par Laura Delgado, CDRE
Le Traité de Lisbonne marque une étape majeure dans l’évolution des droits fondamentaux en Europe. Donnant à la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne (CDFUE), la « même valeur juridique que les traités », il lui octroie une place centrale dans l’architecture constitutionnelle de l’UE. Si sa valeur juridique n’est plus contestée, la détermination de son champ d’application dans un Espace de Liberté Sécurité et Justice où l’entraide répressive est « fondée » sur le principe de reconnaissance mutuelle pose néanmoins problème.
L’acuité de cette question se révèle chaque jour, tant et si bien que depuis 2011, la Cour de Justice a du répondre à de nombreuses reprises à la question de la place des droits fondamentaux dans les mécanismes de reconnaissance mutuelle. L’arrêt Radu, rendu le 29 janvier 2013 (C-396/11), était particulièrement attendu sur ce point. Son laconisme n’en est que plus décevant.
En l’espèce, accusé de vols avec violence, M. Ciprian Vasile Radu était visé par 4 mandats d’arrêts européens délivrés en Allemagne aux fins de l’exercice de poursuites pénales. Autorité judiciaire d’exécution, la Cour d’appel de Constanca (Roumanie) avait tout d’abord ordonné l’exécution de trois des quatre mandats d’arrêts le 5 juin 2009, avant que l’accusé ne forme un pourvoi devant la Haute Cour de cassation et de justice de Roumanie, accueilli favorablement. De nouveau devant la Cour d’appel, Monsieur Radu lui demandait d’interpréter la décision-cadre 2002/584 relative au mandat d’arrêt européen en conformité avec la Charte des droits fondamentaux de l’Union et la Convention européenne des droits de l’Homme. On sait que la première n’avait pas force obligatoire lors de l’adoption du mandat d’arrêt européen (MAE) sous l’empire du traité d’Amsterdam.
Le requérant avançait que son droit fondamental à un recours effectif reconnu aux articles 47 et 48 de la CDFUE et à l’article 6 de la CEDH était en cause puisqu’il n’avait pas été entendu avant la délivrance de ces mandats. En d’autres termes, il faisait valoir une interrogation fondamentale pour le fonctionnement de l’Espace de liberté, sécurité et justice, celle de savoir jusqu’à quel point le respect des droits fondamentaux est susceptible d’entraver l’entraide répressive au sein de cet espace.
Il affirmait en effet que l’Etat d’exécution du mandat, la Roumanie, avait l’obligation de vérifier si l’Etat d’émission avait bien respecté les droits et garanties établis par la Charte et par la Convention avant d’effectuer son renvoi vers l’Etat d’émission. La Cour d’appel décida de sursoir à statuer afin de poser six questions préjudicielles à la Cour de Justice.
Estimant que les quatre premières questions et de la sixième question devaient être examinées ensemble, la CJUE répond le 29 janvier d’une manière particulièrement prudente, loin de suivre les réflexions en profondeur de son avocat général. A la question de savoir si la décision-cadre 2002/584, lue à la lumière des articles 47 et 48 de la Charte ainsi que de l’article 6 de la CEDH, devait être interprétée en ce sens que les autorités judicaires d’exécution pouvaient refuser d’exécuter une mandat d’arrêt européen émis aux fins de l’exercice de poursuites pénales, au motif que les autorités judiciaires d’émission n’avaient pas entendu la personne recherchée avant la délivrance de ce mandat d’arrêt, elle répond par la négative (I). Ce faisant, elle laisse entière les interrogations que chacun se pose, à la lecture précisément de la jurisprudence récente de Luxembourg (II).
I. Prudence : le respect des droits fondamentaux ne constitue pas, en soi, un motif de non-exécution d’un mandat d’arrêt européen
En substance, l’interrogation posée au juge de l’Union est simple : les impératifs de la protection des droits fondamentaux peuvent-ils faire obstacle à l’automaticité du mandat d’arrêt européen voulue par le législateur, lequel affirme par ailleurs que son régime juridique s’inscrit dans le respect de ces droits ?
Afin d’y répondre, la Cour met en avant que la décision-cadre 2002/584 est « un système fondé sur le principe de reconnaissance mutuelle » (point 33) qui « tend ainsi, […], à faciliter et à accélérer la coopération judiciaire en vue de contribuer à réaliser l’objectif assigné à l’Union de devenir un Espace de liberté, de sécurité et de justice en se fondant sur le degré de confiance élevé qui doit exister entre les Etats membres » (point 34). Cette « confiance élevée » fonde donc le mécanisme de remise entre Etats, lequel est quasiment automatisé.
