par Henri Labayle, CDRE
Ces fortes paroles du président de la Commission, à l’issue du Conseil européen des 25 et 26 juin, sont un reflet exact de la situation. La déception qu’elles traduisent est à la mesure du geste politique accompli par le chef de l’exécutif. Il convient de lui en rendre justice.
La tiédeur des conclusions adoptées par les chefs d’Etat et de gouvernement est en effet symptomatique d’une Europe se berçant de mots, incapable de respecter les valeurs dont elle se réclame. En bref, en pleine crise d’identité comme de projet. Incapables de s’accorder sur un accueil obligatoire des demandeurs de protection (1), les Etats membres se sont satisfaits du simple principe de cet accueil (2).
1. Le refus de tout mécanisme contraignant
Il ne fallait pas être grand clerc pour deviner les suites réservées à la proposition courageuse de la Commission de donner, enfin, un sens concret à la solidarité entre Etats membres que ces derniers ont prétendu graver dans le marbre des traités. Au point qu’ici même, il y a un mois, on avait conclu à leur enterrement avant l’heure, sinon à une manoeuvre politique.
Il était en effet peu vraisemblable qu’une majorité se dégage en faveur des idées phares contenues dans la proposition faite au Conseil d’instituer des mesures provisoires en matière de protection internationale au profit de l’Italie et de la Grèce (COM (2015) 286). L’ambition était politique sinon numérique : les Etats étaient invités à réinstaller et relocaliser 60.000 demandeurs de protection dans l’Union européenne, de manière obligatoire, en deux ans et sur la base de critères de répartition.
Pour une fois, l’Union n’a pas déçu ceux qui l’observent : elle a été effectivement incapable d’assumer ses responsabilités, comme à l’habitude. La nouveauté, en revanche, provient des lignes de front qui se sont dessinées à cette occasion, allant au delà des surenchères verbales.
a. la lenteur des mesures opérationnelles
Le discours martial des chefs d’Etat et de gouvernement, lors de leur réunion du 23 avril 2015, menaçant de leurs foudres militaires les trafiquants d’êtres humains qui entretiennent la crise migratoire au départ de la Libye, s’est piteusement dégonflé comme un soufflet, au contact de la réalité. Loin de la réponse « immédiate » promise aux victimes.
L’adoption discrète, le 18 mai 2015, d’une décision du Conseil des ministres des Affaires étrangères donnant le feu vert à une opération militaire dénommée EUNAVFOR MED (Décision (PESC) 2015/778) ne suffit pas à masquer l’extrême complexité politique et technique d’une telle intervention. Celle-ci, aux termes même de son article premier, vise à « identifier, capturer et neutraliser les embarcations et les ressources utilisées » ou susceptibles d’être utilisées par les trafiquants. D’où, bien évidemment, une difficulté majeure de mise en œuvre et d’articulation avec les règles du droit international et la souveraineté de l’Etat côtier concerné, ou ce qu’il en reste.
En attendant un hypothétique accord du Conseil de sécurité des Nations Unies, peu convaincu des relations entre le trafic d’immigrants et le terrorisme ou la sécurité en Libye, les dirigeants de l’Union européenne se sont donc résolus à adopter un profil nettement plus bas. Sans beaucoup de publicité accordée à son démarrage, les ministres ont décidé d’« activer » la première séquence de l’opération. Cette dernière concerne les renseignements et l’échange d’informations indispensables au lancement des interventions militaires impliquant l’usage de la force, au besoin en territoire libyen. Elle a surtout pour avantage immédiat de faire l’économie d’une résolution des Nations unies et d’un accord éventuel de certains parlements nationaux, comme en République fédérale.
C’est donc en toute discrétion et sans le feu vert des Nations Unies que le Conseil Affaires étrangères a lancé, sans vote de ses membres, l’opération. Celle-ci a simplement été saluée par un rappel tout aussi discret effectué par les chefs d’Etat et de gouvernement dans leurs conclusions du Conseil, la qualifiant de « contribution importante ». Une demi-douzaine de navires et sous marins, le même nombre d’avions et de drones traduisent concrètement la participation d’une dizaine d’Etats membres, notamment la France, le Royaume Uni, l’Italie, le Luxembourg ou encore la Belgique.
