par Emilie Darjo, CDRE
Le 5 février 2013, la Commission a dévoilé une proposition de directive relative à la protection pénale de l’Euro et des autres monnaies contre la contrefaçon (COM (2013) 42), ce phénomène de contrefaçon devenant une préoccupation majeure dans l’ensemble de l’Union européenne. Cette directive procèderait à la fois à l’amélioration et à la “lisbonnisation” de l’ancienne décision-cadre 2000/383/JAI du 29 mai 2000 (Decision-cadre 2000/383/JAI visant à renforcer par des sanctions pénales et autres la protection contre le faux monnayage en vue de la mise en circulation de l’euro).
La Commission européenne le rappelle, l’euro est la deuxième monnaie la plus importante au monde. La zone euro comprend dix-sept Etats membres et cette monnaie commune est utilisée par plus de 300 millions d’européens. La valeur des billets en euros circulant à travers le monde est estimée à plus de 900 milliards d’euros au 1er janvier 2013. Face à l’importance de l’euro sur les scènes européenne et mondiale, il n’était pas étonnant que cette monnaie soit devenue la cible des groupes criminels spécialisés dans la contrefaçon et le faux monnayage. On estime ainsi aujourd’hui que le préjudice s’élève à au moins 500 millions d’euros depuis le lancement de l’euro en 2002.
Les méthodes de contrefaçon sont de plus en plus perfectionnées et les risques de se trouver en possession d’une pièce ou d’un billet contrefait grandissent en conséquence. Les institutions européennes considèrent donc logiquement qu’il est désormais fondamental de s’attaquer à ce problème, dans le but de protéger les citoyens mais aussi les entreprises et établissements financiers, par exemple contre les pertes liées au non remboursement lorsqu’ils percoivent une somme d’argent et qu’il s’avère que la monnaie utilisée est contrefaite.
Malgré les instruments juridiques à disposition des Etats membres pour répondre à ce phénomène, les trafiquants ne sont pas dissuadés pour autant. La question se pose donc de savoir si la protection contre la contrefaçon est aujourd’hui efficace dans l’Union européenne, et, faute de réponse positive, les améliorations à lui apporter.
Les limites de la législation actuelle
La Commission situe une part importante des problèmes rencontrés au niveau des sanctions applicables dans les Etats membres de l’Union européenne en matière de faux monnayage.
Concernant la production de monnaie contrefaite, les législations relatives aux peines maximales applicables ont été harmonisées en 2000, mais cela n’a pas été le cas concernant les sanctions minimales applicables au faux monnayage. A ce titre, la décision-cadre 2000/383/JAI du 29 mai 2000 prévoyait que les infractions de fabrication ou d’altération de monnaie devaient être passibles de peines privatives de liberté dont le maximum ne peut être inférieur à huit ans).
Constatant cette absence d’harmonisation des sanctions minimales, la Commission souligne ainsi le fait que certains Etats ne prévoient que des amendes, là où d’autres vont prévoir une sanction minimale de dix ans d’emprisonnement tandis que certains Etats ne prévoyant même aucune sanction minimale …
Cet écart entre les législations des Etats membres est la source principale du problème. En effet, le risque est grand de voir se développer un phénomène de forum shopping, les trafiquants choississant les Etats avec la législation pénale la plus « douce » en la matière pour s’adonner à la contrefaçon, ce que la Commission va nommer la « chasse à la législation la plus favorable ».
Des études portant sur la période 2002-2011 ont ainsi clairement montré que deux fois plus d’ateliers clandestins étaient démantelés dans les Etats membres qui ne prévoient pas de sanctions minimales dans leur législation, ces Etats semblant donc attirer plus les trafiquants que ceux dont les législations prévoient des sanctions minimales. Le cas de la France est un des plus significatifs dans la mesure où concernant la production de fausse monnaie le Code pénal (articles 442 et suivants) ne prévoit pas de sanctions minimales, mais prévoit par contre une sanction maximale pouvant aller jusqu’à 30 ans d’emprisonnement, peine la plus élevée parmis les Etats membres de l’Union européenne. Cette peine maximale ne dissuade pourtant pas les trafiquants, qui sont toujours attirés par la France. Le problème paraît donc vraiment se situer au niveau du seuil minimum des peines.
Un trop grande différence entre les législations nationales aura inévitablement un impact négatif sur la protection pénale de l’euro contre la contrefaçon, et nuira par conséquent à la bonne coopération entre Etats membres dans ce domaine. Là est le cœur du problème, et c’est donc sur ce point qu’il est urgent d’apporter des solutions.
La Commission met donc en avant la nécessité de protéger de façon « cohérente » ce « bien commun » qu’est la monnaie unique. A travers ce souci de cohérence, revient l’idée d’une harmonisation pénale commune, la fixation de sanctions minimales applicables aux infractions de faux monnayage apparait donc comme indispensable.
Parce que les rapports sur la mise en œuvre de la décision-cadre 2000/383/JAI, et de la décision-cadre 2001/888/JAI du 6 décembre 2001 venue modifier la précédente, démontraient que les Etats membres lors de la mise en oeuvre de ces textes, avaient adopté des règles divergentes, créant ainsi des niveaux de protection différents entre les Etats, une réaction de l’Union était attendue afin de réduire ces écarts de législations.
