par Henri Labayle, CDRE
L’expression du ministre danois des affaires étrangères fait mouche : dans les eaux troubles de l’Union, la gestion danoise de l’Espace de liberté, sécurité et justice a été plus productive qu’espéré, tant du point de vue des dossiers législatifs en cause qu’en raison d’une ambiance générale lourde de la crise de confiance que traverse l’Union.
Les raisons de douter d’une avancée quelconque en matière JAI étaient pourtant fondées au 1er janvier 2012, lorsque le Danemark prit la présidence de l’Union. Petit Etat membre peu suspect de bousculer les féodalités des grands Etats de l’Union, peuple peu enclin à des rêveries fédérales depuis le référendum de Maastricht, autorités nationales en situation complexe autant que délicate vis à vis de l’ELSJ en raison d’une position d’opt-out, tout inclinait à croire la présidence entamée le 1er janvier incapable d’impulser des progrès en la matière.
L’ambition d’une « Europe au travail » exprimée par les responsables danois au début du semestre laissait donc l’observateur un peu dubitatif. Le programme de travail de la présidence et ses priorités ne masquaient rien d’ailleurs des préférences danoises et de l’accent qu’elle comptait donner à son rôle en matière de Justice et d’affaires intérieures : celui d’une « Europe sûre », choix sans surprise pour qui suit un peu les orientations politiques intérieures des autorités de Copenhague. Pourtant, sans effets de manche particuliers, la présidence danoise est parvenue à engranger des avancées indéniables dans des secteurs sensibles.
Au total, des points d’accords se sont dégagés (1) même si le sérieux d’un conflit majeur, celui de la réforme de Schengen, s’est confirmé au point de menacer peut-être la solidité de compromis passés avec le Parlement, par effet de contagion (2).
1. Les points d’accord
Ils sont d’inégal intérêt et de portée différente car il ne faut pas mésestimer, dans le bilan d’une Présidence, sa capacité à dégager un accord au sein du Conseil lui-même. La présidence en exercice n’y a pas manqué, avec une certaine habileté, sur le nouvel Accord PNR Etats Unis par exemple, la directive «procédures » ou les dossiers Schengen.
Pour le reste, évidemment, l’essentiel se joue entre les deux branches du pouvoir législatif, sous la forme d’un accord politique négocié entre le Conseil et le Parlement européen. On se bornera ici à mettre l’accent sur les dossiers les plus significatifs, même s’il faut noter en parallèle des avancées certaines sur une série de questions en cours. C’est ainsi le cas à propos de la réforme du statut de la Cour de justice de l’Union ou de la proposition de directive visant à établir un nouveau cadre législatif destiné à lutter contre les attaques visant les systèmes d’information et abrogeant la décision-cadre 2005/222 du Conseil (COD) 2010/273).
De même, la publication du Réglement 650/2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen témoigne-t-il de la laborieuse avancée du droit en la matière, le texte final ne comptant pas moins de 83 considérants dans sa motivation…
- La directive établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité
Elle a fait l’objet d’un accord que l’on attendait (2011/0129 (COD). Le texte faisait partie d’un paquet législatif visant à renforcer les droits des victimes dans l’Union européenne et comprenant également une proposition de règlement relatif à la reconnaissance mutuelle des mesures de protection en matière civile ainsi qu’une communication sur le renforcement des droits des victimes dans l’Union. Depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne et les orientations du programme de Stockholm, la protection des victimes de toutes les formes de criminalité figure ainsi en tête des priorités de l’Union.
La directive a pour ambition de garantir à toutes les victimes de la criminalité le bénéfice de normes minimales dans toute l’Union, aménageant à la fois les modalités du droit des victimes à être informées et entendues, d’accéder à des services d’aide. L’un de ses points les plus intéressants potentiellement tient dans l’attention portée à l’identification des personnes vulnérables et aux protections qui en découlent.
- Le « paquet asile »
Il constitue le principal défi normatif de l’Union en matière JAI puisqu’il s’agit ici de réviser de manière cohérente le droit européen de l’asile. On sait les conditions dans lesquelles la « première génération » des textes relatifs à l’asile avaient été élaborée. Négocié à l’unanimité qui prévalait lors de la première période du traité d’Amsterdam, cet ensemble de textes était de qualité médiocre et d’efficacité contestée, la Cour de justice de l’Union peinant à le garantir.
