Emilie Destombes, Doctorante CDRE et CRDEI
Immédiatement après que la présidente de la Commission, Mme Ursula Von Der Leyen, ait prononcé son discours sur « l’état de l’Union », la nouvelle de l’abolition du régime Dublin, sur lequel repose la politique commune d’asile et d’immigration, a vite été relayé au sein de la presse tel un sésame qui permettrait de rationaliser cette politique européenne. Ainsi, alors que le Monde consacre un encart dès ses premières pages en affirmant que « Bruxelles veut « abolir » le règlement Dublin » (édition du 18 septembre), Le Figaro titre que « Bruxelles promet une « nouvelle gouvernance » sur l’immigration » (édition du 16 septembre) en mettant en avant en sous-titre « la mort » du règlement. Enfin, certains vont même jusqu’à afficher l’idée d’une « politique d’asile au tournant » (Le Courrier de l’Ouest, édition du 18 septembre).
Il faut dire que le Règlement Dublin a longtemps fait parler de lui, si bien qu’il est possible d’affirmer que son abandon est devenu une véritable quête. En effet, ce règlement, qui prévoit les critères permettant de déterminer l’État responsable des demandes d’asile, a longtemps été présenté comme défaillant du fait de « la crise migratoire ». Pour autant, devant la difficulté de qualifier le phénomène migratoire actuel comme une crise au regard de sa persistance et de la diminution des flux migratoires, apparaitrait l’idée que ce dernier est en réalité structurellement inopérant.
Le discours prononcé par Ursula Von Der Layen est cependant loin de promettre un débouché concret mais au contraire vise à alerter les États membres. La question de la migration apparait en effet à la fin et de manière très succincte. Sans négliger l’importance du sujet, la présidente de la Commission rappelle que le changement ne se fera qu’au prix d’une action concrète des institutions européennes (I). Par ailleurs, si elle mentionne la présentation de son nouveau pacte sur la migration, aucune mention concrète n’est faite au règlement Dublin. Son « abolition » sonne en creux au regard de la mention faite au sein du discours d’un projet visant un « lien plus étroit entre l’asile et le retour ». Ainsi, loin de faire le procès du règlement Dublin, le nouvel instrument proposé, sans porter le nom de Dublin, risque fortement d’être dans le prolongement plutôt que dans la rupture (II).
I. La nécessité d’en finir avec le chacun pour soi
Trêve de bavardages, place à l’action ! C’est ainsi qu’il serait possible de résumer l’intervention de la présidente de la Commission. Ursula Von Der Leyen ne sous-estime pas le « défi » qui se présente à la Commission en présentant son nouveau pacte sur la migration, elle fait d’ailleurs état des « cicatrices » suite aux « divisions nombreuses et profondes » sur le sujet. Ainsi, le discours en matière de migration constitue bien un rappel à l’ordre à l’égard des États membres. Il pointe l’absence d’unité au sein du Conseil conduisant à une réforme qui traine depuis de nombreuses années sans trouver une réponse concrète. Si la Commission propose un nouveau pacte, elle rappelle qu’il est cependant nécessaire de trouver un consensus afin de réformer une politique que tout le monde critique. Il est donc encore bien trop tôt pour considérer que Bruxelles est prêt à passer le cap et à réformer cette politique européenne.
Car le dossier en matière de migration est en perpétuel report depuis 2016. La précédente proposition de la Commission n’avait ainsi pas atteint les objectifs qui lui avait été assigné en l’absence de compromis entre les États membres. Alors que le Parlement avait considéré la nécessité d’une réforme en profondeur par le biais du « rapport Wilkström », aucune position n’avait réussi à être adoptée au sein du Conseil européen à propos du Règlement Dublin, cristallisant de ce fait les propositions du paquet asile.
