Par Jean-Sylvestre Bergé, EDIEC
L’avis avis 2/2013 rendu le 18 déc. 2014 par la Cour de justice quant à la (non) adhésion de l’UE à la Conv. EDH a fait et fera l’objet de nombreux commentaires. L’affaire Avotins c/ Lettonie (CEDH, 25 février 2014, req. 17502/07) a donné lieu à un premier arrêt de chambre de la Cour de Strasbourg qui a été lui aussi largement commenté.
La perspective de la présentation de cette affaire Avotins en grande chambre de la CEDH le 8 avril 2015 est l’occasion de proposer une autre lecture des rapports entre l’UE et la Conv. EDH.
Deux premières lectures
En schématisant, et pour dire les choses brièvement, on peut penser qu’il y a deux manières très différentes de lire l’avis 2/2013 rendu par la CJUE (sur cet avis, voir notamment les commentaires de H. Labayle et G. Bachoué Pedrouzo sur ce blog).
La première lecture consiste à y voir l’expression d’une posture. La Cour de justice fait preuve de défiance à l’égard de l’autre juridiction européenne en refusant toute possibilité pour le système juridique de l’UE de se soumettre à une autre juridiction internationale que la sienne. Elle joue la carte d’un monopole de justiciabilité comme pour mieux défendre son pouvoir, l’autonomie du droit européen et la différenciation de l’ordre juridique de l’UE dans le paysage plus vaste d’un droit européen que l’on croyait pourtant capable d’intégrer les différents « Europe » juridiques.
La seconde lecture consiste à voir dans l’avis de la Cour de justice une volonté de marquer un coup d’arrêt à cette complexité du droit européen qui a fait de l’enchevêtrement des systèmes juridiques son pedigree. Le processus d’intégration, ascendante et descendante, marquant les rapports entre l’ordre juridique l’UE et les ordres juridiques des Etats membres livre son lot grandissant de complexité. La Cour de justice, en émettant un avis défavorable à l’intégration du système juridique de l’UE à celui de la Conv. EDH, n’a pas jugé utile, ni même concevable d’accroître cette complexité.
Une troisième lecture
Une autre lecture peut être proposée de cet avis 2/2013 à travers la discussion qui aura lieu devant la CEDH, réunie en formation de Grande chambre, le 8 avril prochain, à propos de l’affaire Avotins (sur cette affaire, voir notamment le commentaire de M. Barba sur ce blog).
Cet arrêt a été reçu comme la promotion jusqueboutiste d’une jurisprudence Bosphorus par laquelle, on le sait, la CEDH a considéré que le droit de l’UE bénéficiait d’une présomption (simple) de conformité au droit de la Conv. EDH.
Devant la grande chambre la question sera réexaminée.
La réponse qui sera apportée dépendra très certainement de l’examen concret des possibilités de recours offertes au défendeur défaillant contre la décision rendue dans le pays d’origine (Chypre) et qui a été exéquaturée dans le pays requis (Lettonie).
Mais elle aura pour toile de fond, la lecture plus générale des rapports UE – Conv. EDH que la CEDH entendra donner à la suite de l’avis 2/2013 de la CJUE.
De deux choses l’une en effet : soit la Cour de Strasbourg répondra à la défiance de la Cour de Luxembourg par un acte de méfiance à l’égard d’un droit de l’UE incapable de se soumettre à la justiciabilité d’une autre juridiction : c’est alors vers une remise en cause plus ou moins large de la jurisprudence Bosphorus que la solution se dirigera ; soit la Cour de Strasbourg considérera que les deux « Europe » demeurent aptes, chacune à leur manière, de contribuer à l’effort commun de protection des droits fondamentaux et elle entretiendra la dynamique collaborative entre les deux juridictions, espérant ainsi répondre par l’autorité de la raison à la raison d’autorité opposée par la Cour de justice dans son avis 2/2013.
La réponse est à venir… après le 8 avril !