Les faits à l’origine de l’affaire Ayçaguer c. France (Req. 8806/12) pourraient prêter à sourire s’ils ne révélaient pas un exemple de plus de législations sécuritaires qui érodent lentement mais sûrement les libertés individuelles. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) qui en a été saisie en profite opportunément pour rappeler, avec constance et clarté, la place éminente qu’occupe le droit à la protection des données personnelles aujourd’hui. Elle formule ce faisant, de façon réitérée, l’interdiction d’un fichage généralisé et indifférencié des personnes, rappel plus que nécessaire semble t-il à l’heure où de nombreuses lois antiterroristes, notamment, mettent en danger partout en Europe ce nouveau droit fondamental.
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Escale à Canossa ? La protection des droits fondamentaux lors d’un transfert « Dublin » vue par la Cour de justice (C.K. c. Slovénie, C-578/16 PPU)
Le trajet conduisant de Luxembourg à Strasbourg est parfois moins direct qu’il n’y paraît, impliquant des retours en arrière imprévus mais salutaires. La Cour de justice en aurait-elle fait l’expérience, moins douloureusement certes qu’Henri IV devant Grégoire VII ?
L’arrêt rendu par sa cinquième chambre dans l’affaire C.K. c. Slovénie (C-578/16 PPU) le 16 février 2017 interroge de ce point de vue.
Questionnée par le juge suprême slovène quant à l’étendue du contrôle des conditions de déroulement d’un transfert Dublin vers un autre Etat membre, la Croatie, la Cour de justice était attendue avec curiosité. Elle était en effet assez clairement invitée par le juge national à se prononcer sur les implications de sa jurisprudence refusant, comme chacun le sait, que l’on s’intéresse de trop près aux conditions dans lesquelles les droits fondamentaux sont appliqués dans certains Etats de l’Union, ceci au nom de la confiance mutuelle. Sauf qu’en l’espèce, c’était moins l’Etat de destination qui posait question, la Croatie justifiant la confiance, que le procédé utilisé pour y revenir, la décision de transfert elle-même.
A l’instant où cette confiance mutuelle est mise à mal par les comportements étatiques et où ce principe fondamental ne semble guère trouver grâce dans le futur règlement Dublin IV, l’appui de la Cour lui est ici mesuré. La réponse de cette dernière se situe au cœur d’un double courant d’interrogations. Lire la suite
De l’affaire Blood à l’affaire Gomez-Turri, la circulation comme voie de passage d’un contexte de droit européen à un autre
Le Conseil d’Etat (CE, Ass., 31 mai 2016, n° 396848) a rendu dans son arrêt Gomez-Turri une décision ordonnant à l’Assistance publique des Hôpitaux de Paris de prendre toutes les mesures nécessaires à l’exportation des gamètes aux fins d’insémination post mortem à l’étranger. Cette décision fait écho à une décision britannique qui, 19 ans plus tôt, avait défrayé la chronique dans une célèbre affaire Blood (R. v. Human Fertilisation and Embryology Authority, ex parte Blood [1997] 2. All ER 687, Court of Appeal, Lord Woolf) en autorisant l’exportation de gamètes du Royaume-Uni vers la Belgique à des fins d’insémination post mortem.
Ces deux décisions ont été motivées par une référence appuyée aux droits européens (UE dans l’affaire Blood et CEDH dans l’affaire Gomez-Turri). Elles ont un dénominateur commun : ce qui compte dans un contexte global, ce n’est pas seulement la règle de droit qui est appliquée mais le lieu où elle est appliquée et si ces lieux se déclinent au pluriel alors le juriste doit savoir penser les voies de passage qui existent entre eux. Lire la suite
Confiance mutuelle et mandat d’arrêt européen : évolution ou inflexion de la Cour de justice ?
L’arrêt Aranyosi- Caldararu (affaires jointes C‑404/15 et C‑659/15 PPU) rendu par la Cour de Justice à propos d’un mandat d’arrêt européen (MAE) est enfin tombé ce 5 avril 2016. Véritable mine d’informations concernant la coopération judiciaire dans l’ELSJ, il aborde, plus ou moins directement, les grands sujets sensibles dans ce domaine tel que le respect des droits fondamentaux, le dialogue des juges ou le principe de la confiance mutuelle. Lire la suite
L’accord Union européenne – Turquie : faux semblant ou marché de dupes ?
L’arrestation en Belgique de l’un des responsables des attentats du mois de novembre à Paris, ajouté ce jour aux attentats abominables de Bruxelles, a rejeté au second plan l’accord passé entre l’Union européenne et la Turquie, à la veille du week-end.
Ce dernier était pourtant sous les feux des projecteurs médiatiques, à la fois en raison de la gravité de la crise sur le terrain mais aussi au vu de l’accueil largement négatif réservé par l’opinion publique aux échanges au premier jet du 7 mars. « Sommet d’approfondissement » des 6 points d’accord préalable, la lecture de la Déclaration du Conseil européen qui le conclut, accompagnée de celle des conclusions à proprement parler, n’indique en rien une sortie de crise au vu du contexte dans lequel cet accord s’inscrit. Lire la suite
La Marche turque : quand l’Union sous-traite le respect de ses valeurs à un Etat tiers
par Henri Labayle, CDRE, et Ph. De Bruycker, Omnia
Le Conseil européen réuni le 7 mars était supposé examiner l’état d’avancement du Plan d’action entre l’Union européenne et la Turquie, conclu en novembre 2015. L’idée était que, faute de résultats probants, d’autres mesures soient arrêtées. L’arrivée d’une moyenne de 2000 personnes par jour en Grèce depuis le début du mois de janvier plaidait en ce sens.
