Faisant suite à des conclusions de l’avocat général Yves Bot publiées le 17 mai 2017, la Cour vient de prononcer un arrêt très intéressant concernant le règlement (UE) n° 650/2012 relatif aux successions internationales (CJUE (2ème ch.), 12 oct. 2017, Kubicka, C-218/16). Dans cette affaire, qui est la première portée devant la Cour – d’autres étant déjà enrôlées –, l’enjeu résidait dans la délimitation du domaine de la loi successorale et de la loi réelle.
La Cour étant interrogée sur l’interprétation à donner aux exceptions prévues à l’article 1er, paragraphe 2, sous k) et l) de ce règlement, qui excluent de son champ d’application « la nature des droits réels » et « toute inscription dans un registre de droits immobiliers ou mobiliers, y compris les exigences légales applicables à une telle inscription, ainsi que les effets de l’inscription ou de l’absence d’inscription de ces droits dans un registre ».
Les faits sont relativement simples. Une ressortissante polonaise est propriétaire pour moitié d’un immeuble situé en Allemagne. Elle a souhaité anticiper le règlement de sa succession et a contacté un notaire polonais afin d’établir un testament soumis à sa loi nationale, ainsi que le prévoit le règlement (art. 22 du règl.). La loi polonaise lui permet alors d’instituer un legs « par revendication » au profit de son mari. Le notaire a refusé de dresser l’acte testamentaire au motif que, devant tenir compte du droit allemand en tant que lieu de situation de l’immeuble, il est obligé de constater qu’en droit allemand, selon l’article 2174 BGB, seul le legs « par condamnation » est autorisé. Ce refus de dresser l’acte est porté devant le juge polonais qui est donc appelé à examiner dans quelle mesure les effets résultant de la loi successorale peuvent être limités par la loi de situation du bien. D’où la question en interprétation du règlement posée à la CJUE.
Pour l’avocat général Bot, au terme d’une analyse fouillée, la question à résoudre peut se résumer comme suit : « si, en vertu de la loi successorale, choisie par le testateur, un héritier est devenu propriétaire d’un immeuble, et que le titre doit être inscrit dans un registre foncier d’un autre État membre, celui-ci peut-il lui opposer la loi de situation du bien, qui prévoit des conditions de fond différentes, pour procéder à cet enregistrement constitutif de droit ? » (pt. 52 des conclusions). Et pour répondre, celui-ci préconise le recours à une méthode bien connue des internationalistes : l’adaptation (sur laquelle, cf. not. M.-L. Niboyet, G. de Geouffre de la Pradelle, Droit international privé, 6° éd., LGDJ, 2017, spéc. n° 336s.).
Constatant que le règlement la prévoit expressément (art. 31 du règl.) et que certains Etats membres – comme les Pays-Bas – ont inscrit dans les textes nationaux d’application du règlement cette logique d’adaptation, il peut conclure qu’elle s’impose ici et doit conduire à considérer que, dans la situation présente, le règlement doit être interprété en ce sens qu’il n’autorise pas le refus de reconnaissance des effets réels du legs « par revendication », prévu par la loi successorale, lorsque ce legs porte sur le droit de propriété d’un immeuble situé dans un État membre dont la loi ne connaît pas l’institution du legs avec effet réel direct.