A quelques semaines de l’émission d’un nouveau billet de 5€ dans la zone euro, la Commission estime le moment venu pour se pencher sur le renforcement de la protection de la monnaie unique contre le faux monnayage.
La proposition de directive
La compétence de l’Union européenne pour intervenir en cette matière par la voie pénale semble difficile à contester dans son principe, tant elle correspond à l’hypothèse de la “pénalisation du droit communautaire”.
L’article 83 §1 du TFUE fonde ainsi la compétence du Parlement européen et du Conseil pour « établir des règles minimales relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions dans des domaines de criminalité particulièrement grave revêtant une dimension transfrontière résultant du caractère ou des incidences de ces infractions ou d’un besoin particulier de les combattre sur des bases communes », la contrefaçon étant citée deux paragraphes plus loin.
Il n’est pas vraiment besoin du reste de faire la preuve que l’euro, monnaie commune de dix-sept Etats membres, est par définition un « bien véritablement européen » pour reprendre l’expression de la Commission, justifiant que sa protection soit assurée au niveau de l’Union plutôt qu’au niveau des Etats membres.
M. Algirdas Šemeta, commissaire chargé de la fiscalité et de l’Union douanière, de l’audit et de la lutte antifraude, a donc réclamé « une approche plus harmonisée en matière de sanctions et une meilleure coopération transfrontière » pour permettre une répression plus efficace des infractions de contrefaçon de monnaie.
La Commission souhaite privilégier le maintien de la plupart des dispositions de la décision-cadre 2000/383/JAI, tout en modifiant certaines dispositions, en particulier les dispositions relatives aux sanctions. Il convient de mettre en place des sanctions qui seraient dissuasives. Si des peines minimales sont prévues par les législations de tous les Etats membres cela limitera les risques de forum shopping, et donc limitera les cas de circulation des trafiquants vers les Etats qui prévoyaient auparavant les sanctions les plus douces.
La proposition de directive du 5 février 2013 prévoit ainsi que les peines pourront aller de l’amende à la peine d’emprisonnement et précise l’échelle de ces peines. Une distinction pourra être faite en fonction du montant concerné par l’infraction.
Lorsque les infractions concerneront des sommes d’au moins 5000€, les auteurs risqueront une peine d’emprisonnement d’une durée maximale d’au moins huit ans. Si le montant des sommes est inférieur à ce seuil de 5000€, les Etats pourront prévoir une sanction autre qu’une peine d’emprisonnement.
Mais, lorsque les infractions concerneront des montants d’au moins 10000€, ou lorsque les circonstances seront particulièrement graves, une peine minimale de six mois d’emprisonnement ainsi qu’une peine maximale d’au moins huit ans seront prévues pour la production et la distribution de fausse monnaie.
La proposition de directive fait ainsi apparaître cette obligation d’instaurer un seuil minimal, celui-ci sera de six mois d’emprisonnement pour les infractions concernant des billets et des pièces d’une valeur nominale d’au moins 10000€. La Commission souligne par ailleurs que les sanctions devront évidemment être proportionnées à la gravité des faits reprochés.
Les personnes morales ne sont pas oubliées. Lorsque des infractions seront commises pour leur compte elles risqueront également des sanctions, allant de l’exclusion du bénéfice d’un avantage ou d’une aide publics, à la fermeture temporaire ou définitive de l’établissement ayant servi à commettre l’infraction. Elles pourront aussi risquer un placement sous surveillance judiciaire, une mesure judiciaire de dissolution, ou une mesure temporaire ou définitive d’interdiction d’exercer une activité commerciale. Les sanctions peuvent donc être très lourdes.
Parrallèlement aux dispositions sur les sanctions, la proposition de directive insiste sur le fait qu’il convient également de mettre en place des moyens d’enquête plus efficaces. La proposition prévoit que les Etats membres devront prendre les mesures nécessaires afin que des outils d’investigations efficaces soient mis à disposition des personnes ou services chargés des enquêtes et des poursuites.
Des modifications doivent donc être apportées à tous les niveaux de la procédure, du stade de l’enquête au stade de la sanction, dans le but de créer un système efficace de protection de l’euro et des autres monnaies contre la contrefaçon au niveau de l’Union européenne.
Faut-il croire que ces nouveaux aménagements seront suffisants pour dissuader les contrefacteurs ?
La directive prévoit « seulement » des sanctions minimales, des peines d’emprisonnement minimales plus particulièrement. Des disparités subsiteront donc entre les Etats membres, ces derniers restant toujours en partie libres de fixer eux-mêmes la durée des peines. Même si les différences seront clairement réduites si la directive est adoptée, on peut continuer à craindre que les trafiquants continuent de se diriger le plus souvent vers les Etats qui prendront les mesures les moins dures à l’encontre des contrefacteurs.
Seule une harmonisation totale des sanctions pénales en matière de contrefaçon d’euro et autres monnaies pourrait répondre au problème de la « chasse à la législation la plus favorable » mais les implications d’une telle avancée juridique sont telles pour les Etats membres que l’on peut douter de leur volonté à s’aventurer sur un terrain aussi sensible en définitive que celui de la défense de la monnaie commune sur le terrain politique et économique…