D’où la volonté de s’attaquer à une seconde génération de textes relatifs à l’asile, prenant la forme du régime commun d’asile visé à Lisbonne et relayé à Stockholm par la promesse d’un « espace commun de protection ». La refonte de la directive « qualification » par la Directive 2011/95 du 13 décembre 2011 fut une première étape.
La présidence danoise s’est attaquée courageusement ensuite à deux textes essentiels, la Directive 2011/95 relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile et le Règlement ” Dublin”. L’efficacité de son travail fait aujourd’hui qu’il n’est plus irréaliste d’imaginer que l’ensemble du paquet « asile » voit prochainement le jour, à la fin 2012, ce qui était loin d’être envisagé par les observateurs.
– Dublin III – Le règlement « Dublin » a fait la preuve de son incapacité à faire face aux besoins des demandeurs de protection. Les coups de boutoir assénés par la CEDH et la CJUE dans les affaires MSS et NS (voir les billets de mai 2012) n’ont fait que souligner un constat d’échec patent, illustré en Grèce quotidiennement, dans l’indifférence de ses partenaires de l’Union.
D’où une première ligne de fracture séparant les Etats membres, ceux situés au contact de la pression migratoire et les autres. Les premiers réclamaient à la fois des manifestation de solidarité mais aussi, en cas de crise, la possibilité de suspendre le mécanisme afin d’éviter de subir les renvois effectués par les seconds. A ce désaccord portant sur le fond du mécanisme Dublin lui-même, s’ajoutaient les nécessités à la fois de renforcer les garanties des demandeurs et de tirer les conséquences de la jurisprudence européenne.
Le résultat final n’est sans doute pas à la hauteur de la gravité des problèmes, même si, en l’état, il est vraisemblable que le texte sera formellement adopté sous présidence chypriote. Davantage que le chemin de la révision, c’était vraisemblablement celui de la réforme qui aurait du être emprunté par l’Union. Bon gré mal gré, le Conseil a cependant enregistré les leçons infligées à ses Etats membres par le juge européen, de Strasbourg comme de Luxembourg. Les ministres ont donc accepté un certain nombre d’avancées sous la pression du Parlement. Cela vaut par exemple sur le terrain des personnes vulnérables tels que les mineurs non accompagnés, l’applicabilité de la directive « conditions d’accueil », la clause humanitaire et les garanties procédurales dont le demandeur de protection doit être entouré.
En revanche, il n’y aura pas formellement de clause de suspension des transferts. Loin d’aller jusqu’à revoir en profondeur l’ensemble de Dublin, les Etats membres se sont contentés de l’introduction d’un mécanisme d’alerte rapide, de préparation aux crises et de gestion des crises, insistant lourdement sur le fait qu’un tel mécanisme a pour but la prévention et non pas la gestion de crises nationales de l’asile. L’accent mis sur la solidarité dans les conclusions du Conseil du 8 mars 2012 complète un ensemble dominé par la volonté de disposer d’une « boite à outils » davantage que par celle d’un instrument adapté aux défis rencontrés par l’Union.
– La directive relative aux conditions d’accueil a également fait l’objet de négociations ardues. Une proposition révisée a été présentée par la Commission le 1er juin 2011 visant tout à la fois à assouplir et simplifier le dispositif initialement retenu mais aussi à garantir plus rigoureusement la situation des demandeurs de protection en matière de rétention ou d’aide matérielle.
Le butoir final portait sur ces questions, tant à propos de l’accès au marché du travail (finalement accepté au bout de 9 mois) qu’à celui des motifs de rétention, largement et justement critiqués par les ONG. Le trilogue s’est achevé par un compromis dans lequel la détermination du Conseil à ne plus consentir de concessions au Parlement l’a emportée. Entériné par un échange de lettres entre la Commission Libe et la Présidence, ce compromis sera ensuite adopté officiellement par la plénière du Parlement.
Ainsi, si les Etats ont accepté d’identifier les demandeurs de protection « vulnérables », ils ont maintenu leur refus de leur accorder un traitement administratif particulier. De même et surtout, la confirmation judiciaire automatique d’une décision administrative de mise en détention au bout de 72 heures, telle que proposée par la Commission, a-t-elle été rejetée par les Etats membres, ceux-ci s’engageant simplement à agir « rapidement ».