Triste constat : il aura fallu près de 13 ans, depuis l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam, pour voir la Cour de justice sanctionner sur le fond un Etat membre pour sa violation du droit commun de l’asile et de l’immigration.
Tout vient donc à point à qui sait attendre, la condamnation des Pays Bas dans l’arrêt rendu ce 26 avril dans l’affaire C-508/10 vient utilement rappeler à tous l’obligation de respecter la substance du droit européen et pas seulement l’obligation classique d’en transposer les dispositions en droit interne.
Car la gardienne des traités qu’est la Commission se cantonne le plus souvent à cette approche notariale et confortable du droit, évitant ainsi tout conflit sur les principes. L’analyse de cette pratique est facilitée par l’excellente initiative de l’exécutif communautaire, mettant en ligne l’état de l’application du droit de l’UE dans ce domaine, par Etat comme par politique (http://ec.europa.eu/home-affairs/news/infringements/infringements_en.htm). Nous venons de l’effectuer, avec Philippe de Bruycker, pour le compte du Parlement européen dans une étude disponible. Un chiffre impressionnant s’en dégage : 760 procédures ouvertes depuis 2004 pour à peine une vingtaine de saisines de la Cour de justice, le tout uniquement pour des questions de transposition. Au vu des situations scandaleuses constatées autour de la Méditerranée et stigmatisées par la Cour européenne des droits de l’Homme dans ses arrêts M.S.S. ou Hirsi Jamaa, cette stratégie de la Commission est anormale.
Quoi qu’il en soit, pour un coup d’essai, il s’agit d’un coup de maître. Etait en cause la législation néerlandaise, dont on connaît la sévérité en matière d’immigration, relative aux résidents de pays tiers de longue durée et son choix de leur faire régler des droits fiscaux allant de 188 à 803 Euros pour leurs titres de séjours. La Directive 2003/109 relative à cette catégorie de ressortissants étrangers prévoit en effet la délivrance de tels titres, sans dire mot des droits fiscaux les accompagnant. L’Etat défendeur estimait que le texte avait « abandonné » ce pouvoir aux Etats membres, dont ils pouvaient faire un usage raisonnable.
Dans le silence de la directive, il ne coulait pas nécessairement de source que la Cour établisse son contrôle, la Commission s’étant bornée à contester la disproportion des droits en question au regard de « l’économie générale, l’esprit, l’objectif et, partant, l’effet utile » du texte, sans se rattacher à une disposition spécifique. Suivant en cela les conclusions brillantes, comme à l’accoutumé, d’Yves Bot, la Cour estime néanmoins que la requête est recevable parce que l’Etat défendeur a pu à la fois saisir précisément l’objet du grief et présenter sa défense.
Au fond, il était difficile de contester le caractère particulièrement élevé des droits en question : ils étaient de 7 à 27 fois supérieurs à ceux prévus pour des citoyens de l’Union placés dans une situation analogue. Trancher le point de savoir s’ils étaient disproportionnés au point de constituer une entrave aux droits des ressortissants de pays tiers était donc l’enjeu principal. Si tel était le cas, empêcher l’accès au statut par des droits excessifs ou le réserver aux étrangers les plus aisés, cette pratique était évidemment contraire aux objectifs de la directive. L’affirmation est désormais connue en matière migratoire et elle encadre la marge d’appréciation des Etats membres (CJUE, 28 avril 2011, El Dridi, C-61/11).
La Cour se place sur ce terrain sans juger utile de se livrer à une comparaison avec le statut des citoyens de l’Union. Appuyée sur la motivation de la directive 2003/109, elle souligne que « l’objectif principal de celle-ci est l’intégration des ressortissants de pays tiers qui sont installés durablement dans les États membres », même si le texte vise également « contribuer à la réalisation effective du marché intérieur en tant qu’espace où la libre circulation de toutes les personnes est assuré » (point 66). Cette logique d’assimilation progressive des résidents étrangers de longue durée avec les citoyens de l’Union n’est pas le fait d’un diktat prétorien, loin de là. Les Etats membres l’avaient expressément consacrée dans le point 21 de leurs conclusions, à Tampere 1999 et son rappel par la Cour est déterminant.
Le droit des résidents de longue durée d’obtenir un statut dès lors qu’ils en remplissent les conditions ne doit donc pas être entravé et le pouvoir d’appréciation des Etats membres pour fixer des droits fiscaux n’est pas illimité, de ce point de vue. Le principe général de proportionnalité s’impose en effet au droit national lorsqu’il met en oeuvre la directive et s’efforce d’en réaliser les objectifs.
Ici, le simple constat que la valeur la plus faible des droits exigés « est environ sept fois supérieure au montant à acquitter pour obtenir une carte nationale d’identité » suffit à établir cette disproportion. Le dixième considérant de la directive 2003/109 ne spécifie-t-il pas que les procédures dans les Etats membres doivent être « transparentes et équitables afin d’offrir un niveau adéquat de sécurité juridique aux personnes concernées » et « ne devraient pas constituer un moyen pour empêcher l’exercice du droit de résidence » ?
A l’évidence tel n’était pas la volonté des autorités néerlandaises, justifiant une condamnation sans appel par la Cour, même si celle-ci garde le silence sur l’utilisation du principe de non-discrimination que lui proposait d’utiliser son avocat général.