par Céline Castets-Renard, IRDEIC
Le compromis trouvé le 29 juin 2012 par le Conseil européen dans ses conclusions est une étape décisive et historique en faveur de la création d’un brevet unitaire et d’une juridiction unifiée des brevets en Europe. Les chefs d’État ou de gouvernement des États membres participants ont convenus d’établir à Paris le siège de la division centrale du tribunal de première instance de la juridiction unifiée en matière de brevets (JUB).
L’accord doit encore être ratifié par les parlements nationaux et entrera en vigueur vraisemblablement début 2014, après ratification par les trois Etats dans lesquels le plus grand nombre de brevets européens ont été délivrés (soit l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni).
À l’heure actuelle, dans l’Union européenne, la protection par le brevet est assurée par deux systèmes dont aucun n’est basé sur un instrument juridique de l’Union : les systèmes nationaux des brevets et le système européen des brevets reposant sur la Convention de Munich (CBE) (1973) qui regroupe 38 pays signataires dont tous les Etats membres de l’UE. Ce dispositif établit une procédure unique de délivrance de brevet européen devant l’office européen des brevets (OEB) mais pas de titre unitaire.
Dès lors, un brevet européen délivré par l’OEB doit être validé dans chacun des États membres où la protection est recherchée, lesquels peuvent exiger une traduction du brevet dans leur langue officielle, d’où un coût et une complexité supplémentaires. La réforme permettra la création d’un système de dépôt simplifié dans l’UE auprès de la JUB et réduira les coûts. À l’instar de l’OEB, l’anglais, le français et l’allemand seront les langues de travail.
Pour lever les objections formulées par la CJUE dans son avis 1/09 rendu le 8 mars 2011, l’accord sera limité aux Etats membres de l’UE, inclura des dispositions concernant la primauté du droit de l’UE (notamment le respect des droits fondamentaux) et préservera la saisine de la CJUE à titre préjudiciel par les juridictions nationales, « juges de droit commun » de l’Union. Cette organisation juridictionnelle devrait donc être compatible avec les traités et mieux garantir la fonction sociétale de la justice dans l’espace judiciaire européen (voir sur ce site le billet de S. Poillot-Peruzzetto, La fonction économique, sociétale et politique de l’espace judiciaire européen, mai 2012).
Le compromis politique trouvé dans l’accord est le fruit de longues négociations, entamées depuis trente ans. Le choix final d’une coopération renforcée entre 25 Etats proposée par la Commission (COM (2010) 790), accepté par le Conseil le 10 mars 2011 (décision 2011/ 167), a permis de passer outre les difficultés récurrentes, essentiellement linguistiques. La Commission a proposé le 13 avril 2011 deux règlements relatifs au brevet unitaire proprement dit (COM (2011) 215) et à sa traduction (COM (2011) 216), fondés sur l’article 118 du TFUE.
Mais si la procédure de coopération renforcée a permis à 25 Etats membres de parvenir enfin à un accord, elle exclut l’Espagne et l’Italie qui ont refusé de coopérer, encore et toujours pour des raisons linguistiques, engendrant une Europe à géométrie variable. L’Italie a même déposé un recours devant la CJUE contre la Commission (10 juin 2011, aff. C-295/11) pour demander l’annulation de la décision du Conseil. Elle soutient notamment que la coopération renforcée violerait l’article 326 TFUE, en ce qu’elle affecterait le marché intérieur, en introduisant un obstacle aux échanges entre États membres et une discrimination entre entreprises, ainsi qu’en provoquant des distorsions de la concurrence. Mais la Commission a précisé (COM(2010) 790) que le brevet unitaire serait accessible à tous les utilisateurs du système de brevet de l’Union, quels que soient leur nationalité et leur lieu de résidence ou d’établissement. Par conséquent, les inventeurs et les sociétés innovantes des États membres non participants auront les mêmes possibilités d’accès au brevet unitaire que ceux des États membres participants. La fonction économique de la justice dans l’espace européen est ici garantie.
Au final, bien que la coopération renforcée puisse a priori remettre en cause le bon fonctionnement du marché intérieur, justifiant le respect de conditions spécifiques destinées à préserver l’acquis, il semble que tel ne soit pas le cas ici. Le recours exercé contre cette procédure cache mal en réalité le problème linguistique déjà rencontré lors de la signature du Protocole de Londres (2000) à la Convention de Munich, concernant la simplification du régime linguistique des brevets qui ne reconnaît que trois langues officielles (l’anglais, le français et l’allemand). Le Protocole n’est entré en vigueur qu’en 2008 et n’a été adopté que par treize pays, en raison du refus des pays non signataires de renoncer à une partie des exigences de traduction dans leur langue officielle, au stade de la validation des brevets. L’Italie et de l’Espagne exigent ainsi la traduction complète du brevet européen et l’Italie recevant un nombre important de brevets, elle revendique que l’italien soit aussi une langue officielle.
Les difficultés rencontrées aujourd’hui dans l’UE ne sont donc que le prolongement de résistances déjà manifestées à l’OEB. Précisons cependant que l’objectif de simplification et de réduction des coûts va, certes, à l’encontre du respect de la diversité linguistique, mais non pas de l’accès à l’information des inventeurs car la deuxième proposition de règlement prévoit une traduction par ordinateur de la demande de brevet et du brevet délivré dans toutes les langues de l’UE. Le nouveau dispositif devrait donc répondre à l’impératif de justice de l’espace judiciaire européen.