Refusant de rentrer dans un jeu d’interprétation dynamique, la Cour préfère alors une approche littérale qui la conduit à raisonner dans le cadre de la décision-cadre relatif aux motifs de non-exécution d’un mandat d’arrêt. De ce fait, elle souligne comme elle l’avait déjà jugé dans les affaires Leymann et Pustovarov (C-388/08 PPU du 1er décembre 2008) et Mantello (C-261/09 du 16 novembre 2010), que les Etats membres ne peuvent refuser d’exécuter un MAE que dans des cas bien précis fixés par les articles 3 et 4 de la directive. La Cour en déduit qu’une violation des droits fondamentaux ne peut constituer un motif de non-exécution d’un mandat d’arrêt européen que dans les cas où le mandat d’arrêt est émis aux fins de l’exécution d’une peine privative de liberté et si cette violation a eu lieu au cours du procès qui a mené à une condamnation pénale (point 38).
La Cour rejette donc la prétention de Monsieur Radu selon laquelle un Etat membre pourrait refuser l’exécution d’un MAE émis aux fins d’exercice de poursuites pénales au motif que la personne recherchée n’a pas été entendue par les autorités judiciaires avant la délivrance du mandat (point 39). Cette hypothèse aurait pour effet de mettre « en échec le système même de remise prévu par la décision cadre 2002/584 et partant la réalisation de l’espace de Liberté, de sécurité et de justice dès lors que, notamment aux fins d’éviter la fuite de la personne concernée, un tel mandat d’arrêt doit bénéficier d’un certain effet de surprise » (point 40).
Afin de convaincre, la Cour insiste et conclut en rappelant que les articles 8, 13 et 15 accordent déjà à la personne recherchée un certain nombres de garanties, notamment en assurant son droit d’être entendu dans l’Etat membre d’exécution.
Le juge de l’Union se borne donc à faire une application stricte de la décision-cadre et refuse de se prononcer plus généralement sur l’implication des droits fondamentaux dans les procédures impliquant des mécanismes de reconnaissance mutuelle entre les Etats Membres.
Il est permis de le regretter. D’abord parce que la décision-cadre sur le mandat d’arrêt européen, pour être une réussite majeure de l’ELSJ, n’en souffre pas moins d’un certain nombre d’imperfections qui appellent révision, la proportionnalité de l’usage du MAE n’étant pas la moindre du point de vue des droits de l’Homme, comme le Manuel d’utilisation du MAE le reconnait. Ensuite parce qu’un certain nombre d’affaires en cours amènent à penser que le débat sur la relation entre MAE et protection des droits fondamentaux n’est pas clos. Ainsi, la densité des conclusions de l’avocat général Bot dans l’affaire Melloni (C‑399/11, Procédure pénale contre Stefano Melloni) en provenance d’un renvoi du Tribunal constitutionnel espagnol laisse augurer des prolongements inévitables …
II. Déception : la confiance mutuelle aveugle entre Etats membres a encore de beaux jours devant elle
Erreur de parcours, oubli volontaire ou simple volonté de retour en arrière, cette décision est quelque peu décevante aux vues des conclusions de l’Avocat Général Sharpston et de la jurisprudence NS de la Cour en matière de reconnaissance mutuelle.
Dans ses conclusions du 18 octobre 2012, l’Avocat Géneral Sharpston préconisait une solution plus protectrice des droits fondamentaux de la personne recherchée. Elle reconnaissait en effet que malgré « une lecture sommaire de la décision-cadre [qui] pourrait induire à penser que ce type de violations n’ont pas à être prises en considération » (point 66), une « interprétation étroite qui exclurait totalement toute considération relative aux droits de l’homme » (point 69) n’est pas acceptable. L’article 1er paragraphe 3 de la décision-cadre qui indique qu’elle n’affecte pas les droits fondamentaux autoriserait ainsi implicitement la prise en compte des droits fondamentaux pour fonder une décision de non-exécution du mandat d’arrêt.
A l’instar de l’Avocat Général Villalón dans l’affaire B, elle admettait également que si la reconnaissance mutuelle est un instrument qui fonde l’ELSJ, la protection des droits fondamentaux est tout aussi importante pour le développement de cet espace. Elle en concluait que « les autorités judiciaires d’un Etat membre d’exécution sont tenues de respecter les droits fondamentaux énoncés dans la Convention et dans la Charte lorsqu’elles examinent la question de savoir s’il convient d’exécuter un mandat d’arrêt européen » (point 73).
Cependant, l’Avocat général Sharpston insistait sur le fait que la non-exécution du mandat ne peut se faire que de façon exceptionnelle. Afin d’étayer son raisonnement elle s’inspirait de la jurisprudence Soering de la CEDH (CEDH, Soering, 7 juillet 1989) et, surtout, de l’affaire NS rendue précisément par la Cour de justice elle même à propos du règlement Dublin (CJUE, NS 21 décembre 2011, C-411/10 et C-493/10). Le droit positif s’accorde ainsi sur le fait que la non-exécution d’un renvoi vers un autre Etat n’est envisageable qu’en raison de « motifs sérieux et avérés de croire que le demandeur courra un risque réel d’être soumis à des traitements inhumains ou dégradants ».
