/CEE du Conseil et la directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil)
Cependant l’analyse précédemment développée ne résiste pas à une observation plus affinée, laquelle montre que l’adoption de la proposition va accroître la complexité existante dans la méthode de détermination de la juridiction compétente via une clause de juridiction. Bien que la proposition prévoit d’être d’application intégrale et exclusive une fois choisie par les cocontractants (articles 11 et 8) et que le chapitre 8 relatif aux clause abusives soit impératif (article 81, Annexe I), la règle de l’application exclusive de la proposition va rester lettre morte concernant les clauses de juridiction à deux égards.
D’une part, que la clause soit qualifiée d’abusive ou non, la question de la détermination de la juridiction internationalement compétente demeure entière. Le caractère abusif ou non abusif d’une clause de juridiction ne permettant pas de préjuger de la compétence du juge, la résolution de cette problématique traditionnelle de droit international privé doit être effectuée par application du Règlement 44/2001. Ainsi, après avoir apprécié le caractère de la clause de juridiction sur la base de la proposition, faut-il recourir à l’application combinée (ci-dessus évoquée) des articles 23 et 17 du Règlement afin de déterminer le tribunal internationalement compétent. Deux instruments règlementaires sont donc applicables pour apprécier tant la juridiction compétente que le caractère admissible de la clause de juridiction. Dans cette optique, s’il elle est adoptée, la proposition de Règlement viendra inéluctablement s’ajouter au patchwork règlementaire européen.
D’autre part, l’appréciation de l’éventuel caractère abusif de la clause de juridiction doit aussi intervenir à la lumière du Règlement 44/2001. Une clause de juridiction abusive étant une stipulation qui tend à restreindre les options de saisine du consommateur, il est par conséquent indispensable de déterminer en amont la ou les juridictions en principe compétentes, sur la base du Règlement 44/2001. De par l’auto-insuffisance du futur Règlement sur ce point, la simplification préalablement évoquée est alors estompée et l’intérêt de son immixtion dans la matière s’amoindrit.
Une véritable simplification aurait résidé dans le regroupement de l’ensemble des questions relatives aux clauses de juridiction dans un instrument unique. Or que ce soit au regard de la proposition de Règlement instaurant un droit commun européen de la vente ou de la proposition de modification du Règlement 44/2001 (COM(2010) 748/4), l’éparpillement des sources conduisant à une simplification avortée demeure.