La généreuse proclamation par l’Union de la nécessité impérative de sauver des vies humaines en Méditerranée attendra donc la fin de l’été pour se concrétiser …
En revanche, les suites données à la proposition de la Commission de répartition des demandeurs de protection ont fait long feu, comme on le pressentait, mais dans un contexte, lui, imprévu. Les tensions révélées au grand jour lors de la session du Conseil européen révèlent en effet des lignes de fracture nouvelles autant que profondes.
b. des lignes de fracture ouverte
Dès la proposition faite par la Commission, les oppositions ordinaires s’étaient manifestées ouvertement, révélant cependant une tension inhabituelle liée au dossier. La maladresse de la Commission, rassemblant dans un même chapeau la question de l’immigration ordinaire et celle de la protection due aux victimes de persécution, ne l’a soulagée en rien. Immédiatement l’opinion publique et les politiciens s’en sont emparés dans les termes que l’on sait, transformant ce qui devait fondamentalement n’être qu’un débat sur l’asile et la protection internationale en une polémique ouverte sur de prétendus « quotas » ouverts à l’immigration ordinaire. Cet amalgame condamnait l’initiative quasiment à l’avance …
La première opposition lors de ce type de débat est classique : elle sépare les Etats de la ligne de front, objets immédiats de la pression migratoire, et ceux placés en second rideau, peu enclins à s’accorder avec les premiers. Face aux protestations italiennes et grecques, peu de chancelleries sont enclines à des échanges francs sur la question, du Royaume Uni à la République fédérale ou aux Etats nordiques, dont les chiffres d’accueil font chaque jour la preuve de l’impasse du système de Dublin. Rien n’a évolué sur ce point.
Les palinodies françaises ont été caractéristiques de l’hypocrisie et du double langage qui prévalent en la matière. Outre une communication intra-gouvernementale hasardeuse, les autorités françaises se sont complues dans la posture qu’elle affectionnent, celle d’un verbe abondant autant que moralisateur relatif aux « valeurs » et à l’asile. Celui-ci peine à convaincre que la France prend la part qu’elle prétend à la charge commune et la réalité de l’asile à la française est, malheureusement, beaucoup moins glorieuse. En témoignent les sans abris de Calais qui refusent de demander sa protection à la France pour tenter leur chance outre Manche. Le discours officiel a fait cependant mine de s’assouplir, les autorités françaises faisant savoir dans le même temps leur opposition au terme « quotas » et leur ouverture au dialogue sur le thème. A une réserve de taille, celle de modifier les critères avancés par la Commission, en prenant en compte les « efforts déjà accomplis ». C’est-à-dire en restant sur les mêmes bases qu’avant la crise …
Les faits sont venus confirmer ce décalage. Les tensions franco-italiennes sur leur frontière intérieure commune l’ont illustré, sans que l’on ait la cruauté de rappeler au ministre français de l’Intérieur la parenté de cet évènement avec l’épisode précédent de la crise de l’espace Schengen, lors du printemps arabe et sous la férule des Silvio Berlusconi et de Nicolas Sarkozy aujourd’hui abhorrés …
Niant la réalité d’un spectacle pourtant relaté par toutes les caméras de télévision et les ONG, les autorités françaises ont démenti tout blocage policier de la frontière, préférant mettre l’accent sur les obligations du pays d’accueil et notamment celles de leur réadmission des immigrants en situation irrégulière et de Dublin III, à la grande fureur des autorités italiennes. Depuis, de son côté le 29 juin, le Conseil d’Etat en référé n’a pas interprété les images fournies par les avocats des requérants de la même façon que les gens de bon sens : l’ampleur des contrôles ne serait pas telle que l’on puisse conclure à un rétablissement d’un contrôle aux frontières intérieures …
A ces manifestations malheureusement déjà connues, est venu s’ajouter un second clivage, plus inquiétant peut-être. Il oppose, schématiquement, les Etats membres de l’Est de l’Union aux autres. Eclatant au grand jour lors du Conseil européen par la voix de son président, oublieux de sa fonction et prompt à endosser le discours de son Etat d’origine, ce conflit révèle les non dits de la politique commune d’asile et d’immigration dans l‘Est de l’Union.
