par Laura Delgado, CDRE
Le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des migrants des Nations Unies, François Crépeau, a consacré la première année de son mandat à la réalisation d’une étude sur la gestion des frontières extérieures de l’UE et ses incidences sur les droits de l’homme des migrants. Cette étude, menée en consultation avec l’Union Européenne et ses Etats Membres vise à évaluer les avancées réalisées en matière de protection des droits de l’homme des migrants, ainsi que les obstacles et problèmes qui perdurent en la matière. Après avoir consulté les représentants de l’Union Européenne à Bruxelles et effectué des visites sur le terrain dans différents pays situés de part et d’autre des frontières extérieures de l’Union tels que la Grèce, l’Italie, la Turquie et la Tunisie, le rapporteur spécial, conclut qu’en matière de droits des migrants l’Union peut mieux faire.
S’il reconnait que leurs droits sont intégrés dans le cadre de la politique migratoire de l’Union (I), il souligne que des lacunes persistent en pratique (II).
I. Une prise en compte certaine
Le rapporteur spécial reconnaît que l’intégration des programmes et politiques relatives aux migrations dans le cadre institutionnel de l’Union Européenne est une avancée fondamentale pour la prise en compte des migrants. Selon lui, cette intégration est d’autant plus favorable, que, conscient de l’importance des problèmes soulevés par les migrations, l’Union a élargi son approche, prenant désormais en compte les droits fondamentaux de ces derniers.
Le Programme de Stockholm du Conseil Européen a notamment contribué à incorporer les droits de l’homme dans la politique migratoire de l’Union, en mettant en avant l’importance des migrations pour la compétitivité et la vitalité de l’Union sur un plan économique et démographique. Tout comme, l’Approche globale de la question des migrations et de la mobilité (AGMM), le Programme de Stockholm reconnaît qu’une approche plus globale fondée sur les droits fondamentaux doit compléter l’approche répressive précédemment mise en place.
Le rapporteur spécial souligne également les progrès réalisés en matière de respect des droits de l’homme dans le contexte de la gestion des frontières extérieures de l’Union. Il salue les efforts qui ont été déployés suite à l’arrêt du 5 septembre 2012, Parlement c/ Conseil (C-355/10) annulant la décision du Conseil 2010/252/UE visant à compléter le Code frontières Schengen en ce qui concerne la surveillance des frontières extérieures maritimes dans le cadre de la coopération opérationnelle coordonnée par Frontex.
Pour ceux qui en doutaient encore, le Rapporteur spécial finit par reconnaître qu’en tant que « source majeure du droit de l’Union européenne », la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne doit être respectée et constitue « un élément essentiel des politiques de l’Union Européenne en matière de migration ». Les conséquences de cette affirmation sont majeures, tant du point de vue institutionnel que matériel. Du point de vue institutionnel, l’Union devra s’assurer que la Charte est prise en compte lors de l’élaboration de tous les instruments de la politique migratoire. D’un point de vue matériel, cela relance le débat de la portée de la Charte et de ses bénéficiaires.
Nonobstant, le rapporteur spécial déplore de nombreuses lacunes dans la prise en compte effective des droits fondamentaux des migrants en pratique, et plus particulièrement des migrants irréguliers.
II. Des lacunes persistantes en pratique
Malgré une prise en compte certaine des droits fondamentaux dans la politique migratoire de l’Union, le rapporteur spécial souligne certaines lacunes dans la protection effective de ces derniers. Ces lacunes sont de deux ordres : conceptuelles et pratiques.
En ce qui concerne les lacunes conceptuelles, le rapporteur souligne que si, dans la pratique, une approche plus protectrice a été intégrée à la politique migratoire, les migrations restent considérées comme un problème de sécurité. Il souligne que « cette conception est en totale contradiction avec la démarche consistant à définir le migrant comme un individu qui détient les mêmes droits que les autres personnes » (p. 31). il déplore ainsi l’emploi de la terminologie « migrant illégal » dans certains documents législatifs, car il contribue à alimenter le discours négatif sur la migration.