Dans le contexte de l’article 6 de la CEDH, (celui qui nous intéresse en l’espèce), la Cour européenne des droits de l’Homme avait cependant élargi le champ du possible en jugeant, dès 1989, que l’obligation conventionnelle de transférer pouvait, exceptionnellement, être affectée au cas où la personne « aurait subi ou risquerait de subir un déni de justice flagrant ». Elle en a tiré la conséquence dans son arrêt Othman, le 17 janvier 2012 (voir ici même le billet de H. Labayle, le 11 mai 2012). En l’espèce, la Cour avait conclu à l’impossibilité d’éloigner le requérant vers son pays d’origine où il courait le risque d’être jugé dans des conditions contraires à l’article 6 CEDH. La condition de « violation flagrante » était remplie puisque les preuves l’accusant avaient été obtenues sous la torture ce qui risquait de porter atteinte à « l’intégrité du processus judiciaire ». Dès lors, en l’absence de toute assurance que ces preuves n’allaient pas être utilisées lors du futur procès, la Cour avait conclu que l’expulsion du requérant vers ce pays, donnerait lieu à un « déni de justice flagrant », en violation de l’article 6 (Voir l’étude du Parlement européen faite par les Professeurs H. Labayle et P. De Bruycker « Impact de la jurisprudence de la CEJ et de la CEDH en matière d’asile et d’immigration », 2012).
Dans l’affaire Radu, l’avocat général n’était toutefois pas favorable à interpréter les articles 47 et 48 de la Charte conformément à l’article 6 de la CEDH. Il préférait faire usage de l’article 52-3 de la CDFUE qui dispose que le droit de l’Union peut accorder une protection plus étendue que celle prévue par la Convention. Considérant que l’exigence d’une « violation flagrante » de ce droit était trop sévère elle préconisait donc que l’intéressé apporte la preuve que les défaillances du procès étaient telles qu’elles réduisaient à néant son caractère équitable. Admettant que des violations futures puissent entraver la procédure de remise de la personne recherchée, elle reconnaissait également que des violations passées susceptibles de mettre à mal le procès puissent donner lieu à un refus d’exécution du MAE, si et seulement si, ces violations n’avaient pas pu être réparées.
En s’inspirant de la récente jurisprudence NS applicable en matière de transfert de demandeurs d’asile, la voie d’un examen de l’état de la protection des droits fondamentaux dans l’Etat de renvoi pouvait donc s’ouvrir aussi en matière de MAE. Aussi, dans la droite ligne de la jurisprudence NS, l’Avocat Général Sharpston préconisait de prendre une certaine distance avec le caractère absolu de la « confiance élevée » sur laquelle repose la reconnaissance mutuelle entre les Etats membres.
De ce point de vue, la décision de la Cour referme le débat. Elle est donc décevante mais pas forcément surprenante. Quelques mois plus tôt, l’Avocat Général Yves Bot dans ses conclusions sur l’affaire Melloni (C- 399/11 du 2 octobre 2012), avait également refusé de considérer que la décision-cadre empêchait l’autorité judiciaire d’exécution de subordonner l’exécution d’un mandat d’arrêt européen à la condition que la personne faisant l’objet de celui-ci puisse bénéficier d’une nouvelle procédure de jugement dans l’État membre d’émission du mandat.
Par deux fois, les articles 6 de la Convention et 47 de la Charte ne font donc pas obstacle à l’exécution du mandat d’arrêt européen. Que ce soit au motif que la personne n’a pas été entendue dans l’Etat membre d’émission avant la délivrance de son mandat ou en raison de l’absence de voies de recours contre une décision rendue par défaut, la crainte de réduire l’efficacité du mécanisme de reconnaissance mutuelle constitue un argument imparable. Sauf à penser que les prétendues violations en question n’étaient pas considérée comme étant assez « systémique » pour justifier un tel contrôle, la porte est donc refermée.
Malgré les doutes émis en sens inverse, il serait donc présomptueux de célébrer « the death of mutual trust » (voir Steve Peers, « Analysis Court of Justice : The NS and ME opinions : The Death of « mutual trust » ? », http://www.statewatch.org). Force est de constater que l’arrêt Radu prouve une fois de plus que la reconnaissance mutuelle a encore de beaux jours devant elle dans la construction d’un espace répressif commun. Servant principalement l’intérêt des Etats membres, elle appelle pourtant un rééquilibrage au profit de la protection des individus qu’elle concerne au premier chef.