On se souvient en effet que l’essentiel de l’ambition de l’Union en la matière s’était exprimé avant 2004. Les Etats membres de l’époque étaient déterminés à mettre la barre aussi haute que possible face aux candidats à l’adhésion et à l’espace Schengen. Souvent privés par l’histoire de toute culture et tradition en matière migratoire, les nouveaux Etats membres n’avaient guère rechigné à adopter une législation leur paraissant passablement abstraite, au regard de leur faible immigration non européenne.
La crise à laquelle l’Union est aujourd’hui confrontée les plonge dans une double réalité, celle de voir leurs propres frontières soumises à une pression considérable, pour la Bulgarie ou la Hongrie par exemple, et celle de devoir faire face au principe de solidarité auquel ils ont souscrit en adoptant l’article 67 §2 TFUE. Ce n’est pas chose évidente, même pour le pays de Solidarnosc qui semble en ignorer le sens : il accueille du bout des lèvres 720 réfugiés en 2014, à rapporter aux 8045 décisions positives belges et aux 30.650 réfugiés acceptés en Suède. La situation des pays baltes (Estonie 20, Lettonie 25, Lituanie 75), de la république tchèque (765) ou de la Slovénie (45) contraste avec celle de la Bulgarie (7020). En tout état de cause, elle éclaire le front du refus qui s’est heurté avec succès à la proposition de la Commission.
D’autant que cette hostilité s’est, une fois encore, traduite dans les comportements inadmissibles de la Hongrie. L’apathie des autorités de l’Union à l’égard de l’attitude de leurs homologues hongrois est en effet de plus en plus difficilement compatible avec la poursuite des objectifs d’une politique commune d’asile et d’immigration conforme aux équilibres fixés par les traités. Désormais, les outrances n’y sont plus seulement verbales mais se traduisent en actes.
On sait, et cela est parfaitement décrit par ailleurs, le choix fait par Victor Orban d’utiliser la question migratoire comme un repoussoir. Campagnes provocatrices, projet de construction d’un mur de séparation avec la Serbie au motif des milliers d’immigrants transitant par cet Etat tiers, questionnaire adressé à l’opinion publique pratiquant largement l’assimilation entre risque terroriste et immigration, sont autant de manifestations inquiétantes que la passivité européenne encourage.
Jamais cependant jusqu’ici, un passage à l’acte de la nature de celui que Victor Orban s’est autorisé le 23 juin ne s’était produit. En toute illégalité et au mépris de leurs engagements communautaires, les autorités hongroises ont en effet annoncé la suspension unilatérale du règlement Dublin au motif de la pression migratoire dont la Hongrie fait l’objet. L’argument, s’il est fondé, est indéfendable. Certes, la route continentale fait l‘objet d’une utilisation croissante, notamment parce qu’elle est plus sûre, et plus de 50.000 migrants l’ont empruntée en 2014, soit une augmentation de 880% selon Frontex. D’où la compréhension manifestée lors du Conseil européen à l’égard de la situation hongroise comme bulgare.
Il reste que, et l’ordre juridique de l’Union est fondé sur ce principe, la primauté de son droit et l’obligation de coopération loyale qui s’impose à lui interdisent à quelque Etat membre que ce soit de prétendre se délier d’une règle de ce droit. Rompant avec toute lecture internationaliste, la logique du droit de l’Union est celle d’une application législative. Ayant souscrit à cette dernière en adhérant et par principe, la Hongrie est ici en rupture de ban, d’où ses précautions oratoires consistant à parler ensuite de « mesures techniques » destinées à rassurer une Commission passablement silencieuse.
