Un oxymore … Cette alliance de deux termes que leur sens devrait en principe opposer pour traduire ce qui est stupéfiant, inconcevable parfois absurde, semble bien décrire la situation créée par l’ordonnance n° 2016-1636 du 1er décembre 2016 relative à la décision d’enquête européenne en matière pénale. L’ordonnance, prise selon la procédure de l’article 38 de la Constitution française, vient transposer dans le Code de procédure pénale français, aux articles 694-15 et suivants, la directive 2014/41/UE du 3 avril 2014 relative à la Décision d’enquête européenne. Or, ce texte national représente autant une attente remplie d’espérances qu’une surprise décevante pour le droit pénal de l’Union européenne.Oui, la transposition dans l’ordre juridique français du nouvel instrument de reconnaissance mutuelle des décisions de justice pénales applicable au stade pré-sententiel était attendue. Et ce d’autant plus que la date limite de transposition de cette directive, la première portant un outil de coopération judiciaire pénale depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, approche. Cependant, le texte français de transposition est tout à fait surprenant, particulièrement dans sa forme. La procédure de l’ordonnance du Gouvernement, reposant sur une délégation du pouvoir d’adopter la Loi par le Parlement, est ici utilisée pour la mise en conformité du droit français à une norme européenne de droit pénal.
Mais qu’en est-il de la qualité des règles de droit pénal européen, de la cohérence de ce droit dont le respect des principes directeurs méritent encore une grande vigilance juridique, ou encore de la mise en œuvre efficace des outils de coopération pénale par les autorités judiciaires nationales… ? Le travail rigoureux et sensible de l’intégration du droit pénal de l’Union dans les mailles de la procédure pénale interne peut difficilement faire l’économie d’un vote d’une loi pénale impliquant activement et à titre principal le Parlement national. Disons-le, il y avait un enthousiasme légitime de voir se dessiner en 2016, par la transposition de cette directive européenne symbolique, les éléments d’une systématisation du droit pénal de l’Union. A la place, c’est une procédure de retranscription de la norme pénale européenne et des questionnements nouveaux qui naissent de cette absence de loi pénale parlementaire de transposition.
Pour prendre une meilleure mesure de cette « surprise attendue », il convient de revenir tant sur les raisons de l’attente de la transposition de la Décision d’enquête européenne dans l’ordre répressif français que sur les motifs de la surprise suscitée par l’ordonnance du Gouvernement du 1er décembre 2016.
1. Attente d’une transposition de la Directive du 3 avril 2014 dans l’ordre juridique répressif français
Un instrument de coopération judiciaire pénale remarquable.
La Directive 2014/41/UE du 3 avril 2014 concernant la décision d’enquête européenne en matière pénale a été adoptée selon la procédure législative ordinaire après plus de quatre années de négociations. Cette norme de droit pénal dérivé européen était remarquable à divers égards.
D’abord, la directive est le premier instrument de reconnaissance mutuelle des décisions pénales – de coopération judiciaire pénale – à être juridiquement fondé sur l’article 82§1 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Les nouvelles dispositions du Traité de Lisbonne régissant les compétences de l’Union en matière pénale sont effectivement mises en œuvre : du recours à la directive, à la procédure législative ordinaire, à la compétence générale de la Cour de justice de l’Union européenne.
Ensuite, l’instrument de la décision d’enquête européenne est le résultat, non pas d’une proposition de la Commission européenne, mais d’une initiative de plusieurs Etats membres déposée le 21 mai 2010 (Initiative du Royaume de Belgique, de la République de Bulgarie, de la République d’Estonie, du Royaume d’Espagne, de la République d’Autriche, de la République de Slovénie et du Royaume de Suède en vue d’une directive du Parlement européen et du Conseil concernant la décision d’enquête européenne en matière pénale, 21 mai 2010, COD 2010/0817). Aussi, la force de cet instrument de coopération judiciaire pénale est de découler des besoins pratiques de la répression des situations infractionnelles avec élément d’extranéité. Ce qui explique, sans doute, que malgré la sensibilité du domaine de l’obtention et de l’admissibilité des preuves en matière pénale, le texte finalement adopté soit de qualité.
Premièrement, la directive 2014/841 contient des dispositions inédites améliorant le mécanisme même de reconnaissance mutuelle des décisions pénales. On relèvera, principalement, le considérant 11 du texte du 3 avril 2014 qui introduit le contrôle de proportionnalité de la mesure répressive par les autorités judiciaires au stade tant de l’émission que de l’exécution de la décision. Le principe de proportionnalité, dont l’absence dans les instruments précédents de reconnaissance mutuelle, notamment le mandat d’arrêt européen, se révèle dans la jurisprudence nationale et européenne être si problématique… Encore, la directive est le premier instrument de reconnaissance mutuelle à poser, à l’article 11 §1 f), la protection des droits fondamentaux comme un motif de refus de reconnaissance et exécution de la décision pénale étrangère.
