Que dans cet arrêt Sahyouni (CJUE, première chambre, 20 décembre 2017, affaire C372/16), la Cour de justice se prononce sur la reconnaissance, en Allemagne, du divorce de ressortissants syriens, constaté en Syrie par un tribunal religieux appliquant les règles de la charia, pourrait légitimement étonner mais la difficulté a pu ici être surmontée.
Cela aurait pu conduire la Cour à traiter d’une importante et délicate question : celle du sort, dans l’Union et en vertu du droit de l’Union, d’un divorce résultant de la volonté unilatérale de l’époux, selon une loi discriminatoire, au détriment de l’épouse. Décevant, voire critiquable, à cet égard, l’arrêt présente néanmoins un intérêt indiscutable tant sur le plan des compétences de la Cour de justice que sur les questions d’interprétation du règlement 1259/2010 (dit Rome 3) qu’elle soulève.
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Que la Cour de justice se prononce sur la reconnaissance, en Allemagne, du divorce de ressortissants syriens, constaté en Syrie par un tribunal religieux appliquant les règles de la charia, pourrait légitimement étonner. La compétence de la Cour sur cette question n’avait rien d’évident, comme l’a montré l’ordonnance qui a précédé l’arrêt Sahyouni (ordonnance du 12 mai 2016, C-281/15, EU:C:2016:343), mais la difficulté a pu, cette fois, être surmontée. Cela aurait pu conduire la Cour à traiter d’une importante et délicate question : celle du sort, dans l’Union et en vertu du droit de l’Union, d’un divorce résultant de la volonté unilatérale de l’époux, selon une loi discriminatoire, au détriment de l’épouse. La décision n’y répond pas, au terme d’une interprétation restrictive de la notion de divorce qui lui permet de considérer que la situation se tient hors des limites du règlement 1259/2010 (dit Rome 3) relatif à la loi applicable au divorce. Décevant, voire critiquable, à cet égard, l’arrêt présente néanmoins un intérêt indiscutable tant sur le plan des compétences de la Cour de justice que sur les questions d’interprétation des dispositions du règlement qu’elle soulève (sans toutes les résoudre).
I – L’extension de la compétence
Si on laisse de côté le regroupement familial qui, depuis 1968 (et le règlement 1612/68 du 15 octobre 1968 relatif à la libre circulation des travailleurs), fait une place à la famille dans le domaine de la libre circulation (le terrain est désormais bien balisé à travers la directive 2003/86 consacrée précisément au regroupement familial pour les ressortissants d’Etats tiers et la directive 2004/48 relative au citoyen européen et aux membres de sa famille), la famille est entrée dans le champ du droit de l’Union par la voie de la coopération judiciaire en matière civile : le règlement 1259/2010 relatif à la loi applicable au divorce et à la séparation de corps a fait suite au règlement 1347/2000 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale des enfants communs (désormais remplacé par le règlement 2201/2003 dit Bruxelles 2 bis). Certes, le droit de la famille n’est pas passé par la grande porte (celle de l’harmonisation) mais par celle, en apparence plus étroite, de la coordination du champ d’application des lois nationales, dans les situations internationales. L’expérience montre toutefois, et l’affaire Sahyouni le confirme, que cette voie plus discrète, sans remettre en cause, pour l’essentiel, les compétences substantielles des Etats, n’exclut pas, loin s’en faut, un certain degré d’harmonisation. Dans l’arrêt Sahyouni, le droit de l’Union se trouve notamment amené à définir le divorce, au sens du règlement Rome 3. Surtout, dans la mesure où le règlement distingue, à côté de la réserve d’ordre public international (article 12), le cas de la compétence d’une loi étrangère discriminatoire (article 10), il impose une solution commune aux Etats membres, qui exclut l’applicabilité des lois discriminatoires, fussent-elles désignées par la règle de conflit. Or, si la non-discrimination est une règle imprécise qui peut donner lieu à des interprétations variables, le développement du droit de l’Union, dans ce domaine, a considérablement réduit les marges de manœuvres nationales. On y reviendra.