La somme de ces désaccords et leur profondeur explique que, seul et du bout des lèvres, le principe d’un accueil ait vu le jour.
2. L’accord de principe sur un accueil
La longueur des travaux du Conseil n’y a rien fait. Le plaidoyer de la Commission pour rendre obligatoire la relocalisation et la réinstallation de 40 et 20.000 demandeurs de protection n’a pas emporté l’adhésion des chefs d’Etat et de gouvernement. De façon contournée, les conclusions du Conseil ont renvoyé à plus tard la concrétisation d’un accord impossible à arracher à cet instant. Si le mot « volontaire » ne figure pas expressément dans les conclusions, il est cependant clairement impliqué par leurs dispositions.
a. un accueil seulement « volontaire »
Faisant état de « décisions adoptées par le Conseil en avril dernier » lors de sa réunion extraordinaire, les chefs d’Etat et de gouvernement font mine, le 25 juin, de considérer que le débat ouvert par la proposition de la Commission de répartition « obligatoire » est déjà clos.
Cette qualification a posteriori peut être discutée, face à une position qui s’avère n’être, en fait, qu’un simple engagement politique. Les « décisions » du 23 avril en question brillent en effet par leur faible caractère normatif. Qu’on en juge en se reportant au point 3 sous o) des conclusions du 23 avril : les membres du Conseil européen « s’engagent ce jour à… renforcer la solidarité et la responsabilité interne », ce qui les amène à « examiner les possibilités d’organiser une répartition une répartition d’urgence entre tous les Etats membres sur une base volontaire ». Donnant mandat à la Présidence et à la Commission pour présenter des propositions, le Conseil européen laissait en réalité les différentes options ouvertes, comme les travaux ultérieurs et notamment les débats en Conseil des ministres le confirment.
Aussi, la position de la Commission avait été plus tranchée dans ses annonces du mois de mai : en raison de l’urgence de la situation et de la pression subie par l’Italie et la Grèce, une simple incitation ne pouvait répondre aux besoins de l’Union. De son point de vue, la relocalisation et la réinstallation des personnes nécessitant une protection devaient s’opérer de manière contraignante. Le caractère obligatoire du mécanisme était donc tout aussi important que sa durée provisoire.
Les débats lors de la réunion des ministres de l’Intérieur, le 16 juin, démontrent au demeurant que la question n’était pas réglée à l’avance, ni dans un sens ni dans l’autre. Ils avaient même laissé planer l’hypothèse d’un accord final, de l’aveu de certains participants et notamment du ministre luxembourgeois dont il n’est pas indifférent d’indiquer qu’il hérite du dossier avec la présidence de L’Union. Cet accord était envisageable sous conditions, certes, soit de revoir les critères de répartition soit de faire un sort particulier à certaines zones géographiques fortement sous tensions, comme dans les Balkans.
Présenter les choses comme étant déjà bouclées n’est donc pas exactement conforme à la réalité comme en témoignent la dureté et la longueur des débats. Il faut y voir, à en croire certains, la main des services d’une Présidence du Conseil européen, radicalement hostile à la proposition de relocalisation « obligatoire ». Les jours précédant la réunion du 25 juin auraient ainsi été l’objet d’un lobbying appuyé en direction des capitales nationales, mettant en avant que la question était d’ores et déjà tranchée.
