par Nathalie Rubio, CERIC
Véritables avant-postes de l’Union européenne dans la région Caraïbes, dans l’Océan indien et dans l’Océan Atlantique, les régions ultrapériphériques (RUP) constituent des frontières extérieures extrêmes et illustrent les difficultés liées à une fragmentation toujours plus poussée de l’Espace de liberté, de sécurité et de justice (voir la synthèse des travaux de Lyon de juin 2012 du GDR, « Fragmentation de l’Espace de liberté, de sécurité et de justice, question de géographie et de géométrie »).
En effet, les huit RUP françaises, portugaises et espagnoles (Guadeloupe, Guyane, Martinique, Réunion, Saint-Martin, les Açores, Madère, les îles Canaries – Saint Barthélémy n’est plus une RUP depuis le 1.01.2012) situées à des milliers de kilomètres du continent européen font partie intégrante de l’Union européenne, contrairement aux pays et territoires d’outre-mer qui ne sont qu’associés en vertu de la partie IV du Traité sur le fonctionnement de l’UE.
Conformément à l’article 349 du TFUE, tout le droit européen est par conséquent applicable aux RUP, sous réserve de mesures d’adaptation adoptées par le Conseil dans des domaines soigneusement, mais non limitativement, énumérés : politiques douanières et commerciales, la politique fiscale, l’agriculture, la pêche…Aucune allusion n’est faîte à la libre circulation des personnes. On aurait pu croire alors que les dispositions relatives à l’Espace de liberté, de sécurité et de justice y étaient applicables de plein droit. Il n’en est pas ainsi, cette ultime fragmentation révélant toute l’incohérence de la démarche dans ce domaine sensible.
– incohérence d’abord avec l’uniformité du régime juridique qui tend à lier les RUP entre elles : en effet, l’article 138 de la Convention d’application de l’Accord de Schengen indique que ses dispositions ne s’appliquent qu’au territoire européen de la République française. Inapplicable aux RUP françaises, la convention l’est pour les RUP espagnoles et portugaises. Le Protocole 19 annexé au Traité de Lisbonne, sur « l’acquis de Schengen intégré dans le cadre de l’Union européenne », n’opère aucune extension territoriale et laisse donc les collectivités d’outre-mer françaises exclues.
– incohérence ensuite avec la démarche résolument volontariste adoptée par les autorités européennes, et notamment la Commission à travers ses stratégies visant à présenter les RUP comme de véritables atouts afin d’optimiser leur chance de développement économique et social. Un des leitmotivs est d’encourager l’insertion de ces collectivités dans leur environnement régional, or la libre circulation des personnes entre RUP et pays voisins pose problème puisque le régime applicable en matière de visas par exemple est défini dans ce cas par la France et non par des accords européens, ce qui aboutit paradoxalement à faciliter l’entrée de ressortissants de pays tiers sur le territoire continental par rapport à leur entrée sur le territoire des RUP voisines.
La question de la prise en compte des particularités des RUP dans les politiques migratoires reste en suspens. Evoquée en 2007 (Stratégie pour les régions ultrapériphériques : bilan et perspectives, COM (2007) 507) par la Commission qui souhaitait que soient proposées des mesures dans ce domaine pour ces régions, la question est complètement éludée dans sa communication du 20 juin 2012 (Vers un partenariat pour une croissance intelligente, durable et inclusive, COM (2012) 287) dont les propositions concernant la « dimension extérieure » sont finalement très décevantes.
Cela dit, il faudra bien remédier à cette lacune et la position évidente des RUP comme frontières avancées de l’UE devra faire l’objet d’un traitement spécifique à l’aune des défis démographiques mis en lumière par une étude commandée par la Commission et publiée en juillet 2012 (Les tendances démographiques et migratoires dans les RUP : quel impact pour la cohésion économique, sociale et territoriale, C.-V. Marie et J.-L. Rallu, INED) et de la perspective de rupéisation de Mayotte en 2014 (Décision n°2012/419/UE du Conseil européen du 11 juillet 2012).
Espérons donc que cette actualité enclenche une réflexion approfondie des limites de la fragmentation de l’Espace de liberté, de sécurité et de justice appliquées aux frontières ultramarines de l’Union.