La difficulté particulière, en ce qui concerne la compétence du droit de l’Union, et donc de la Cour, dans l’affaire Sahyouni, est liée au fait que celle-ci concerne la reconnaissance d’un divorce religieux obtenu en Syrie et non la question de la loi applicable au divorce, régie par le règlement Rome 3. Le divorce, décidé unilatéralement par l’époux a en effet été constaté, sur son initiative, devant un tribunal religieux syrien. Il n’était donc a priori pas question de savoir quelle loi s’appliquait, en Allemagne, au divorce contesté par l’épouse. De prime abord, l’application du règlement Rome 3 paraissait exclue puisque le litige concernait la reconnaissance d’une décision de divorce, c’est-à-dire une question de conflit de juridictions qui relèverait plutôt du règlement Bruxelles 2 bis. Celui-ci était toutefois hors jeu puisque la décision avait été rendue dans un État tiers et émanait, en outre, d’une instance religieuse. Dans l’ordonnance ayant précédé l’arrêt Sahyouni, la Cour avait déjà constaté l’inapplicabilité du règlement Bruxelles 2 bis. Par la même décision, elle avait également constaté l’inapplicabilité, plus évidente encore, du règlement Rome 3.
Toutefois, la Cour avait indiqué à la juridiction nationale qu’il lui était possible de démontrer que l’interprétation des règles européennes était pertinente conformément à une jurisprudence bien établie : dans les cas où, même si les faits ne relèvent pas directement du droit de l’Union, les dispositions du droit interne « ont été rendues applicables par la législation nationale, laquelle s’est conformée, pour les solutions apportées à des situations dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre, à celles retenues par le droit de l’Union », la Cour estime que son interprétation est effectivement nécessaire pour éviter des incohérences néfastes. Cette solution, née de l’arrêt Dzodzi (C-297/88 et C-197/89, ECLI:EU:C:1990:360), fut encore rappelée dans un arrêt du 15 novembre 2016, Ullens de Schooten (C-268/15, EU:C:2016:874). En l’occurrence, le droit allemand prévoit l’application du règlement Rome 3 à la reconnaissance en Allemagne des divorces privés prononcés dans un État tiers. La validité des divorces privés requiert, selon ce droit, le respect de la loi désignée par la règle de conflit de lois et cette règle est désormais exclusivement énoncée par le règlement Rome 3 : la règle de conflit de lois allemande en matière de divorce formulée à l’article 17§1 de l’EGBGB a été supprimée par la loi adaptant le droit international privé au règlement Rome 3 (loi du 23 janvier 2013).
La pertinence de la question de l’applicabilité du règlement Rome 3, et corrélativement la recevabilité de la question préjudicielle (point 33 de l’arrêt), résultait donc d’un double facteur : d’abord, la reconnaissance des décisions de divorce privés relève en droit allemand de la méthode de la règle de conflit de lois et n’obéit pas aux règles de reconnaissance des jugements ou à tout autre avatar de la méthode de la reconnaissance ; ensuite la règle de conflit de lois allemande, en matière de divorce, est, du moins formellement, énoncée par le seul règlement Rome 3. Dans ces conditions, la Cour a pu estimer qu’il lui revenait, dans cette affaire, de répondre aux questions portant sur l’interprétation du règlement Rome 3. En lisant la réponse apportée aux questions préjudicielles, on ne peut s’empêcher de penser qu’il s’agit d’une recevabilité pour rien, ou presque. Les questions restées en suspens n’en sont pas moins dignes d’intérêt.
II- L’éviction de la question du divorce discriminatoire
La pertinence de la question ne préjuge pas de la portée de la réponse. Conquérante sur le terrain de sa compétence, la Cour de justice l’est moins lorsqu’il s’agit de décider du fond. En réponse aux questions préjudicielles qui lui sont posées, elle choisit, en effet, d’écarter les divorces privés du champ d’application du règlement Rome 3 et, du même coup, de contourner la principale difficulté soulevée par l’affaire : celle de la reconnaissance, dans un pays de l’Union, d’un divorce constaté selon des règles discriminatoires.