Cette ligne l’emporte au terme du Conseil européen. Ses conclusions ne contiennent aucune référence à une obligation quelconque, bien au contraire. Leur point 4 indique implicitement le contraire : « compte tenu … de l’engagement que nous avons pris de renforcer la solidarité et la responsabilité, et conformément à la décision qu’il a adoptée en avril sous tous ses aspects, y compris son point 3, le Conseil européen est convenu des mesures suivantes, qui sont liées entre elles, pour venir en aide à 60 000 personnes »… Sachant que le point 3 en question mentionnait une répartition entre Etats membres sur une « base volontaire », un simple habillage diplomatique peut s’offrir le luxe de prétendre que « tous les Etats membres participeront » …
Pire, le Conseil européen n’hésite pas à réécrire le traité, dans l’esprit d’un compromis de Luxembourg pourtant dépassé aujourd’hui. Il convient notamment de « l’adoption rapide par le Conseil d’une décision » procédant à cette répartition, indiquant que « à cette fin, l’ensemble des Etats membres décideront par consensus, d’ici la fin juillet, de la répartition de ces personnes en tenant compte de la situation particulière de chaque Etat membre ». C’est là une lecture très particulière de l’article 78 §3 TFUE, base légale de la proposition : celui-ci relève du champ de la procédure d’adoption à la majorité qualifiée …
Le divorce est donc consommé avec la Commission et son président qui affirmait quelques jours auparavant devant le Parlement européen : « la solidarité doit être obligatoire car lorsque cela est volontaire cela ne fonctionne pas ». Sa déception ouvertement manifestée à l’issue du Conseil européen recoupe ici celle des observateurs extérieurs, passablement surpris qu’un engagement aussi minime au regard d’un enjeu aussi grave puisse être l’objet d’un tel affrontement.
Appuyée par un certain nombre d’Etats, dont notamment l’Italie qui avait menacé ses partenaires d’un « plan B » consistant vraisemblablement à laisser librement circuler dans l’Union les étrangers dont elle a la responsabilité, la Commission devra donc, dès le 9 juillet, persuader les Etats membres de proposer la hauteur de l’engagement national chiffré de chacun. Son espoir, menacé, est de parvenir à conserver l’ambition de 40.000 accueils. Ces engagements devraient vraisemblablement figurer en annexe de la décision du Conseil de l’UE à venir. Elle devrait, à cette occasion, ménager une place particulière, allégée, à la Bulgarie et la Hongrie dont le Conseil européen a admis qu’elles fassent l’objet d’un traitement spécifique, compte tenu des pressions migratoires auxquelles ces deux pays sont confrontés.
En réalité, d’autres préoccupations motivaient les Etats membres, celles liées à une rigueur plus grande dans les contrôles comme dans les retours.
b. un accord largement encadré
Abondamment mis en relief par Donald Tusk dans sa relation du Conseil européen devant la presse, le durcissement du discours européen sur l’asile et l’immigration est manifeste. Davantage que le sort des personnes réclamant protection, celui des déboutés du droit d’asile préoccupe la majorité des dirigeants de l’Union, donnant ainsi une tonalité curieuse à un Conseil censé délivrer l’espoir aux premiers.
Le souci des Etats membres a largement porté sur l’importance des mesures de retour et de réadmission des migrants illégaux, ainsi que sur l’identification et l’enregistrement des migrants arrivant dans l’UE, comme l’avait lourdement rappelé le commissaire en charge. Le tout bien sûr au nom d’un objectif généreux, cyniquement rappelé par les Etats membres à l’instant où la mort est présente en Méditerranée : il s’agit de « dissuader des personnes de risquer leur vie » (point 5 des conclusions)…
C’est donc à ce titre que les discours habituels ont été soigneusement repris par les chefs d’Etat et de gouvernement, qu’il s’agisse de la mobilisation accrue des agences que sont Frontex et le Bureau européen d’asile ou de la nécessaire application de la directive « retour », avec néanmoins deux accents particuliers.
Le premier renoue avec les discours britanniques du Conseil européen de Séville, liant aide au développement et coopération des Etats tiers dans la lutte contre l’immigration irrégulière. Au nom d’une recette miracle, présentée comme un principe (?), « donner plus pour recevoir plus », l’Union liera son assistance et ses politiques « pour inciter à la mise en œuvre des accords de réadmission existants et à la conclusion de nouveaux accords de ce type », y compris à propos du contrôle aux frontières, de l’asile et de la lutte contre le trafic de migrants.
