par M. Da Lozzo, IRDEIC
A partir du 17 août 2015 sera applicable le Règlement n° 650/2012 du Parlement Européen et du Conseil du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen (Règlement « Successions »). Parmi les nouveautés, il faut noter la suppression dans la plupart des cas de la scission française en matière de successions transfrontalières. De plus, les critères de rattachement retenus sont limités à deux aussi bien pour la compétence internationale que pour la loi applicable.
La résidence habituelle du de cujus au moment de son décès est l’élément de rattachement de principe du Règlement Successions (art. 4 et 21.1). La nationalité du défunt, critère subsidiaire, ouvre la voie à la professio juris (art. 22).
Comme dans les autres Règlements européens de droit international privé (sauf Règlement « Bruxelles I »), la résidence habituelle a été préférée à d’autres critères. Traditionnellement, elle est définie comme une notion de fait correspondant à la présence matérielle d’un individu qui se caractérise par une certaine durée et dont l’appréciation est laissée au juge.
Il s’avère que tous ces instruments européens ne traitent pas la résidence habituelle de la même manière, selon que la personne soit morale ou physique. Si dans le premier cas, des définitions sont données par les Règlements (« Rome I », art. 19 ; « Rome II », art. 23), les personnes physiques sont en reste aussi bien dans les articles que dans les considérants.
Ce choix, volontaire ou non, permet au juge une meilleure appréciation des faits afin de déterminer au mieux le lieu de résidence habituelle de la personne considérée. Cependant, cette liberté peut être contre-productive : si un juge de l’UE l’appréhende différemment, une forme de forum shopping peut voir le jour.
C’est pour lutter contre cette approche que le Cour de cassation a dénaturé le sens traditionnel de la notion en admettant une définition communautaire « autonome » en application du Règlement « Bruxelles II bis », sans poser de question préjudicielle et en s’inspirant de décisions portant sur différentes matières – fiscale, sécurité sociale et fonction publique de l’UE (Cass. 1ère civ., 14 déc. 2005, n°05-10.951). Ainsi, la Cour a donné une place prépondérante à l’intention de la partie considérée, définissant la résidence habituelle comme étant « le lieu où l’intéressé a fixé, avec la volonté de lui conférer un caractère stable, le centre permanent de ses intérêts ».
Si une partie de la doctrine a critiqué l’approche trop subjective de la Cour qui diffère de la vision traditionnelle (M.-C. Meyzeaud-Garaud, « La Cour de cassation reprend la définition communautaire de la résidence habituelle de la CJCE », RJPF 2006, n°4, p. 14-15), une autre admet, et il faut s’y joindre, que des éléments purement factuels ne sont pas suffisants pour déterminer la résidence habituelle (A. Richez-Pons, « La notion de résidence », Dr. et patr. 2005, n°138).
En 2010, lors d’une question préjudicielle, la CJUE s’est prononcée sur la notion de résidence habituelle inscrite aux articles 8 et 10 du Règlement « Bruxelles II bis » (CJUE, 22 déc. 2010, Barbara Mercredi C 497/10 PPU) : « [la] résidence correspond au lieu qui traduit une certaine intégration de l’enfant dans un environnement social et familial ». S’en suit une liste d’indices permettant de déterminer l’intention de la partie considérée.
Si cette approche semble similaire à celle de la Cour de cassation, elle n’en demeure pas moins différente : le CJUE, tout en admettant la nécessité de l’utilisation d’éléments intentionnels pour déterminer la résidence habituelle, se borne à une spécialisation de la notion contrairement à la systématisation qui avait été choisie par la Haute juridiction française.
En effet, cette dernière avait choisi de définir la notion de manière générale et abstraite en laissant une grande flexibilité à l’appréciation du juge. Concurremment, la CJUE est également sensible à ce dernier élément, mais l’encadre en précisant quels sont les éléments qui peuvent être pris en compte dans la détermination de la résidence habituelle de l’enfant.
Cette approche peut être qualifiée de spéciale puisque celle définition ne pourrait convenir à l’application d’un Règlement étrangers à la question de l’intérêt de l’enfant. Il s’agit d’une interprétation conforme aux objectifs et aux buts du texte.
Depuis, le législateur européen semble avoir tiré une nouvelle approche qu’il intègre dans le Règlement Successions. En effet, le choix a été fait de ne pas définir la notion de résidence habituelle pour laisser une liberté d’appréciation au juge, mais des indices sur son interprétation sont donnés aux considérants 23 et 24 du texte.
A la lecture de ceux-ci, force est de constater que les éléments de faits sont toujours mis en avant : la résidence habituelle du de cujus au moment du décès doit être déterminée notamment par « la durée et la régularité du défunt dans l’Etat concerné ». Le Règlement continue et précise que « les raisons de la présence » du défunt doivent également être analysées pour déterminer sa résidence, « compte tenu des objectifs spécifiques » du Règlement – en somme, l’intention du défunt joue également un rôle (cons. 23).
Pour ne pas laisser l’effet pervers du forum shopping s’installer, le considérant 24 vient préciser quels sont les éléments intentionnels qui peuvent être pris en compte lorsque les éléments de fait sont insuffisants pour déterminer la résidence habituelle du défunt – raisons professionnelles, économiques, centre des intérêts de la vie familiale et sociale, le lieu de situation des biens et sa nationalité. Ainsi, une notion spécialisée de la résidence habituelle est dégagée pour l’application du Règlement « Successions ».
La notion de résidence habituelle tend à accueillir la prise en compte de l’élément intentionnel dans sa détermination, mais à n’admettre que des éléments en lien avec l’instrument appliqué – spécialisation de la notion. Il est à noter qu’il s’agit du premier Règlement énonçant des indices aidant à la détermination de la résidence habituelle. Il faut espérer que le législateur européen continue dans cette voie qui permet une flexibilité guidée de l’appréciation du juge.