En second lieu, la directive améliore les termes de la coopération entre autorités judiciaires nationales en offrant un véritable outil de répression pour l’obtention des éléments de preuves – étant ou non déjà en possession de l’autorité d’exécution – situés sur le territoire d’un autre Etat membre. La décision d’enquête européenne est applicable à toutes mesures d’enquête sur la base du principe de reconnaissance mutuelle (à l’exception du cas particulier de la constitution d’une équipe commune d’enquête). Tant de raisons qui justifient l’attente impatiente des dispositions de procédure interne permettant la transposition effective du nouvel outil de coopération. Une impatience renforcée ces derniers mois par l’approche de la date limite de transposition posée par le texte européen.
Une date limite de transposition imminente.
En vertu de l’article 36 de la directive du 3 avril 2014 « les Etats membres doivent prendre les dispositions nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 22 mai 2017 ». A compter de cette date, la directive abroge entre tous les Etats membres, y compris le Royaume-uni mais à l’exception de la République d’Irlande et du Danemark, les instruments européens existants en matière de gel d’éléments de preuve (Décision-cadre 2003/577/JAI) et d’obtention de preuves (Décision-cadre 2008/978/JAI). Elle remplace également les dispositions correspondantes de la convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale du Conseil de l’Europe du 20 avril 1959, la convention relative à l’entraide judiciaire pénale entre les Etats membres de l’Union de 2000, et la convention d’application des accords de Schengen. Les conséquences matérielles de l’application de la directive du 3 avril 2014 pour les autorités judiciaires nationales confrontées à des affaires pénales transfrontières sont donc importantes. Le respect de la date butoir est nécessaire pour mettre de l’ordre dans les relations entre les instruments juridiques de coopération judiciaire dans un cadre pré-sententiel, gage d’efficacité d’une répression intra-européenne.
Au-delà, le respect de cette date s’impose si l’Etat membre veut éviter que l’Union engage à son encontre la procédure en manquement. La Commission européenne, mais surtout la Cour de justice de l’Union européenne, ont depuis l’expiration de la période de transition du Traité de Lisbonne le pouvoir de sanctionner tout défaut de transposition des directives européennes de droit pénal dans l’ordre juridique national. Un changement institutionnel qui produit ses effets sur l’action législative nationale française. Cela s’est particulièrement ressenti au moment de la transposition dans le Code de procédure pénale des directives dites « garanties procédurales », relative au droit à l’interprétation et à la traduction, au droit à l’information, et au droit à l’assistance de l’avocat.
D’une part, dans les travaux préparatoires, principalement ceux de la loi n° 2014-535 du 27 mai 2014 intégrant la directive droit à l’information dans le Code de procédure pénale, une conscience européenne s’exprime. La loi nationale est votée par le Parlement sur la base de références directes aux principes européens de droit pénal ainsi qu’à la finalité de la construction de l’Espace de liberté de sécurité et de justice. D’autre part, se relève la ponctualité du législateur français dans son oeuvre de transposition, allant jusqu’à transposer par anticipation une partie de la directive C – droit à l’avocat – dans la loi du 27 mai 2014. Le travail rigoureux de transposition ainsi effectué, en rupture avec les mauvaises habitudes en matière de décisions-cadre, contribue à la nécessaire cohérence au droit pénal européen. La transposition de la directive du 3 avril 2014 relative à la décision d’enquête européenne en matière pénale par l’ordonnance du Gouvernement du 1er décembre 2016 est alors surprenante.
2. Surprise de la transposition par l’ordonnance 2016-1636 du 1er décembre 2016
Une procédure inattendue de transposition de la norme européenne de coopération judiciaire pénale.
La surprise de découvrir dans le Journal officiel du 2 décembre 2016 l’ordonnance du 1er décembre 2016 relative à la décision d’enquête européenne en matière pénale n’en fût peut-être pas une pour tous ceux qui, parmi les importantes dispositions introduites dans notre procédure pénale par la loi du 3 juin 2016, avaient su voir l’article 118 (Loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale).