Pour certains Etats membres, le «Plan B » consistait à fermer les frontières extérieures de l’espace Schengen, quitte à plonger la Grèce dans une crise absolue. Le président du Conseil européen y était favorable puisqu’un projet de conclusions du Conseil ayant fuité à la fin du week-end et largement repris dans la presse faisait état d’une « fermeture de la route des Balkans ». Lire la suite
Surveillance de masse : un coup d’arrêt aux dérives de la lutte antiterroriste (CEDH, Szabo et Vissy c. Hongrie, 12 janvier 2016
Sylvie Peyrou, CDRE
A l’heure où la lutte contre le terrorisme suscite nombre de réactions sécuritaires parmi les démocraties occidentales, et en particulier européennes (est-il besoin de citer l’exemple français, de la controversée loi sur le renseignement à l’état d’urgence ?), la Cour européenne des droits de l’homme semble garder le cap d’une stricte protection des droits fondamentaux.
L’arrêt de la Cour du 12 janvier 2016, Szabo et Vissy c. Hongrie (Req. n° 37138/14), en est une illustration récente et topique. Cet arrêt attire d’autant plus l’attention que les juges de Strasbourg ont estimé il y a peu dans l’arrêt Sher et autres c. Royaume-Uni (Req. n° 5201/11) que le crime terroriste entrait dans « une catégorie spéciale », justifiant une atténuation des droits au nom de la lutte contre le terrorisme (voir Henri Labayle ici-même). Si l’arrière-fond des affaires est semblable (à savoir des législations restreignant les libertés au profit de la lutte contre le terrorisme), le contexte de chacune d’elles est cependant sensiblement différent, ce qui peut expliquer le souci de la Cour d’adresser un message lui aussi sensiblement différent. Lire la suite
Vulnérabilité et droit européen de l’asile : quelques précisions nécessaires
par Joanna Pétin, CDRE
La problématique ed la vulnérabilité des demandeurs d’asile devient une problématique centrale du droit de l’asile, au plan européen comme au plan interne. Reprenant une communication présentée lors d’un séminaire organisé sous l’égide du laboratoire de recherche MIGRINTER, (http://migrinter.hypotheses.org/2282), les réflexions suivantes s’efforcent de mesurer à quel point les instruments du régime d’asile européen commun appréhendent la vulnérabilité des demandeurs de protection.
Les instruments de ce régime ont ouvert la voie à un processus de conceptualisation de la notion de vulnérabilité (v. L. De Bauche, La vulnérabilité en droit européen de l’asile : une conceptualisation en construction. Etude en matière de conditions d’accueil des demandeurs d’asile, Bruylant, 2012). Ils lui donnent ainsi une consistance juridique nouvelle car la vulnérabilité se caractérise en effet par son absence de définition légale, les juges comme le législateur l’utilisant sans pourtant jamais la définir. À la rigidité du raisonnement juridique s’oppose alors l’inconsistance de cette notion. Elle appelle quelques précisions. Lire la suite
La Convention européenne des droits de l’Homme à l’Assemblée nationale : quand le ridicule ne tue pas
par Henri Labayle, CDRE
Une fois encore, une partie de la classe politique française a su se mettre à la hauteur des enjeux : dans sa participation à la défense des valeurs de la République, au lendemain des attentats terroristes de Paris, rien ne lui est apparu plus légitime qu’une violente charge contre la Convention européenne des droits de l’Homme.
Ainsi, une proposition de résolution de l’Assemblée nationale, déposée le 12 février 2015 (AN n° 2061), invite le Gouvernement rien moins qu’à « renégocier les conditions de saisine et les compétences de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) sur les questions touchant notamment à la sécurité nationale et à la lutte contre le terrorisme ». Lire la suite
La protection des étrangers gravement malades par les juges européens : une cause perdue ?
par Henri Labayle, CDRE
Les règlements amiables devant la Cour européenne des droits de l’Homme ont bon dos. Pratique étatique le plus souvent ignorée, cette « altération de la fonction judiciaire » décrite par Frédéric Sudre a, au moins, pour mérite de se dérouler devant la Cour. Parfois, elle interdit cependant le débat public sur des questions essentielles ou controversées.
L’éloignement des étrangers gravement malades ou en fin de vie en est une, de principe, où le volontarisme de la CEDH fut déterminant en son temps. Aussi, l’arrêt de radiation de l’affaire S.J c. Belgique, rendu en Grande chambre de la Cour européenne des droits de l’Homme le 19 mars 2015, constitue une déception sérieuse pour l’observateur. Accordant certes satisfaction à la requérante, cette radiation empêche en effet de réouvrir le débat sur une jurisprudence discutable et toute évolution de la question. L’impact des solutions dégagées par la CEDH en la matière dépasse en effet largement le cadre de la Convention européenne et il interroge quant au fond. Lire la suite