par Francisco Sanchez Rodriguez, CDRE
6 février 2014, Plage de Tarajal, Ceuta : trois cents migrants d’origine subsaharienne ont tenté de rejoindre l’enclave autonome espagnole de Ceuta. Le bilan humain est effroyable, la réaction des autorités très virulente : les uns réclament la démission du Ministre de l’Intérieur espagnol, d’autres l’engagement de la responsabilité internationale de l’Etat dans cette gestion catastrophique des frontières ayant engendré la mort et le refoulement de plusieurs exilés sous le regard complice du Maroc.
Le rapport de février 2014 de Human Rights Watch (HRW) n’est qu’une mise par écrit d’une pratique récurrente aux portes Sud de l’Union Européenne, les évènements du 6 février 2014 la plus triste illustration. L’Union Européenne quant à elle, ne peut plus occulter ou même minorer ces violations et devra selon HRW, revenir sur sa politique du retour et sur la légalité des accords de réadmission conclus ou sur le point d’être conclus avec le Royaume du Maroc.
L’expérience marocaine en matière de lutte contre l’immigration illégale est récente : par l’intégration de la loi n°02-03 relative à l’entrée et au séjour des étrangers au Royaume du Maroc, à l’émigration et l’immigration irrégulières, le Maroc a su répondre aux attentes de son premier voisin européen espagnol et punit toute personne qui quitte clandestinement les frontières marocaines à une amende et ou à une peine de prison. Qualifiée d’exemplaire par F. Martinez, Secrétaire d’Etat à la sécurité, la coopération du Maroc avec les services centraux du Ministère de l’intérieur espagnol est permanente. L’intensification « des relations de coopération rapprochée et de partenariat avec les pays de voisinage euro-méditerranéen » telle qu’elle figure dans le préambule de la Constitution marocaine, est efficace d’un point de vue quantitatif puisque ce partenariat constructif a permis une baisse effective des candidats à l’immigration irrégulière sur les côtes espagnoles.
Dans le cadre de l’Union Européenne, le partenariat de mobilité entre le Maroc et l’Union européenne démontre une volonté des institutions d’aboutir à un renforcement de la coopération sur les deux continents. Malgré quelques réticences perçues par les autorités marocaines, la poursuite des négociations dans le domaine de la réadmission semble fondamentale, et intrinsèquement liée à cette projection extérieure de l’ELSJ : les impératifs sécuritaires liés aux mécanismes de protection des droits de l’homme doivent fonder le partenariat euro-marocain dans cette nouvelle gestion des frontières, par la mise en œuvre d’une politique efficace et cohérente visant à prévenir l’immigration irrégulière.
L’expérience marocaine
Le rapport « Abusés et expulsés, mauvais traitement des migrants d’Afrique subsaharienne au Maroc » de HRW est clair sur les faits survenus au Maroc : les expulsions forcées des demandeurs d’asile sont toujours actives. Les expulsions collectives ou individuelles de personnes vulnérables telles que les femmes enceintes, ou enfants sont organisées dans la plus grande impunité, et parfois dans la plus grande violence.
Ces atteintes ont fait l’objet de vives critiques de la part de la société civile marocaine alors que la Constitution et le droit des étrangers marocains interdisent toute minorisation ou dépréciation des droits de l’homme. Preuve en est des recommandations adressées au Maroc par HRW à l’égard des agents des forces de l’ordre et des différents ministères, sur la nécessité de traiter les migrants dans le respect de la légalité. Cette violence institutionnelle dénoncée par Médecins Sans Frontières, rejetée par les autorités marocaines, démontre que la progression du respect des droits humains est très relative et se fait attendre. Mais qu’en est-il de l’Espagne ? Par son silence cautionne-t-elle, assume-t-elle ces tragédies et cette politique accrue du refoulement ?
Les conditions de gestion de l’immigration par les autorités espagnoles font débats : les violences policières aux frontières des deux enclaves autonomes au Maroc sont dénoncées par l’opposition actuelle, par les ONG, et même par la Commission Européenne. L’Etat espagnol procède à des expulsions forcées hors cadre légal, notamment d’enfants mineurs.
Malgré un rappel à l’ordre par HRW, il est vrai que certains Etats membres de l’Union ont constaté certaines déficiences dans le traitement des migrants dans la péninsule notamment des demandeurs d’asile et de certaines personnes vulnérables. A titre d’exemple, le Conseil du Contentieux des Etrangers belge a suspendu en extrême urgence deux transferts Dublin vers l’Espagne en faisant application des jurisprudences K c/ Bundesasylamt et M.S.S C/ Belgique et Grèce les 10 et 17 février 2014, « mettant en évidence les préoccupations exprimées en 2013 par le Rapporteur Spécial des Nations Unies » à l’encontre de l’Etat espagnol.
L’Espagne ne serait-il plus un Etat sûr ? Le rapport du HRW ne s’est pas penché sur la question mais il n’en demeure pas moins que les autorités madrilènes doivent mettre fin au retour forcé des ressortissants d’Etats tiers et apatrides vers le Maroc, tant que le traitement respectueux de ces derniers n’est pas assuré. L’Espagne a la responsabilité de gérer ses frontières extérieures dans le respect du droit de l’Union : en cas de manquement à cette obligation, la Commission peut en tant que gardienne des Traités interagir.
La réponse des institutions européennes
Les inquiètudes de C. Malström quant aux actes de la Guardia Civil au Maroc, et les recommandations formulées par HRW amorcent une nouvelle ère dans le contrôle et la gestion de l’immigration : sur la question des accords de réadmission conclus avec le Royaume du Maroc, HRW fait état de certains vides juridiques concernant le respect des règles en matière de droits de l’homme dans le retour de l’étranger, notamment dans l’accord de réadmission conclu avec l’Espagne en 1992.
Comment un Etat membre peut-il signer et intégrer dans son ordonnancement juridique interne un accord de réadmission conclu avec une autre puissance sans le minima requis en matière de droits et libertés fondamentales ? La supervision des institutions européennes ne serait-elle pas nécessaire pour évaluer au regard du droit de l’Union les différents accords de réadmission conclus entre le Royaume du Maroc et les Etats membres, dans le respect du principe de subsidiarité ?
L’adéquation du système juridique marocain aux mécanismes de protection des droits humains est inévitable au regard de la pratique pointée par HRW. Sans cette conformité avérée, l’Union et ses Etats membres devraient s’abstenir de signer de nouveaux accords de réadmission sous peine de cautionner la pratique du refoulement et de l’expulsion systématique hors cadre légal des migrants.
Il est donc fondamental que soient reprises les négociations entre l’Union et le Maroc, pour la conclusion d’un accord de réadmission équilibré conciliant efficacité opérationnelle avec respect des droits fondamentaux.
La Commission des Libertés Civiles, Justice et Affaires Intérieures du Parlement Européen devrait être associée à cette supervision et à cette évaluation des accords de réadmission en vigueur, conclus entre le Maroc et les Etats membres. Quant à la Commission et au Parlement européen, leur rôle serait tout aussi important dans l’examen minutieux du contenu des accords de réadmission conclus avec le Royaume du Grand Maghreb.
Cette priorisation donnée au respect des droits de l’homme dans le cadre du retour des étrangers vers le Maroc serait une garantie contre le refoulement de ces derniers. Il semblerait toutefois intéressant pour l’Union et ses Etats membres, d’ouvrir au juge, la possibilité de contrôler ces accords au regard du droit en vigueur : vers un contrôle juridictionnel de la coopération intergouvernementale dans l’Union Européenne ?