Il souligne que l’association qui est faite entre les migrations et la criminalité a permis de légitimer les pratiques consistant à utiliser la détention comme un outil systématique de gestion des frontières et à externaliser le contrôle de ces frontières. Selon lui, bien que non dénuées de légitimité, l’absence de réelles garanties en matière de droit de l’homme remettent en cause la légitimité, la légalité et la validité de ces mécanismes.
La détention en est un exemple flagrant. Alors même que la directive retour en parle comme d’une solution de « dernier recours », il constate qu’aucune alternative n’a été mise en place dans les pays visités. L’Union européenne incite même les Etats membres à utiliser cette méthode en finançant des centres de rétention à l’intérieur de son territoire et encourage les pays tiers voisins à faire de même. D’après François Crépeau, ce n’est même pas le plus préoccupant. Il déplore que la détention ne s’accompagne pas automatiquement de la protection des garanties juridiques et des droits fondamentaux des détenus. Il souligne ainsi les difficultés rencontrées dans l’accès à des services consulaires ou de traduction, l’absence de procédures de détention appropriées pour les victimes vulnérables ou les conditions de détention précaires des migrants.
Le lien entre migration et criminalité pousse également l’Union a externaliser le contrôle aux frontières, en confiant aux pays d’origine ou de transit la responsabilité de la prévention de l’immigration illégale. En conséquence, l’Union se décharge aussi de sa responsabilité de protéger les droits fondamentaux des migrants tentant d’entrer dans le territoire de l’Union.
D’après le rapporteur spécial, l’accent est encore une fois de plus mis sur « la capacité des pays de mettre fin à l’immigration clandestine sur leur territoire plutôt qu’à l’obligation de veiller à ce que les droits des migrants soient convenablement protégés dans le cadre d’un contrôle légitime des migrations » (p. 59). Ceci est d’autant plus vrai que les accords de réadmission, visant à assurer le retour des migrants irréguliers vers leur pays d’origine ou de transit sont souvent axés sur la lutte contre l’immigration illégale et non sur la protection des droits fondamentaux de ces derniers.
En ce qui concerne les lacunes pratiques, le rapporteur observe qu’il existe un « fossé entre le politique et le pratique » (p. 36). Bien que l’Union essaye de développer une approche plus respectueuse des droits fondamentaux, le rapporteur « n’a pas constaté que les mesures adoptées sur le terrain reflétaient cette approche » (p. 36). Au contraire, selon lui l’accent est toujours mis sur le contrôle et la surveillance des frontières extérieures, sur l’identification, le développement et le financement de mesures axées sur les aspects de sécurité de la migration irrégulière, sur l’amélioration des contrôles aux frontières, sur l’incrimination de la migration par des actes législatif etc.…
L’absence d’un mécanisme indépendant de surveillance pouvant assurer le plein respect du droit international des droits de l’homme par tous les programmes et institutions dans le domaine de la migration est préoccupant selon lui, Il reconnaît que la Cour de Justice joue un rôle particulier dans l’évaluation des programmes, mais déplore que ce contrôle ne soit pas systématique et souligne un problème récurrent : la difficulté pour les migrants d’accéder à de tels recours. Il appelle donc la Commission à être vigilante dans le suivi de la mise en œuvre des normes par les Etats membres.
Invité au Parlement Européen le 30 mai 2013, dans le cadre d’un débat public visant à diffuser les résultats de son étude, François Crépeau réitère ses inquiétudes. Soulignant que « le migrant en situation irrégulière n’est pas un criminel », il en conclut que la question des droits fondamentaux devrait primer sur le débat sécuritaire, dans une Europe qui « possède un énorme bagage et une vaste jurisprudence en matière de protection des droits fondamentaux ». Il préconise notamment, à l’instar de son rapport, que la gestion des frontières soit axée sur la protection des droits fondamentaux des migrants, la mise en place d’alternatives à la détention, une prise en compte des facteurs d’attraction, une ouverture à la migration légale pour certains emplois, un meilleur encadrement des migrants aux frontières etc. Condamnant les politiques migratoires fondées sur la dissuasion, François Crépeau demande à l’Union Européenne de se mettre en conformité avec ses obligations en matière de droits fondamentaux. Reste maintenant à savoir, ce que l’Union lui répondra.