par Fabrice Riem, CDRE
Les citoyens de l’Union et les membres de leur famille ont le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres, droit de nature constitutionnelle que la directive 2004/38 du 29 avril 2004 a codifié sans grandes difficultés. Les membres de la famille du citoyen de l’Union qui bénéficient de ces droits sont, aux termes de l’article 2 de la directive, prioritairement les conjoints, partenaires enregistrés et leurs ascendants ou descendants directs. Aux termes de l’article 3, §2, de la directive, l’Etat membre d’accueil doit cependant favoriser, « conformément à sa législation nationale, l’entrée et le séjour » de « tout autre membre de la famille, quelle que soit sa nationalité (…) si, dans le pays de provenance, il est à la charge ou fait partie du ménage du citoyen de l’Union bénéficiaire du droit de séjour à titre principal ».
L’une des questions préjudicielles posées à la Cour portait sur le sens à accorder au verbe « favoriser ». En l’espèce, M. Rahman, ressortissant bangladais, avait épousé une irlandaise travaillant au Royaume-Uni. Les époux invoquaient l’article 3 §2, de la directive pour faire valoir la situation du frère, du demi-frère et du cousin à charge du ressortissant bangladais.
De toute évidence, l’affaire revêtait une importance cruciale s’inscrivant « dans le prolongement de la jurisprudence de la Cour, encore en construction, qui contribue à l’édification du statut de citoyen de l’Union », pour reprendre les conclusions de l’Avocat général Bot (pt 46).
Dans ses conclusions, l’Avocat général commençait ainsi par rejeter deux interprétations jugées « extrémistes » de l’article 3 §2, de la directive (pt 50). La première consisterait à reconnaître un véritable « droit subjectif » d’entrée et de séjour au profit de ces « autres membres de la famille » ; la seconde reviendrait à interpréter le texte comme « une simple invitation » faîte aux Etats membres de faciliter le séjour de ces personnes, invitation « dépourvue de valeur juridique contraignante » (pts 48 et 49).
Selon l’Avocat général, la marge d’appréciation conférée aux États membres comporterait une double limite (pt 68) : celle qui conduirait à priver le citoyen de l’Union de la « jouissance effective » de ses droits et celle qui ne respecterait pas le droit à la vie privée et familiale, consacré par l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. C’est ainsi que les dispositions de la directive devraient être interprétées comme « créant à la charge (des Etats) une véritable obligation d’adopter des mesures nécessaires pour faciliter l’entrée et le séjour des personnes relevant » de leur champ d’application (pt 58).
La CJUE est plus timorée pour ne pas dire frileuse. Soulignant la différence rédactionnelle entre les articles 2 §2, et 3 §2, de la directive, elle affirme que la directive 2004/38 « n’oblige pas les Etats membres à accueillir toute demande d’entrée ou de séjour introduite par des personnes qui démontrent qu’elles sont des membres de la famille à charge d’un citoyen de l’Union » (pt 18 de l’arrêt).
La position de la Cour paraît conforme à la lettre des dispositions précitées. Mais l’on peut regretter ses propos évasifs sur une question d’une telle importance pratique et théorique : l’article 3 §2, de la directive devrait être interprété comme comportant seulement « l’obligation d’octroyer un certain avantage (sic), par rapport aux demandes d’entrée et de séjour d’autres ressortissants d’Etats tiers, aux demandes introduites par des personnes qui présentent un lien de dépendance particulière vis-à-vis d’un citoyen de l’Union (pt 21, nous soulignons). Ni l’étendue de cette faveur particulière dont devraient bénéficier ces membres de la famille, ni la nature exacte de ce « lien de dépendance particulière » qui pourrait justifier un droit de séjour ne sont réellement explicités. La Cour se contente de renvoyer à la « large marge d’interprétation » des Etats membres quant aux facteurs à prendre en compte. Dans ces conditions, il est difficile de considérer que la Cour ait répondu de manière satisfaisante à la question préjudicielle, celle-ci ayant précisément pour objet d’éclairer ce que le terme « favorise » employé par la directive signifie.
Sur la question, finalement plus simple, de savoir ce qu’est un membre de la famille « à charge », la Cour se veut plus précise : « la situation de dépendance doit exister dans le pays de provenance du membre de la famille concerné ». En d’autres termes, le membre de la famille n’a pas besoin d’avoir séjourné dans le même Etat que celui du citoyen de l’Union avant de s’installer dans l’Etat membre d’accueil », puisque l’objectif de la directive est de « maintenir l’unité de la famille au sens large du terme » (pt 32). Rien de très nouveau en réalité.
Comme dans toute famille, les « pièces rapportées » ont un long chemin à parcourir avant d’être acceptés dans la famille européenne. Ce qui n’est pas nécessairement choquant…