Le second concerne les dispositions relatives à la notion de « pays d’origine sûrs » au sens de l’article 36 de la directive 2013/32 « Procédures » qui va entrer en vigueur au mois de juillet. L’Agenda européen propose en effet un « renforcement des dispositions relatives aux pays d’origine sûrs afin de contribuer au traitement rapide » des ressortissants en provenant, Kosovo et Serbie étant vraisemblablement dans la ligne de mire. Le Conseil européen s’y rallie.
Après avoir figuré dans l’article 29 de la directive 2005/85 et fait l’objet d’un contentieux devant la Cour de justice (C-133/06), l’idée d’une « liste commune de pays d’origine sûrs » avait purement et simplement été supprimée de la nouvelle directive puisqu’aucune base juridique n’y figure. Elle semble donc revenir à l’ordre du jour, en sus des listes nationales établies par nombre d’Etats membres. De plus, le Conseil européen signale que, dès le mois de juillet, la Commission présentera les mesures à prendre afin de faire appel à l’EASO pour coordonner la mise en œuvre des dispositions relatives aux pays d’origine sûrs contenues par la directive 2013/32.
Au total, force est donc de partager la déception du président de la Commission, en soulignant que, des deux hypothèses émises précédemment, celle d’un « coup » politique ou celle de la volonté de faire bouger les lignes, la seconde l’emporte incontestablement. A l’évidence, ce sont les Etats membres et donc, par force, l’Union qui ne sont pas à la hauteur du défi.
Les Etats membres, d’abord, pêchent par leur aveuglement devant la réalité qui les entoure. A cet égard, il est dommageable qu’ait abouti le raisonnement à courte vue du quarteron des Etats menés par le Président du Conseil européen, au prétexte qu’ils refusent de voir alourdir leur charge, comme l’Espagne ou le Portugal, ou qu’ils n’ont « aucune expérience » en la matière (voir Agence Europe n°11344), comme les nouveaux Etats membres. Est-ce à croire que les fonds européens dont ils ont pu bénéficier en accompagnement du processus de leur adhésion ont été inutiles ? A l’opposé, le silence conservé par les dirigeants français comme allemands témoigne de l’ambiguïté du positionnement d’un couple qui aurait sans doute été en situation de faire basculer la décision mais s’est refusé à le faire, pour des raisons qui lui appartiennent.
L’Union, ensuite, ne sort pas grandie de cet épisode, encore une fois au vu du caractère dramatique des enjeux. Le positionnement du président du Conseil, préférant le mot « responsabilité » à ceux de « partage » et de « solidarité » contenus dans l’article 80 TFUE, étonne. Elle crédibilise d’autant moins la fonction que, naïvement, le premier ministre de son Etat d’origine déclarait à la sortie : « nous avons obtenu tout ce que nous voulions obtenir », selon Agence Europe …
La relation avec un président de la Commission touché mais non abattu devrait donc être intéressante à suivre, surtout lorsque l’on a à l’esprit que c’est une présidence … luxembourgeoise qui a désormais la charge du dossier. La réunion informelle du Conseil JAI méritera donc l’attention pour s’assurer du sens des responsabilités des uns et des autres ou de la volonté de torpiller définitivement le projet. Le Parlement européen, mis à part quelques banalités, ne s’est pas manifesté par une combativité particulière lors du Conseil européen ou à son issue. C’est donc avec intérêt que la prochaine réunion de la Commission Libé, le 9 juillet, sera suivie, pour inflexion ou confirmation.
Tout se déroule donc comme si le drame de la migration dans le sud de l’Europe et la misère humaine des dizaines de milliers d’étrangers fuyant la mort et la persécution n’avait pas ému plus que cela les dirigeants de l’Union, attachés à leurs jeux de rôle, à renvoyer en annexe l’essentiel, à discuter des critères comme des chiffres, à oublier ce qui se joue devant leurs yeux et à l’instant où ces lignes sont écrites. Est-ce vraiment surprenant ?