Trois raisons sont avancées au soutien de l’exclusion des divorces privés du domaine du règlement Rome 3. D’abord, bien que le règlement, qui ne fournit aucune définition du divorce, n’exclue pas explicitement les divorces privés de son champ d’application, la Cour estime qu’en se référant à plusieurs reprises à l’intervention d’une « juridiction », à l’existence d’une « procédure » et aux « actions judiciaires », celui-ci « vise implicitement les seuls divorces prononcés soit par une juridiction étatique soit par une autorité publique ou sous son contrôle » (point 39). Ensuite, une interprétation cohérente des règlements Rome 3 et Bruxelles 2 bis s’impose, selon la Cour (comme le précise le considérant 10 du règlement 1259/2010). Or le règlement Bruxelles 2 bis qui, dans son article 2, vise les décisions de divorce rendues par une juridiction d’un État membre, exclurait les divorces privés de son champ d’application. L’exigence de cohérence commanderait donc de définir à l’identique le champs d’application des deux textes (point 42). Enfin, lors de l’adoption du règlement Rome 3, dans les différents États membres participant à la procédure coopération renforcée, les décisions de divorce supposaient nécessairement l’intervention d’un organe à caractère public et la question des divorces privés n’avait donc jamais été évoquée au cours des négociations du texte. La Cour en déduit, et l’idée lui avait été soufflée par la Commission, que le législateur européen n’aurait pas pu avoir l’intention de déterminer la loi applicable aux divorces, tel que celui de l’espèce, qui reposent sur « une déclaration de volonté privée unilatérale » prononcée devant un tribunal religieux (point 45). S’il devait en être autrement, il faudrait une nouvelle intervention du législateur européen (point 47).
Ce raisonnement appelle plusieurs observations qui mériteraient d’être développées mais que nous nous bornerons à énoncer de façon synthétique. En premier lieu, il fait preuve, dans l’appréhension de la cohérence, d’un certain absolutisme, qui ne nous paraît pas justifié. En alignant le champ d’application du règlement Rome 3 sur celui du règlement Bruxelles 2 bis, il tend à considérer que le conflit de lois est inextricablement lié au conflit de juridictions. Or il existe bien des cas où la question du conflit de lois doit être résolue en l’absence de toute saisine d’une juridiction. Le divorce privé n’en est qu’un exemple. La lettre du règlement Rome 3 aurait pu être utilisée pour retenir une interprétation différente : sobrement, le règlement prévoit de s’appliquer « dans les situations impliquant un conflit de lois, au divorce et à la séparation de corps ». Rien ne justifie une interprétation restrictive.
L’approche de la Cour repose, en outre, sur une conception étroite de la notion de juridiction alors qu’on admet généralement qu’elle doit s’entendre souplement. En l’espèce, le divorce privé était un divorce obtenu sur déclaration unilatérale d’un des époux mais qui avait nécessité l’intervention, même si ce n’est sans doute qu’à des fins d’enregistrement, d’un tribunal religieux syrien. Cet enregistrement de la volonté des époux par une autorité n’est pas sans rappeler les procédures de divorce en vigueur dans certains Etats membres.
Enfin, on peut juger contestable l’interprétation « originaliste » des textes, qui s’en tient à l’intention des auteurs. S’il est vraisemblable que, lors de l’adoption du règlement Rome 3, la question des divorces privés n’a pas été envisagée, cela ne signifie pas pour autant que les règles qu’il comporte sont inadaptées. Le règlement a pour objectif de lutter contre le law shopping. Cet objectif justifierait plutôt une conception extensive de son champ d’application, qui aurait pu se fonder sur la classique méthode d’interprétation téléologique, à l’égard de laquelle la Cour de justice ne manifeste, le plus souvent, aucune réticence. En laissant la question des divorces privés hors du champ du règlement, et cela concerne bien évidemment la nouvelle forme française de divorce sans juge, la Cour porte un coup à l’harmonisation de la règle de conflit de lois en matière de divorce et laisse aux législateurs nationaux le soin de régler la question comme ils l’entendent. Elle le reconnaît sans ambages au point 33 de l’arrêt. L’exemple du législateur français, qui a superbement ignoré les aspects de droit international privé du divorce sans juge, aurait pourtant pu l’inciter à la prudence.