Ainsi, la présidente de la Commission multiplie les allusions afin que ce pacte ne finisse pas dans l’impasse. Le message est explicite dès le titre qui évoque « une nouvelle vitalité pour l’Europe ». Il persiste ensuite par la demande de « compromis », sous-entendant qu’il n’y aura pas de solution magique bien que des réponses doivent être données. En ce sens, l’impératif est souligné à plusieurs reprises : pas de doute, il s’agit d’un devoir. Il en va ainsi de la crédibilité même de l’Union européenne. En effet, dans son discours, la présidente de la Commission souligne que « nous n’avons pas le choix de nous montrer capables de gérer ensemble la question de la migration ». D’ailleurs, la place dans son discours du dossier migratoire n’est pas anodine. Elle fait suite à l’influence de l’Union européenne au-delà de ses frontières et du rôle de promotion des droits fondamentaux dans la politique extérieure. Or, comme le souligne Ursula Von Der Leyen, « si l’Europe veut jouer ce rôle vital dans le monde, elle doit également faire naitre une nouvelle vitalité sur le plan interne ». En effet, comment jouer le rôle de défenseur de l’équité quand, en interne, celle-ci peine à apparaitre ?
Si la réforme n’est pas une option, la voie choisie par la Commission pour y parvenir prend le parti pris de suivre davantage un mouvement de rénovation plutôt que d’innovation au regard du règlement Dublin.
II. Une promesse de changement en trompe-l’œil
Le discours prononcé par la présidente de la Commission, au regard des précédents événements, est nécessairement axé sur l’humain. Contextuellement, il fait suite non seulement à l’incendie tristement célèbre du camp de Moria mais aussi à l’intervention du juge européen conduisant à la fermeture des zones de transit en Hongrie (CJUE, 14 mai 2020, FMS e.a., aff. jointes C-924/19 PPU et C-925/19 PPU). Pour autant, la réforme annoncée ne conduit pas à un renversement de la réglementation Dublin mais à sa rénovation. En ce sens, la solution est bien celle de la continuité : à savoir un lien toujours plus étroit entre l’asile et le retour et une vigilance accrue aux frontières extérieures. Ainsi, dans un document interne du 22 avril 2020, la Commission dévoilait sa nouvelle réglementation « abolissant » Dublin en vue d’une réglementation commune en matière d’asile et de retour. Cette dernière conduisait à établir un mécanisme de solidarité flexible et réactif, c’est-à-dire volontaire en temps normal et obligatoire en cas de pression. Par ailleurs, prenant acte de la précédente crise, le document interne fait état d’une solidarité se matérialisant de façon multiple. Il s’agit donc de rendre le mécanisme de responsabilité effectif, autrement dit véritablement contraignant, et ce de manière réaliste au regard des réticences des États membres à agir dans le domaine. Car, le règlement Dublin n’est aujourd’hui pas autoritaire (l’État membre peut l’appliquer) et il est finalement souvent contourné par les États membres. Ainsi, il impacte indirectement et non directement la situation sur le terrain en conduisant à la disparition des demandeurs d’asile au sein de l’Union européenne, du fait de son caractère arbitraire en ne tenant pas compte des intentions des demandeurs d’asile. Or, de ce côté, la proposition de la Commission ne semble pas aller vers une liberté de circulation, et ce notamment parce qu’elle serait politiquement surement inenvisageable et ne passerait pas au niveau des États membres. Elle remet en revanche en avant le principe de solidarité, déjà inscrit mais difficilement appliqué en matière migratoire entre les États membres.
Ainsi, l’année nous permettra de mesurer si les États sont tout d’abord prêts à se remettre sur le dossier migratoire afin d’instaurer une solidarité pour que « l’ensemble de l’Europe » soit concerné. Ensuite, il s’agira de savoir si les discussions déboucheront sur une véritable centralisation de la prise de décision. Le sésame est loin d’être acquis, toutefois de façon à ne pas fragiliser l’Union européenne plus qu’elle ne l’est déjà, il ne s’agit plus selon la présidente de la Commission d’une faculté mais d’un impératif.