Cet article 118, isolé dans un chapitre V de la loi intitulé « Habilitation à prendre par ordonnances des mesures relevant du domaine de la loi », pose le champ de cette habilitation du Gouvernement à agir à la place du Parlement national. Après un premier paragraphe listant des domaines devenus classiques de la procédure de l’ordonnance habilitant le Gouvernement à agir sur le fondement de l’article 38 de la constitution (application de la législation à l’outre-mer, modernisation de dispositions techniques du Code monétaire et financier, transposition de textes européens relevant précédemment du droit communautaire ici en matière de prévention de financement du terrorisme), un paragraphe 2 vise uniquement, et bien séparément, la directive 2014/41 du 3 avril 2014. « Le Gouvernement est également autorisé, dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, à adopter par ordonnances les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour transposer la directive 2014/41/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 concernant la décision d’enquête européenne en matière pénale ». Ce même article prévoyait que le Gouvernement avait six mois à compter de juin 2016 pour prendre l’ordonnance de transposition. Il a maintenant quatre mois pour déposer devant le Parlement un projet de loi de ratification de l’ordonnance publiée le 2 décembre introduisant la section « Des décisions d’enquête européenne prévues par la directive du 3 avril 2014 » dans le chapitre II du titre X du livre IV du Code de procédure pénale.
S’il est vrai que cette procédure de l’article 38 de la Constitution s’est progressivement développée pour la transposition des directives européennes (communautaires), on ne peut que s’étonner que le droit pénal ne soit pas resté en dehors du champ matériel de cette habilitation à légiférer donnée au Gouvernement.
Le mécanisme législatif à double niveau impliqué par la directive européenne n’est-il pas présenté comme un moyen de préserver le rôle des parlements nationaux dans l’élaboration d’un droit pénal européen conforme au principe de la légalité criminelle ? Encore, la sensibilité des réformes du modèle procédural répressif national impliquées par la mise en conformité au droit pénal de l’Union n’exige-t-elle pas le travail préparatoire des commissions parlementaires ?
Bien entendu, il reste encore la possibilité pour le Parlement de refuser de ratifier l’ordonnance du Gouvernement du 1er décembre 2016. Sauf qu’à y regarder de plus près, les motifs d’un tel refus sont difficiles à trouver dès lors que, d’une part, le contenu des normes européennes portant les outils de coopération judiciaire pénale est d’une grande technicité, que, d’autre part, il y avait urgence à transposer la directive du 3 avril 2014 (technicité et urgence apparaissant comme les principaux critères pour une habilitation législative donnée au Gouvernement sur le fondement de l’article 38 de la Constitution) et, enfin mais surtout, que l’ordonnance du Gouvernement est bien fidèle aux dispositions de la directive considérée.
Une fidélité inédite du texte français de transposition en matière pénale.
La lecture de l’ordonnance du 1er décembre 2016 permet de conclure à une transposition tout à fait conforme aux dispositions de la directive européenne du 3 avril 2014. Le futur article 694-17 du Code de procédure pénale illustre bien cette conformité en reprenant la logique du mécanisme de reconnaissance mutuelle qui est au fondement de l’instrument de coopération judiciaire : « les Etats membres reconnaissent sans aucune formalité une décision d’enquête européenne et ils l’exécutent de la même manière et selon les mêmes modalités que si la demande émanait d’une autorité judiciaire nationale, sauf si est applicable un motif valable prévu par la présente section de non-reconnaissance, de non-exécution ou de report de la décision, et sous réserve de l’application des formalités expressément demandées par l’autorité d’émission non contraires aux principes fondamentaux du droit de l’Etat d’exécution ». Le reste des dispositions introduites en droit interne, y compris l’article 694-31 portant les motifs de refus d’exécution, est également très fidèle au droit dérivé européen.
Une grande fidélité qui mérite d’être soulignée car elle est inédite dans le cadre de la transposition des instruments de coopération judiciaire pénale depuis le mandat d’arrêt européen.
En soi, cela est une bonne chose pour l’application uniforme du droit pénal de l’Union dans l’Espace pénal européen. Mais apparaît ici en filigrane la question, posée par un législateur national, de la pertinence de l’usage de la directive par rapport au règlement européen en matière pénale ? Il ne faut pas oublier qu’outre sa raison d’être politique, le choix porté sur la Directive pour l’élaboration du droit pénal de l’Union européenne a une explication technique : l’adaptation systématique par le législateur national des rouages des systèmes pénaux nationaux aux mécanismes procéduraux européens. Cette adaptation nécessaire n’aura pas lieu pour la mise en œuvre de la décision d’enquête européenne, sauf à considérer que la retranscription de l’instrument européen de reconnaissance mutuelle dans le Code de procédure pénale français par le Gouvernement est suffisante à une application effective et au respect des principes les plus fondamentaux du droit pénal européen.