La Cour de justice va aboutir à un résultat identique : « l’article 1er, paragraphe 2, sous k) et l), ainsi que l’article 31 du règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 4 juillet 2012, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent au refus de la reconnaissance, par une autorité d’un État membre, des effets réels du legs « par revendication », connu par le droit applicable à la succession, pour lequel un testateur a opté conformément à l’article 22, paragraphe 1, de ce règlement, dès lors que ce refus repose sur le motif que ce legs porte sur le droit de propriété d’un immeuble situé dans cet État membre, dont la législation ne connaît pas l’institution du legs avec effet réel direct à la date d’ouverture de la succession. »
Mais le raisonnement suivi est quelque peu différent. Plus exactement, par un travail de qualification subtile (très subtile ?) entre nature du droit réel et transfert du droit réel d’une part et d’exégèse des articles 1er, 23 et 31 du règlement d’autre part, elle est amenée à conclure que « l’article 31 du règlement n° 650/2012 porte non pas sur les modalités de transfert des droits réels, modalités dont relèvent notamment les legs « par revendication » ou « par condamnation », mais uniquement sur le respect du contenu des droits réels, déterminé par la loi applicable à la succession (lex causae), et leur réception dans l’ordre juridique de l’État membre dans lequel ils sont invoqués (lex rei sitae). » Dit autrement, l’adaptation prévue à l’article 31 ne saurait être à l’œuvre et, très simplement, l’article 1er, paragraphe 2, sous k), du règlement n° 650/2012 s’oppose au refus de la reconnaissance dans un Etat membre, dont le système juridique ne connaît pas l’institution du legs « par revendication », des effets réels produits par un tel legs à la date de l’ouverture de la succession en application de la loi successorale qui a été choisie par le testateur.
La solution doit être approuvée (même si elle emporte des difficultés pratiques probables) mais davantage pour des raisons tenant aux enjeux de l’estate planning qui irrigue l’esprit du règlement que pour celles avancées – au prix d’une téléologie qui laisse sceptique – par la Cour de justice.
Lorsque cette dernière vient en ultime analyse souligner que donner effet dans un Etat membre à une institution inconnue de lui traduit in concreto « la finalité poursuivie par le règlement n° 650/2012 (…) en vertu de laquelle celui-ci tend à faciliter le bon fonctionnement du marché intérieur en supprimant les entraves à la libre circulation des personnes qui veulent faire valoir leurs droits issus d’une succession transfrontalière », on se pince ! Pourquoi encore et toujours essayer de rattacher « au bon fonctionnement du marché intérieur » des instruments de droit international privé qui procèdent davantage d’une logique de répartition que d’intégration. Et ce, d’autant plus que les dispositions qui précisément leur servent de base juridique ont découplé – depuis les dernières réécritures du TFUE – coopération judiciaire civile et commerciale et marché intérieur ? Cet argument formaliste – en réalité donc dépassé au regard du droit originaire même si tel n’est pas le cas au regard du droit dérivé (cf. le considérant 7 du règlement « successions ») – itérativement martelé n’apporte rien et préjudicie même à la cause qu’il entend servir.
Pourquoi ne pas davantage s’appuyer sur l’idée fondamentale esquissée in fine par la Cour selon laquelle « dans l’espace européen de justice, les citoyens doivent être en mesure d’organiser à l’avance leur succession » ? Même si la formule, reprise d’un des considérants du règlement « successions », est maladroite puisqu’elle laisse entendre que le règlement ne s’adresse qu’aux citoyens – sous-entendu, européens –, ce qui ignore superbement l’universalité du texte, elle est à même de faire percevoir que cet espace européen de justice est aujourd’hui construit autour d’une valeur forte qui se décline techniquement : l’autonomie de la volonté (sur sa place en matière de droit des personnes, A. PANET ; H. FULCHIRON, P. WAUTELET (dir.), L’autonomie de la volonté dans les relations familiales internationales, Bruylant, 2017).
Une autonomie de la volonté qui ne répond nullement – nous semble-t-il (cf. en ce sens notre contribution à l’ouvrage précédemment cité : Différence(s) entre autonomie de la volonté en matière contractuelle et en matière familiale, p. 61s.) – à une quelconque exigence tirée du commerce intra-européen à l’instar de l’autonomie de la volonté en matière de contrats internationaux tirée des nécessités du commerce international, mais se présente en réalité comme le seul rattachement susceptible de ne pas freiner la mobilité des personnes au sein de l’Union, mobilité que ne saurait exclusivement incarner la libre circulation des opérateurs économiques dans le Marché intérieur !