La cohérence de l’espace de liberté, sécurité, justice nous semble appeler une autre solution que celle retenue par l’arrêt Sahyouni. En effet, les personnes qui se trouvent dans l’Union européenne doivent pouvoir circuler d’un Etat à l’autre sans que les éléments de leur état civil soient contestés. Cela vaut pour les citoyens européens (et, en l’espèce, si les époux Sahyouni étaient syriens, ils étaient aussi allemands) mais aussi, dans une moindre mesure, pour les ressortissants d’Etat tiers. Des normes minimales encadrant la reconnaissance du statut personnel sont utiles pour que l’Union s’apparente à un espace de liberté, de sécurité et de justice, ce qui implique non seulement que le passage des frontières ne soit pas conçu comme une option juridique, un moyen de choisir son droit, mais aussi que des solutions considérées comme justes par l’ensemble des Etats membres prévalent. A cet égard, le règlement Rome 3, qui condamne les législations prohibitives ou discriminatoires joue un rôle essentiel. Cela explique que ce soit précisément sur la question de la discrimination que le juge allemand ait sollicité les lumières de la Cour de justice. En jugeant le règlement Rome 3 inapplicable, celle-ci s’est refusée à éclairer une question qui porte sur la dimension substantielle de la justice dans l’ELSJ. Pourtant, elle aurait pu estimer utile de répondre aux questions portant sur l’interprétation de l’article 10 du règlement, pour le cas où cela puisse servir à la mise en œuvre du droit national par la juridiction de renvoi : manifestement, le législateur allemand ne s’est pas contenté d’une transposition minimale du règlement Rome 3, par adjonction ou superposition, mais a privilégié, au contraire, une révision plus large des règles de droit international privé, pour en assurer la cohérence d’ensemble, en tenant compte des évolutions résultant du droit de l’Union. Dans ce contexte, et au regard de l’approche retenue par la Cour pour admettre la recevabilité de la question préjudicielle, il n’aurait pas paru étrange que la juridiction nationale bénéficie de la collaboration de la Cour de justice sur la question des divorces discriminatoires. N’existe-t-il pas, ici aussi, un « intérêt certain de l’Union à ce que, pour éviter des divergences d’interprétation futures, les dispositions reprises du droit de l’Union reçoivent une interprétation uniforme lorsqu’une législation nationale se conforme, pour les solutions qu’elle apporte à des situations ne relevant pas du champ d’application de l’acte de l’Union concerné, à celles retenues par ledit acte », comme l’affirme une jurisprudence bien établie, et ce même si, contrairement à ce qu’exige cette jurisprudence, l’interprétation de la Cour, sans être absolument contraignante pour la résolution de l’affaire, serait néanmoins, assurément, prise en compte par la juridiction de renvoi ?
Le cas pourrait paraître sans grande portée, dans la mesure où il correspond à une hypothèse propre au droit allemand. Il ne faut pourtant pas s’y tromper : l’interprétation de la Cour aurait eu une portée bien au-delà du droit allemand car la question de la discrimination a vocation à se poser dans tous les cas dans lesquels, sans aucune extension nationale du domaine du règlement, celui-ci s’applique à la question du conflit de lois en matière de divorce et désigne la loi d’un pays dans lequel le divorce est régi par des règles discriminatoires en raison, par exemple, d’une résidence habituelle des époux dans ce pays ou parce qu’ils ont la nationalité de ce pays.
A la différence de la Cour, l’Avocat général H. Saugmandsgaard Øe (après avoir indiqué qu’il ne le faisait qu’à titre subsidiaire et par souci d’exhaustivité, les divorces privés n’entrant pas, selon lui, dans le champ du règlement) s’est penché sur l’interprétation de l’article 10. Selon cette disposition, l’application de la loi du for s’impose (ce n’est pas, comme semble le penser l’avocat général, une simple faculté), lorsque la loi applicable en vertu de la règle de conflit « n’accorde pas à l’un des époux, en raison de son appartenance à l’un ou l’autre sexe, une égalité d’accès au divorce ». Les deux questions posées par la juridiction de renvoi concernaient les modalités d’application de cet article : d’une part, l’appréciation, abstraite ou concrète, de la discrimination causée par la loi étrangère, d’autre part, les effets du consentement de l’époux discriminé au divorce inégalitaire.
Sur le premier aspect, la question est celle de savoir si l’application de la loi du for s’impose dès lors que la loi étrangère qui serait applicable opère une discrimination in abstracto, c’est-à-dire qui résulte de la teneur de cette loi, indépendamment du fait que celle-ci soit ou non discriminatoire in concreto, dans les circonstances de l’espèce. L’avocat général plaidait en faveur de cette solution, en soulignant, notamment, que l’article 10 dudit règlement doit être interprété au regard de l’article 12, consacré à l’exception d’ordre public, qui permet (mais n’impose pas) d’écarter une disposition de la loi désignée par le règlement, lorsque cette application est manifestement incompatible avec l’ordre public du for. Formulé en des termes plus larges que l’article 12, l’article 10 exige de refouler la loi étrangère dans son intégralité, et non uniquement de faire obstacle à « une disposition » isolée qui serait jugée incompatible avec l’ordre public du for, comme l’article 12 le prévoit. Les dispositions des articles 10 et 12 doivent donc être nettement distinguées, en dépit de leur trompeuse proximité : l’article 10 n’est pas une simple précision de l’exception d’ordre public, qui relève, pour l’essentiel, des ordres juridiques nationaux. A l’inverse, la discrimination, qu’il s’agisse de son sens ou de ses effets, relève, pour l’essentiel, du droit de l’Union. Contrairement à l’article 12, qui laisse aux juges nationaux la liberté d’apprécier l’existence d’une atteinte à l’ordre public, l’article 10 ne contient pas de marge d’appréciation : comme le souligne l’avocat général, il « tend à s’appliquer de façon quasi automatique, dès que la juridiction saisie constate que les conditions qu’il énonce sont effectivement réunies » (point 82 des conclusions). La discrimination à raison du sexe est une notion européenne, dont le droit de l’Union exige le respect parce qu’elle contribue à la réalisation d’une conception de la justice qui doit prévaloir sur le territoire de l’Union. C’est l’argument central en faveur d’une interprétation extensive de l’article 10 : cette disposition protège « un droit si fondamental », celui de pouvoir divorcer dans les mêmes conditions, que l’on soit homme ou femme, « qu’il ne saurait être possible de le restreindre, pas même en vertu de la loi en principe applicable à la désunion, indépendamment du fait que cette loi soit désignée par la volonté des personnes concernées ou par l’effet d’autres dispositions du règlement » (point 84 des conclusions). Le règlement, reprenant à cet égard l’interdiction des discriminations fondées sur le sexe anciennement inscrite dans le traité et plus récemment réaffirmée dans la charte des droits fondamentaux, consacre l’importance accordée à la non-discrimination dans le droit de l’Union et la gravité particulière que celui-ci attribue aux violations de ce droit.
Cela n’est pas sans influence sur les effets d’un éventuel consentement au divorce, y compris, comme dans l’affaire Sahyouni, lorsque l’acceptation concerne non la rupture mais ses effets, sous la forme d’une acceptation de prestations compensatoires. Comme l’a relevé l’avocat général, les travaux préparatoires ayant abouti à l’adoption du règlement, montrent que le principe de l’autonomie de la volonté des parties, qui est posé par cet instrument, a été encadré par l’instauration de garanties spéciales afin de faire respecter les « valeurs communes de l’Union européenne » et de protéger le plus faible d’entre les époux. De tels objectifs ne seraient pas atteints si l’époux discriminé pouvait accepter de perdre le bénéfice de ces garanties en consentant à faire l’objet d’un divorce inégalitaire, que ce soit à cause d’une contrainte exercée par son conjoint, en raison de sa volonté personnelle de sortir d’une situation conflictuelle ou par simple ignorance de ses droits (point 102 de conclusions). Si la règle prévue par l’article 10 repose sur le respect de valeurs considérées comme fondamentales, il faut admettre, à la suite de la Commission et de l’avocat général, qu’il s’agit d’une règle impérative placée, par la volonté du législateur de l’Union, en dehors de la sphère de la libre disposition des droits.
Bien que la Cour de justice soit restée en retrait, l’affaire Sahyouni permet ainsi, à nouveau, de souligner l’importance de la non-discrimination à raison du sexe dans le droit de l’Union. Surtout, elle invite à réfléchir à ses effets, dans le contexte particulier du droit des conflits de lois : le rôle de la non-discrimination, dans ce domaine, est une des spécificités de l’approche européenne qui fait place, à côté de la classique réserve de l’ordre public international, à un ordre public international que l’on pourrait dire européen, doté d’un régime juridique propre. Alors que l’égalité des sexes pourrait se trouver affaiblie par les revendications plus fréquentes d’application de lois nationales contraires, il n’est certainement pas inutile que le noyau dur de l’identité européenne fasse l’objet d’une défense systématique et sans faille, dans le droit international privé de l’Union.